Vous dites, Monsieur le ministre, que tous les arguments du débat sont connus : j'espère que cela ne vous conduit pas à refuser la discussion. La procédure accélérée qu'a choisie le Gouvernement pour l'examen de ces textes ne peut que renforcer notre inquiétude. Pourquoi une telle précipitation ? Une procédure ordinaire n'aurait-elle pas davantage permis que s'expriment toutes les sensibilités à l'intérieur de toutes les formations représentées dans les deux chambres ? Il n'existe pas, au sein de la majorité, d'adhésion unanime à cette orientation. La seule raison qui vous pousse à l'inscrire dans la loi, c'est le respect du dogme de l'engagement de François Hollande lors de la campagne présidentielle.
Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. En l'occurrence, le choix du mot « cumul » n'est pas anodin : il s'agit, avec ce terme très péjoratif, de convaincre nos concitoyens que la situation actuelle est anormale. Mais cela ne trahit-il pas votre incapacité à convaincre par des arguments ? Pourquoi nommer « cumul » l'exercice simultané d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale ?
J'ai souvent débattu du sujet avec Guy Carcassonne – que nous appréciions tous. Si chacun reconnaissait la pertinence des démonstrations de son interlocuteur, ni lui ni moi ne pouvions déconsidérer la position de l'autre. Il n'existe pas d'argument décisif – même après la révision constitutionnelle de 2008 – pour imposer cette réforme. Il est d'ailleurs précisé dans l'exposé des motifs que les parlementaires doivent bénéficier de temps pour s'adapter au nouveau périmètre de leurs missions et M. le rapporteur vient de refaire devant nous ce raisonnement dénué de toute pertinence. Lors de la précédente législature, des organismes indépendants ont établi le classement des députés les plus assidus : j'avais été classé premier, suivi de M. François Brottes. Or nous sommes tous deux députés et maires : on peut donc bien assumer un mandat parlementaire dans le respect de l'engagement pris par le candidat devant le peuple.
En outre, si un parlementaire n'exerce pas de fonction exécutive locale, il devra quand même être présent dans son territoire d'élection afin de rester proche de ceux qui l'ont désigné – et peut-être même plus qu'avant pour saisir les préoccupations que les fonctions locales, notamment celle de maire, permettent d'appréhender directement. On ne peut pas défendre ou combattre l'exception française selon la seule commodité de la démonstration. Qu'y a-t-il de scandaleux dans la spécificité française de l'exercice simultané d'un mandat national et d'une fonction exécutive locale ? Beaucoup d'élus de l'Assemblée nationale nouent des contacts avec des parlementaires de pays amis – très différents les uns des autres – et ces derniers montrent souvent de l'intérêt pour notre système.
Il est curieux d'utiliser la procédure accélérée et de procéder à cette audition au moment où se déroule la réunion de la mission d'information sur le statut de l'élu à laquelle certains d'entre nous appartiennent. Cette mission n'a pas encore adopté son rapport que nous débattons déjà du statut d'un élu particulier ! Nous examinons cette semaine en séance publique le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique qui, avec ces deux projets de loi, modifiera l'attractivité que peuvent avoir ces mandats parlementaires national et européen pour nos concitoyens – le Gouvernement ne réfute d'ailleurs pas totalement cet argument. S'ajoute à cet ensemble de modifications la future impossibilité d'exercer un mandat parlementaire avec une activité privée que l'on exerçait auparavant.
Quelle est la prochaine étape ? Sera-ce la proportionnelle – comme s'y était engagé le candidat élu à la présidence de la République – et, si oui, quelle sera son ampleur ? Ces sujets ne nous sont pas présentés globalement, mais nous estimons qu'ils induiront un changement dans le recrutement des parlementaires. Quel profil d'élu de la République souhaitez-vous promouvoir dans cette assemblée ? Le Gouvernement et la majorité veulent-ils que les représentants de la nation issus du contact avec la population sur le terrain soient remplacés par des élus désignés moins directement par les habitants qui les font actuellement émerger élection locale après élection locale ? Avec l'ensemble de ces réformes, vous allez changer la représentation nationale, ainsi que l'équilibre global de nos institutions entre le Parlement – dont on peut se demander s'il ressemblera à ce que veulent nos concitoyens – et l'exécutif. Quel est le point d'arrivée de ce mouvement dont vous avez pris l'initiative ?