Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du 2 octobre 2012 à 15h00
Déclaration du gouvernement en application de l'article 50-1 de la constitution sur les nouvelles perspectives européennes et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Après le discours combatif et la réponse très mobilisatrice du Premier ministre, j'aborderai cette discussion en évoquant trois thèmes.

Tout d'abord, la crise que nous connaissons depuis quatre ans a modifié sensiblement le consensus de fond entre les États de l'Union. Elle a créé des perturbations durables et engendré dans plusieurs États une austérité extrême et sans perspective.

En l'état, on peut considérer que trois phénomènes ont joué pour aboutir à cette crise. Le premier est la montée des inégalités de revenus dans le monde, cette montée ayant préparé la crise de l'endettement privé, devenue par la suite crise de l'endettement public. Le deuxième phénomène est celui des déséquilibres existants entre l'Union et le reste du monde. Le troisième phénomène est celui des déséquilibres entre les États composant la zone euro.

Un petit graphique du FMI, publié hier soir par l'économiste Paul Krugman sur son site, montre deux choses. Il y a eu des flux de capitaux énormes à partir du centre de l'Europe vers la périphérie européenne, notamment sous la forme de prêts aux banques, Parallèlement, les grands pays exportateurs ont augmenté leurs exportations vers l'Asie et l'Europe, pendant que le sud de l'Europe connaissait une forte augmentation des importations en provenance des pays à bas salaires.

Cela doit nous amener à réfléchir sur la crise. Certes, il y a des déséquilibres extérieurs à l'Union, certes, il y a dans certains pays des déficits budgétaires anormaux, mais, surtout, il y a eu des flux de capitaux qui ont créé des bulles de crédit, et il y a toujours au sein de l'Union un écart de compétitivité.

Aujourd'hui, l'Europe a besoin d'une politique monétaire plus agressive, avec une Banque centrale active et interventionniste. Il faut et il faudra probablement accepter qu'il y ait un peu d'inflation à certains endroits pour que les États faibles de la zone euro puissent exporter aussi vers les États forts de cette zone. C'est l'intérêt de ces pays, et c'est l'intérêt de la zone euro.

Depuis quelques mois, l'Europe a progressé, on ne peut pas l'oublier, on ne peut pas ne pas le voir. Cela passe cependant par un compromis.

Il a fallu près d'un an et demi pour que l'on considère qu'il fallait instituer un mécanisme européen de stabilité, à la suite du fonds européen de stabilité financière, instrument d'urgence conçu pour une durée temporaire. Plus fondamentalement, la Banque centrale européenne soulage indirectement, depuis très peu de temps, le marché des dettes souveraines.

Plusieurs États, dont l'Allemagne, ont accepté ces deux évolutions en contrepartie de la réaffirmation d'une limitation du déficit dans chaque État.

Cela renvoie au fameux traité relatif à la stabilité, la croissance et la convergence dont nous débattrons aujourd'hui, mais ne nous trompons pas. Les gens font la distinction entre, d'une part, le redressement, pour lutter contre l'endettement non maîtrisé dont les plus modestes paient le prix puisque par l'impôt ils financent l'emprunt et les intérêts payés aux marchés, ce qui est une redistribution à l'envers, et, d'autre part, la nécessaire croissance qui permet de créer des richesses durables, de les distribuer de façon équitable et de préparer l'avenir.

La politique monétaire interventionniste que nous appelons de nos voeux pour gérer une situation de récession plus profonde à certains endroits qu'à d'autres est au prix de ce compromis.

À une nouvelle politique monétaire correspond la volonté de trouver d'autres marges.

Les chefs d'État de l'Union européenne se sont mis d'accord pour un plan de relance à hauteur de 1 % du PIB de l'Union. Certains ont raillé cet effort, considérant qu'un montant de 1 % du PIB de l'Union européenne était mineur. Je crois qu'il faut rappeler l'effet multiplicateur d'un tel plan. On cite encore souvent le plan Marshall, qui représentait, lui, entre 3 % et 4 % de la richesse européenne. L'effort en cours doit être souligné et devra être renouvelé.

Je souhaite aussi, logiquement, m'attarder sur la volonté politique dont nous devons faire preuve.

L'article 2 du traité sur l'Union européenne indique que les politiques de celle-ci ont pour objectif « un niveau d'emploi élevé et une croissance durable ».

Pourquoi citer cette disposition de droit dont nous pouvons tous, ici, revendiquer l'application? Pour affirmer que l'enjeu est dans les politiques publiques menées plus que dans les dispositions du traité. L'enjeu est dans les priorités à mettre en oeuvre et dans l'interprétation faite des dispositions actuelles ou futures.

Notons que les politiques d'austérité extrême mises en oeuvre dans plusieurs États membres l'ont été sans nouveau traité. Rappelons aussi que la fameuse règle d'or est déjà dans les traités, depuis Maastricht, comme le plafonnement du déficit public à 3 % du PIB et l'obligation de maintenir une dette publique inférieure à 60 % du PIB, et souvenons-nous que ces règles n'ont pas été respectées par les États qui les avaient instituées.

L'enjeu n'est donc pas dans le traité lui-même, qui reste un instrument, mais dans le rapport de force entre États pour mettre en oeuvre des politiques publiques et économiques favorables à la croissance et à une Europe plus sociale. À ce titre, nous devons aussi réhabiliter et faire valoir auprès de nos partenaires européens l'idée que l'Europe est fondée sur une coopération loyale.

Ce concept juridique est aussi une modalité politique. Il permet d'interpréter les règles et les principes régissant les conflits entre les acteurs concernés, et il doit demain faciliter la création de solutions nouvelles face aux défis auxquels est confrontée l'Union.

Ne nous trompons pas de combat. L'opposition n'est pas entre partisans et opposants au traité. Sinon, comment expliquer que la plupart des partis de gauche de gouvernement en Europe n'en fassent pas le combat de l'Europe à venir ? Le clivage est entre, d'une part, ceux qui disent être pro-européens, progressistes, qui disent résister à cette surenchère qui vise au démantèlement de l'État-providence, et ceux qui font croire que l'Europe ne peut être que récessive et inégalitaire, qu'ils en soient convaincus ou utilisent tout simplement cet argument pour éviter de dire comment ils feraient sans l'Europe.

Le troisième volet de mon propos concerne les perspectives européennes et les progrès concrets que nous devons faire.

Faire l'Europe, cela suppose de proposer le pacte citoyen de protection et d'innovation auxquels Français et Européens tiennent.

Je l'ai dit à l'instant : on parle trop souvent d'outils sans évoquer les raisons et les objectifs de l'action. Si l'on croit en l'Europe et que l'on veut mieux vivre en Europe, il faut lui redonner du sens. Elle ne doit pas être centrée seulement sur la maîtrise de l'inflation et sur une politique d'austérité, à moins de lui faire courir le risque que les pays sous contrainte choisissent de se redonner une marge par eux-mêmes, notamment pour l'emploi. Il faut lui redonner un sens et des priorités, c'est le message du Premier ministre ; je pense notamment à l'emploi et à la transition énergétique et climatique.

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