Nous pouvons tous nous retrouver sur le constat d'un fossé qui se creuse entre les Français et nos institutions, ainsi que sur celui d'un déficit de représentativité des Français, non seulement à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi dans les conseils régionaux et généraux ; salariés du privé, artisans, commerçants, bref des pans entiers de la société française y sont fort mal représentés.
Ce débat, qui porte sur le fonctionnement des institutions, dépasse largement nos clivages politiques. Le problème, c'est que l'on présente le non-cumul comme le remède à tous nos maux ; or je suis convaincu que ce n'est pas la bonne solution et que le remède sera pire que le mal.
On nous dit que le non-cumul renforcera le Parlement, parce que les députés seront plus présents. Je pense tout au contraire qu'il l'affaiblira ; du reste, cela a été démontré par des universitaires – Guy Carcassonne, que vous citez sans cesse, n'ayant pas été le seul à avoir pris position dans le débat. Par exemple, Olivier Beaud, professeur de droit constitutionnel d'une sensibilité politique plutôt proche de la majorité, a évolué sur le sujet : alors qu'il était contre, il se dit maintenant favorable au cumul, de même que Patrick Weil et Pierre Avril. Tous trois expliquent que, dans un système où l'exécutif dispose de pouvoirs très importants, l'enracinement local permet de donner plus de poids aux députés et aux sénateurs.
On nous dit que le non-cumul nous rapprochera de nos concitoyens : « Votre député sera désormais totalement disponible pour vous », fait-on valoir à ceux-ci. Mais, là aussi, on va aboutir au résultat inverse. Il faudrait en effet que les choses soient dites clairement, monsieur le ministre : avez-vous, oui ou non, l'intention de diminuer le nombre de députés ? Avez-vous, oui ou non, l'intention d'introduire la proportionnelle ? Si cela se fait, c'en sera fini du député de terrain.
Nous sommes aujourd'hui élus dans une circonscription, c'est-à-dire un territoire, où nous sommes présents en permanence ; notre élection dépend des électeurs. Si demain les députés sont élus à la proportionnelle dans d'immenses circonscriptions, leur élection dépendra des partis politiques qui les auront désignés et placés sur leur liste en plus ou moins bonne position ; bref, au lieu d'être sur le terrain, ils seront dans les appareils politiques. Vous allez donner naissance à une génération d'apparatchiks !
Il est faux de prétendre que les députés-maires pensent et agissent comme des maires. Une étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), rédigée par Luc Rouban, chercheur au CNRS, a démontré que les députés qui disposent d'un mandat local ne sont pas plus présents que d'autres dans les débats concernant les collectivités territoriales, et qu'il n'existe aucun lien entre l'activité d'un député et la défense d'intérêts territoriaux.
Je suis professeur agrégé de droit privé – le diplôme de droit le plus élevé existant en France. Or ce qui m'est le plus utile dans mes fonctions de législateur aujourd'hui, ce n'est pas ce diplôme, mais ce que j'ai appris d'abord en tant qu'adjoint au maire, puis en tant que maire, en étant confronté aux réalités locales, avec un budget et un personnel à gérer et des problèmes d'école, de logement et d'emploi à résoudre. Comme il serait dommage de rompre ce lien !
Je relèverai en outre deux incohérences dans le projet de loi.
Si l'objectif est de nous rendre plus disponibles, pourquoi nous permettre d'être conseiller régional ou conseiller général et nous interdire d'être maire d'une petite commune ? Si, ne pouvant plus être maire, je deviens conseiller régional, j'aurai, pour exercer une fonction tout aussi prenante, un temps de transport bien supérieur : premier paradoxe.
D'autre part, interdire le cumul d'un mandat parlementaire avec une activité publique n'impliquera pas que les députés seront plus présents pour autant, puisqu'ils pourront toujours exercer une activité privée. En d'autres termes, la gauche va pousser des députés qui consacrent aujourd'hui la totalité de leur temps au service de leurs concitoyens à abandonner leurs fonctions locales pour s'adonner à des activités privées ! C'est d'ailleurs ce qui se passe en Allemagne. Est-ce là le modèle que vous voulez suivre ? Second paradoxe.
L'étude d'impact est insuffisante. Les enjeux de ce texte touchent au fonctionnement de nos institutions : la décentralisation, l'équilibre des pouvoirs, le statut de l'élu ; le rapport Jospin concluait d'ailleurs à la nécessité de définir ce dernier avant de mettre fin au cumul. On voit bien que la réflexion n'est pas aboutie ; il faudrait mettre ce texte de côté et engager un grand débat sur le fonctionnement de notre démocratie.
On nous dit que les Français sont contre le cumul, mais les sondages sont contradictoires. Ainsi, un sondage réalisé par BVA montre que, si 55 % des Français sont opposés au cumul d'un mandat national et d'un mandat local et que 44 % l'acceptent, 66 % sont convaincus que nous cumulons sans limites les indemnités ! Aujourd'hui, l'urgence n'est pas de légiférer, mais d'expliquer à nos concitoyens la réalité de la vie d'un député-maire et le niveau de nos indemnités.
Pourquoi ne pas laisser à chacun sa liberté ? Si vous trouvez insupportable d'être député-maire, démissionnez de l'un de vos mandats ! – pour le reste, laissez aux électeurs la liberté de décider, au moment des élections, si leur maire mérite encore d'être député, ou si leur député doit rester maire.