Intervention de Marcel Genet

Réunion du 5 juin 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Marcel Genet, président de Laplace Conseil :

Ces questions lancinantes sont sans réponse. Le problème est non de savoir ce que peut faire la France pour préserver son industrie sidérurgique mais ce qu'elle fera si ArcelorMittal est en faillite. Le groupe est mondial, tout comme sa stratégie. Or les lois qui s'appliquent dans le monde développé ne permettent pas d'infléchir la politique d'un groupe international qui respecte globalement les règles du jeu. En pratique, l'État ne pourra donc rien faire si M. Mittal décide de fermer tel site – sauf peut-être le convoquer ou le par voie de presse.

On ne peut davantage agir à l'échelon européen. L'article 58 du traité de la CECA de 1952, qui ne s'applique malheureusement plus de nos jours, permettait de décréter l' »état de crise manifeste » sur une entreprise. L'Union pourrait réactiver certaines dispositions. Cela dit, compte tenu de la situation européenne, obtenir un consensus sur un tel sujet prendra de nombreuses années.

Que se passera-t-il si le groupe ArcelorMittal se déclare, au plan local, en cessation de paiement, ce qui n'est pas impossible ? Sa dette est classée B à B–. La conjoncture mondiale va continuer de se détériorer. Il n'est donc pas impossible qu'on cesse de lui prêter. À tout prendre, les problèmes que rencontre la Lorraine ne sont pas si graves, au sens où la France a la capacité d'absorber le choc économique qu'entraîneraient une ou plusieurs fermetures. La situation serait plus compliquée en Europe centrale. La première chose à faire est donc de vous rapprocher de vos homologues roumains, polonais ou tchèques pour savoir ce qu'ils feraient, le cas échéant.

J'essaie de m'abstraire du problème social, car je pense qu'on ne peut le résoudre que si l'on a réglé au préalable la situation économique ou politique. Commençons, comme l'ont fait les États-Unis, par compter les actifs et les passifs du groupe. Si l'on prend en compte le passif social latent lié aux fermetures inévitables dans une situation de surcapacité, au licenciement de 100 000 employés surnuméraires et à la dépollution, en Roumanie, de quarante kilomètres carrés et à peine moins en Wallonie, en Lorraine, au Luxembourg, en Espagne, il est manifeste que le passif excède l'actif. C'est pourquoi les agences de notation ont dégradé la dette.

Paradoxalement, ceux qui s'opposent les plus à M. Mittal sont aussi ceux qui surévaluent sa puissance, tandis que les milieux financiers, qu'on pourrait croire en phase avec ce grand capitaliste, se montrent plus sévères. J'ai prévenu mes amis syndicalistes des cabinets Syndex ou Secafi Alfa : s'ils veulent peser sur ses décisions, ils doivent renoncer au combat social, qui, sans être illégitime, est inefficace, puisqu'il se limite à l'échelon national, alors qu'ArcelorMittal est un groupe mondial. Au reste, même au plan national, la solidarité entre Fos, Dunkerque et la Lorraine n'a pas été très forte.

Le seul moyen de peser sur la politique d'ArcelorMittal est d'utiliser les arguments de la logique capitaliste, ce qui suppose d'évaluer convenablement l'actif et le passif, que quelqu'un devra bien finir par payer. Après la crise de 1980, la France a nationalisé Usinor-Sacilor en 1986. Une partie des pays d'Europe, dont la France, a fait son travail. Les autres doivent s'y mettre. Il n'est pas impossible de créer une solidarité au niveau européen entre les deux groupes de pays. Pour l'heure, il faut dire la vérité : le roi est nu. Cette évidence peut enclencher un mouvement de défiance non seulement parmi les syndicalistes ou les hommes politiques, qui craignent une faillite, mais dans l'ensemble du monde financier. Demandez-vous de manière réaliste ce que vous ferez si – ou quand – le groupe ne pourra plus assumer ses responsabilités. Idéalement, il faudra que l'État– car il est difficile d'imaginer aujourd'hui une solution européenne – reprenne non seulement Florange mais aussi la totalité des sites d'ArcelorMittal en France. Ne vous demandez même pas s'il faudra ou non le faire ; préparez-vous à le faire !

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