Si l'engagement 48 du candidat François Hollande visait à interdire le cumul de tous les mandats, le projet de loi ne s'intéresse qu'au sort des parlementaires nationaux et européens, stigmatisés par le terme de « cumulards ». Il ne cherche pas à limiter le cumul des mandats locaux. Un président du conseil général pourra donc continuer à être maire d'une grande agglomération. La majorité entend-elle nourrir un antiparlementarisme latent ?
Grâce au projet de loi, dit-elle, tous les députés pourront se consacrer pleinement aux travaux de l'Assemblée nationale. Pourtant, nombre d'études, dont celles du CEVIPOF ou un article récent de L'Expansion, montrent que les titulaires de plusieurs mandats n'y sont pas les moins assidus. D'ailleurs, même s'ils n'exercent qu'un mandat, les députés doivent être actifs dans leur circonscription, ce qui leur interdira toujours de siéger à l'Assemblée du lundi au samedi. Il est bon qu'ils soient sur le terrain et participent à de nombreuses réunions. Que gagneraient les parlementaires à vivre en vase clos derrière les murs de l'Assemblée ou du Sénat ? Pour restaurer le lien territorial, mieux vaut respirer l'air extérieur que rester confiné dans un bocal.
La majorité a tort de présenter le cumul comme une exception française, car dès lors que notre décentralisation n'est pas un système fédéral, la comparaison avec l'Allemagne n'est pas pertinente.
J'ai été surpris d'entendre, hier, Mme Laurence Dumont assimiler un double mandat à un conflit d'intérêts. Le plus souvent, l'intérêt général et celui d'une collectivité sont complémentaires. Il est moins risqué d'avoir des députés cumulards que des élus « hors sol ». Pierre Mauroy, qui vient de nous quitter, évoquait volontiers la fameuse « courroie d'enracinement ».
La majorité veut casser ce qui existe. En fonctionnarisant les élus, elle changerait la nature du régime parlementaire et donnerait plus de poids aux apparatchiks de tous les partis. Si l'opinion attend quelque chose, c'est non l'interdiction mais la limitation des cumuls, à commencer par celui des mandats locaux. Depuis trente ans, les collectivités ont évolué, grâce à la décentralisation. La déconcentration a progressé. Les intercommunalités se sont développées. Il est nécessaire d'étendre la liste des incompatibilités, car il est choquant qu'une même personne puisse être à la fois parlementaire, président d'un conseil régional ou général, maire d'une grande agglomération ou président d'une grande intercommunalité.
Cela dit, il serait spécieux de mettre sur le même plan ces présidences et le mandat d'un adjoint à l'urbanisme ou aux finances, ou d'un vice-président de conseil général ou régional. Ces fonctions exigent un temps et impliquent des contraintes de représentation bien différents. Quoi de commun entre ma charmante commune de Remilly-sur-Lozon, dans la Manche, qui compte 700 habitants et appartient à une communauté de communes de 7 000 habitants, et celle de Marseille, Nantes ou Bordeaux ?
Hier, le Gouvernement s'est montré peu loquace sur les réformes en attente. Qu'en est-il de la diminution du nombre de députés, qui entraînerait mécaniquement un redécoupage des circonscriptions et contraindrait les parlementaires ruraux à couvrir un territoire de 250 communes ? Quid de l'introduction de la proportionnelle, qui ferait entrer à l'Assemblée des élus hors sol, sans aucun lien avec la réalité ?
Enfin, je regrette l'absence d'un vrai statut de l'élu. Je formulerai tout à l'heure des propositions à ce sujet avec Philippe Doucet, dans le cadre de notre rapport d'information sur le statut de l'élu. J'espère qu'elles se traduiront dans un texte en fin d'année ou début 2014. Laissons les élus se rapprocher des citoyens et les parlementaires exercer davantage leurs compétences législatives. N'en faisons pas des apparatchiks, qui ne représenteraient plus que les partis politiques.