Intervention de Philippe Morvannou

Réunion du 12 juin 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Philippe Morvannou, cabinet Syndex :

Pour répondre à votre question sur le caractère hautement capitalistique de la sidérurgie, notre étude sur le bassin de Liège a démontré que les groupes reposant sur un modèle financiarisé se portaient plutôt mal, alors que les groupes avec des capitaux à parties prenantes s'en sortaient mieux, comme le montrait leur EBITDA (1) de 2007 à 2011. En effet, il est clair que les groupes dont une partie du capital appartient aux pouvoirs publics, et où est instaurée une gouvernance à participation syndicale, maintiennent leur niveau d'investissement .Ils ne font pas de plans sociaux et enregistrent des gains de part de marché. Au contraire, comme l'indiquent des chiffres connus de tous car publiés par les entreprises, on constate qu'ArcelorMittal ou Tata Steel perdent des parts de marché, licencient, ferment des usines et voient leurs résultats se dégrader. Le modèle des capitaux à parties prenantes permet de mieux prendre en compte le moyen et le long terme, il se révèle donc supérieur, d'autant qu'aucun de ces groupes ne bénéficie d'intégration minière, sauf Voestalpine mais pour une petite part. ArcelorMittal a réalisé, en revanche, cette intégration, ce qui est compréhensible car cela lui donne un avantage compétitif ; la question reste de savoir ensuite qui en profite, l'actionnaire ou l'industrie.

Quant à la possibilité des pouvoirs publics d'influencer les décisions, on peut comparer Constellium et Ascométal : ils appartiennent l'un et l'autre au fonds d'investissement Apollo, Global Management mais Constellium peut s'appuyer sur le Fonds stratégique d'investissement, le FSI, contrairement à Ascométal. Les pouvoirs publics peuvent avoir une influence – État, région, ou même d'autres types d'acteurs publics comme ils existent dans d'autres pays – en pratiquant la gestion concertée des investissements et des savoir-faire.

Pour l'aluminium, quand on aura séparé à Saint-Jean-de-Maurienne la recherche-développement de l'usine dont la production phare est le fil, l'unité deviendra déficitaire en innovation. Il en est de même pour le centre d'ArcelorMittal à Maizières, où il n'est pas possible de conserver la R&D dans la filière « amont », alors que Florange n'y existe plus.

Il est indispensable d'établir un lien entre les pouvoirs publics, la R&D et le dialogue social.

Le débat sur l'efficience est important. Eurofer estime qu'elle est maximale et qu'on peut seulement réduire encore de 0,5 % la consommation d'énergie et de 2,8 % les émissions de CO2, ce qui est tout à fait ridicule : on constate entre les unités en Europe des rapports de 1 à 2, et plus encore si l'on prend en compte l'Europe de l'Est. Selon qu'un site est, ou non, à proximité d'une centrale électrique, l'efficacité n'est pas du tout la même. D'ailleurs, des documents préconisent un programme de recyclage des gaz des hauts fourneaux sur les sites qui n'ont pas de centrales électriques à proximité. Le débat est d'autant plus réel que les sidérurgistes représentent la seule profession qui ait refusé la coopération avec la Commission européenne pour déterminer le niveau souhaitable d'émission de CO2. Les chiffres d'Eurofer et ceux de la Commission diffèrent. Ce problème de l'efficacité est au coeur du débat : si l'on estime que des efforts s'imposent, il faut investir. Ce différend a des raisons financières. En mai 2012, les sidérurgistes ont fait admettre par la Commission que la répercussion des coûts de CO2 dans le prix de l'électricité puisse faire l'objet d'un effacement (c'est-à-dire d'une subvention) de la part des pouvoirs publics : les États européens peuvent subventionner les producteurs à hauteur de l'impact du CO2 sur le prix de l'électricité qui leur est vendu. Or quel pays a actuellement les moyens de subventionner ses industries sidérurgiques, excepté l'Allemagne et éventuellement l'Autriche ? La Commission a commandé une étude sur le « fitness check » afin de déterminer l'impact du coût de l'environnement sur les prix de l'acier : la conclusion en est qu'il n'est pas significatif ; des interrogations se sont élevées sur la qualité de ce travail. Quant au plan du Commissaire Tajani, on voit bien qu'il essaie de « passer entre les gouttes »: il rencontre un soutien limité au sein même la Commission et n'a d'ailleurs pas celui d'Eurofer.

Nous proposons ce que nous appelons un ajustement aux frontières européennes depuis 2007, et non pas d'une taxation, un terme que nous n'employons pas volontairement. Il s'agit d'un dispositif conforme aux règles fondamentales de l'OMC : on exige des importateurs l'application des mêmes règles que celles imposées aux producteurs nationaux pour tout ce qui concerne l'environnement. Ce système devrait être appliqué à toutes les importations de commodités. Aujourd'hui, une norme est fixée par la Commission européenne : par exemple, si le producteur produit 10 % de plus de CO2 que la norme, il dispose de 10 % de permis d'émission ; soit il va les acheter sur le marché, soit on les lui alloue gratuitement. S'il les achète sur le marché, le producteur russe ou chinois devrait en faire autant : il s'agit de l'équité de traitement prônée par l'OMC, dont tiendrait compte aussi bien le producteur européen que le producteur chinois et ce serait validé par l'OMC.

La recherche de l'efficience des ressources est réalisée dans l'entreprise, et se généralise à l'ensemble de l'industrie.

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