Intervention de Alfred Rosales

Réunion du 5 juin 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Alfred Rosales, président de Rosamon group :

J'ai eu l'opportunité de travailler très tôt dans l'industrie lourde, lorsque j'étais encore un jeune ingénieur. Ma première mission, en 1991, consistait à rationaliser les sites du groupe des Ciments français, du point de vue de la consommation d'électricité, de fioul, de charbon et autres combustibles. Il y avait alors sur notre territoire dix cimenteries pour lesquelles l'énergie était un enjeu déterminant.

Ayant rejoint le groupe des Ciments français, racheté ensuite par Italcementi, j'ai été directeur des achats à Bergame, ce qui m'a amené à m'occuper de toute la partie énergie au niveau européen. J'ai constaté à cette occasion qu'en matière d'investissement et d'énergie, les comportements, les stratégies et les relations des filiales avec les administrations publiques étaient sensiblement différentes.

Pour le groupe Eramet, que j'ai rejoint en 2005, j'ai assuré l'achat d'énergie, notamment de fioul pour la centrale électrique de Nouvelle-Calédonie. Je me suis également occupé des achats d'électricité et de gaz pour les sites sidérurgiques français constitués de fours électriques de petites capacités destinés à fabriquer des équipements de haute technicité. Eramet, grâce à sa filiale Aubert & Duval, est un fleuron de l'industrie française. Il est leader mondial des aciers spéciaux pour les trains d'atterrissage et les axes de turbine.

Parallèlement, en tant que président d'Ingénieurs sans frontières à Supméca, petite école d'ingénieurs située à Saint-Ouen, j'ai travaillé sur le solaire et sur le développement durable, en Afrique, ce qui m'a permis de réfléchir in situ à la problématique de l'énergie mitochondriale. On ne peut pas creuser un puits si l'on n'a pas de groupe électrogène, qui devient de ce fait un enjeu de pouvoir.

Enfin, j'ai monté ma propre entreprise en efficacité énergétique, qui fait également du solaire et de l'éolien. Nous travaillons sur la consommation électrique de sites industriels. En France, nous avons signé un contrat avec Enel et proposé un plan de rationalisation de l'énergie pour quatre sites de Valéo.

La vision française de l'énergie est marquée par plusieurs aspects. Notre économie s'est construite autour du nucléaire, sur une logique de grands contrats. Lorsque le groupe EDF a réalisé ses premiers barrages, il a été demandé aux grands industriels de venir consommer de manière massive des rubans d'énergie (MWh), ce qui permettait en même temps d'alimenter les communes des vallées de montagne, dont la consommation se caractérisait essentiellement par des pointes (dentelle). C'est ainsi que les industriels se sont installés dans la vallée de la Maurienne, sachant que la construction de grands barrages dépendait de la possibilité ou pas d'écouler de grandes quantités d'énergie.

Quand j'ai participé en 2005 aux tables rondes sur les électro-intensifs, j'ai constaté que le même mouvement s'était opéré pour l'industrie de l'aluminium. Les autorités avaient négocié avec EDF et Péchiney pour que l'on installe les deux tranches nucléaires complètes (invendues à l'Iran) à Gravelines (tranches 5 et 6), et c'est ainsi qu'Aluminium Dunkerque s'est installé à Gravelines. Ces opérations révèlent le lien quasi conjugal – et fondamental pour le développement durable d'un pays – qui unit la production d'énergie et la présence des grands industriels sur le territoire français.

Qu'en est-il de la compétitivité énergétique des autres pays ? En Afrique du Sud, malgré de nombreuses coupures d'électricité, les industriels qui veulent investir peuvent souscrire des contrats d'énergie à long terme, qui permettent de sécuriser la première phase du développement industriel du pays. En Chine, en 2008, ces mêmes industriels pouvaient signer au niveau régional des contrats à long terme, afin de s'approvisionner en électricité à près de trente-cinq dollars le mégawattheure.

Bien que sa technologie de base soit la centrale au charbon, l'Afrique du Sud propose des contrats de long terme à près de vingt dollars le mégawattheure, que l'État subventionne pour attirer les industriels sur le territoire. Les Chinois font de même. Enfin, quand l'État de l'Ohio (USA) prit conscience que la zone industrielle de Pittsburgh n'était plus qu'un immense terrain vague où s'alignaient des sites industriels en voie de fermeture, il fit la distinction entre deux types de contrats. Si ceux des particuliers ou des petites entreprises de service restent soumis aux aléas et aux contraintes du marché, ceux proposés aux grands industriels sont des contrats de long terme, leur permettant ainsi d'investir. Le site de Marietta (Eramet), qui s'étend sur plusieurs hectares, bénéficie pour un térawattheure de consommation annuelle d'un prix sécurisé à peine inférieur à celui du marché, mais le contrat établi pour sept ans offre néanmoins une visibilité suffisante pour investir.

À présent qu'au niveau mondial, beaucoup de groupes ont perdu leurs racines nationales, des holdings situées à New York, en Suisse ou à Shanghai analysent le portefeuille mondial de leur outil industriel en fonction de la visibilité et de l'attractivité contractuelle que leur offrent les autorités locales en termes de caisse ou de business plan.

En arrivant à Eramet, j'ai été frappé par le fait qu'en France, le prix de l'énergie donne une visibilité à court terme – au niveau assez élevé de cinquante-cinq euros le mégawattheure –, mais qu'il est impossible de le fixer au-delà de trois ans. Nul ne sait ce qu'il coûtera après 2017. Sur ce point, toute discussion avec EDF est stérile, puisque, depuis l'ouverture du marché de l'électricité, cette entreprise s'interdit de parler hors indices (court terme), pour ne pas encourir l'accusation de distorsion de concurrence. Je ne remets pas en cause les règles du commerce, mais j'insiste sur le fait que, pour une holding internationale, cette question est cruciale. C'est pourquoi, dans un grand groupe, personne ne choisira d'installer une usine d'aluminium en France s'il peut signer en Chine, au Brésil ou en Afrique du Sud un contrat sur vingt ans.

À plusieurs reprises, quand Eramet a cherché à investir, l'Afrique du Sud est apparue comme un « eldorado électrique » malgré les coupures, qui gênent la population mais que des techniciens peuvent parfaitement gérer. Quand on rentre à Paris avec un contrat qui prévoit sur vingt ans un prix du MWh intéressant, le capital à investir – plusieurs milliards d'euros – peut basculer immédiatement d'une zone à l'autre.

L'Afrique du Sud nous avait semblé l'endroit idéal pour installer une grosse usine de conversion de manganèse. Le Gabon est aussi un paradis électrique, puisque 80 % de la production d'électricité provient de barrages hydroélectriques. Si la population souffre des coupures, qui posent un problème politique, les industriels voient surtout qu'ils peuvent signer un contrat fixant à long terme le prix du mégawatt à une dizaine d'euros. C'est pourquoi tous les grands groupes y transfèrent la production de manganèse ou d'acier. Pour des Gabonais dont on utilise le minerai, c'est une bonne nouvelle ; c'en est une mauvaise pour la France, car, même s'ils souffrent de difficultés économiques passagères, les grands groupes disposent d'une capacité d'investissement colossale. Dans certaines zones, ArcelorMittal peut investir plusieurs milliards d'euros, quitte à emprunter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion