François-Michel Lambert et moi avons travaillé pendant de longs mois pour auditionner à peu près toutes les parties prenantes du secteur de la biomasse énergie, de façon à appréhender ses problématiques avec la meilleure information possible. Il s'agit de faire en sorte que la France respecte les engagements européens du paquet énergie-climat : efficacité énergétique, limitation des rejets de CO2, et surtout une contribution des énergies renouvelables au bouquet énergétique à hauteur de 23 %.
Un certain nombre de rapports d'information ont été présentés devant cette commission, depuis 2009, sur les énergies renouvelables. Je pense notamment aux missions sur le photovoltaïque de 2009 et sur l'éolien de 2010. C'est dans la même logique que François-Michel Lambert et moi nous sommes intéressés à la biomasse, déjà évoquée hier soir par notre collègue Jean-Yves Caullet à l'occasion de son rapport sur la filière bois.
Nous avons observé comment les ressources de biomasse pouvaient être amenées à contribuer à la production d'électricité, de chaleur et de carburants – même si ce dernier point, les biocarburants comme on les appelle toujours, me semble un peu distinct des autres. Le législateur a défini la biomasse, en 2005, comme « la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l'agriculture, y compris les substances végétales et animales, de la sylviculture et des industries connexes ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ». Sa transformation en énergie emprunte des voies technologiques variées comme la méthanisation, la pyrolyse ou encore la combustion, qui est la méthode la plus ancienne et que nous connaissons le mieux.
J'aborde immédiatement ce qui me semble un des plus grands paradoxes de cette mission d'information : la biomasse produit à elle seule les deux tiers de l'énergie renouvelable française alors que 85 % des investissements sont dirigés vers l'éolien et le photovoltaïque. La filière est également méconnue du grand public, qui ne l'imaginera guère au-delà des bûches brûlées dans les cheminées et les poêles domestiques. On ignore souvent les perspectives de développement du biogaz, y compris d'ailleurs dans le domaine des transports. Il faudra déployer une grande pédagogie au cours du débat sur la transition énergétique pour populariser la biomasse comme une solution crédible.
Le bois-énergie a été très bien détaillé hier par Jean-Yves Caullet, qui a évoqué les freins au développement que sont le morcellement forestier et les difficultés d'acheminement vers les lieux de transformation qui dégradent le bilan carbone en fonction de la distance à parcourir. De fait, nous recommandons de soutenir fortement les unités locales de taille raisonnable. L'usage du bois d'oeuvre doit être privilégié dans une approche en cascade, en partant des industries à forte valeur ajoutée, comme en Alsace, où la région encourage la construction de maisons à ossature de bois, autant pour l'aspect durable des bâtiments que pour la structuration de la filière de sciage. Nous devons conserver notre matière première sur le territoire et non l'exporter.
Concernant le biogaz, il procède de la valorisation des ordures ménagères, de la digestion des boues des stations d'épuration, des effluents agricoles et industriels – même si les entreprises de papeterie connaissent actuellement une crise importante qui peut les conduire à se reconvertir vers de nouvelles opportunités comme la fabrication de biocarburants à partir de la lignine du bois, ce qui est le sens du projet BTL d'UPM à Strasbourg. Les agriculteurs attendent beaucoup de la méthanisation à la ferme à la suite des réussites annoncées du modèle allemand. Nous avons été attentifs à ces expériences et à leurs conséquences en termes de conflit d'usages ; or nous doutons que l'agriculture puisse se résumer à faire pousser des plantes pour les brûler dès leur récolte effectuée.
L'état des lieux du secteur de la biomasse-énergie en France, aujourd'hui, est encourageant. Le bois compte pour 46 % des énergies renouvelables françaises. Le biogaz a des perspectives intéressantes de développement ; nous avons même imaginé comparer son potentiel aux hypothèses qui circulent dans les médias à propos des réserves françaises de gaz de schiste. Gageons que les 11 % qu'il représente parmi les énergies nouvelles ne sont qu'une première marche. Quant aux biocarburants, l'éthanol et le biodiesel pourraient atteindre 10 % de l'énergie consacrée au secteur des transports, mais les insatisfactions que suscitent ces filières de première génération laisse penser que ce seuil ne sera atteint qu'avec les prochaines ruptures technologiques attendues à l'horizon 2017 ou 2020 pour la seconde génération, aux alentours de 2030 pour la troisième génération et les cultures d'algues dont on entend déjà parler.
La crise touche aussi la filière biomasse. Les investissements nécessaires à la bonne exploitation des ressources font encore défaut, notamment dans le secteur du bois. Exporter des bois d'oeuvre pour réimporter les déchets de bois n'est pas satisfaisant. Une production locale nous semble la meilleure des réponses, d'autant qu'elle suppose un bilan carbone tout à fait positif. C'est aussi vrai pour les territoires ultramarins auxquels nous consacrons un développement au sein du rapport.
L'état des lieux est encourageant ; les perspectives le sont aussi. Ils supposent notamment une collecte de la production annuelle de la forêt pour remplir nos objectifs, mais aussi un engagement dans le biogaz et, dans un futur proche, dans les biocarburants. L'État devra se consacrer à une fonction stratégique plus que directive, pour accompagner les projets sur les territoires. C'est bien localement que la biomasse, au plus près des besoins industriels et résidentiels, au plus près des réseaux de chaleur et de gaz, sera le mieux employée.