Certains hommes ont marqué ma vie : François Mitterrand, Pierre Mauroy, Michel Crépeau, François Hollande et Jean-Marc Ayrault. Le fait qu'ils aient été maires – de Château-Chinon, Lille, La Rochelle, Tulle ou Nantes – les a-t-il jamais empêchés d'exercer leurs fonctions ? Le projet de loi, marqué par un dogmatisme invraisemblable, crie haro sur les maires, alors que le vrai problème est ailleurs. Il tient à l'organisation du travail parlementaire, dont je doute que le non-cumul puisse l'améliorer. L'étude d'impact est très insuffisante. Des constitutionnalistes ou des professeurs de droit doivent nous prouver que les députés non-cumulards travaillent plus et mieux que les autres, car, dans le cas inverse, il n'est pas utile de voter la loi.
Le vieux parti auquel j'appartiens a toujours respecté la République dans ses racines. Pour nous, avant d'être député, il fallait avoir été conseiller municipal, maire-adjoint, maire, conseiller général ou régional. Si je n'avais pas suivi ce cursus, j'aurais sans doute été balayé par des amis socialistes évidemment, étant dans une circonscription soumise aux aléas de la politique nationale. La gauche passe, je suis élu ; la droite passe, je suis battu. Seul le mandat de maire procure à l'élu un enracinement capable de lui assurer une certaine permanence.
Je comprends qu'on veuille interdire le cumul des mandats de député et de conseiller régional. Élu conseiller régional en 1986, j'ai démissionné de cette fonction en 1997, alors que rien ne m'y obligeait. En 2012, alors que tous mes amis socialistes m'ont incité à de ne pas le faire – j'étais vice-président de la région et le principal allié de son président –, j'ai à nouveau démissionné, jugeant impossible d'exercer cette fonction en étant parlementaire. Depuis peu, d'ailleurs, un consensus semble se dégager en faveur du non-cumul de ces fonctions.
Pour les maires, en revanche, il s'agit de savoir où placer le curseur. Le maire d'une commune de 2 000 habitants n'est jamais président d'un conseil d'administration de centre hospitalier universitaire, du service départemental d'incendie et de secours ou de l'intercommunalité. Tentons donc de déterminer un seuil. On affaiblirait le rôle du Parlement en favorisant l'élection d'apparatchiks à la place des élus locaux qui possédaient la confiance de la population. Les fonctionnaires politiques issus du parti ou des collectivités territoriales n'auraient pas d'autre rôle que de conserver leur circonscription, alors que les maires représentent la vérité du territoire. En outre, une telle politique consacrerait la mort du Parti radical, qui s'est créé sur le lien consubstantiel entre le maire et parlementaire.
Il serait inconcevable que les suppléants se retrouvent de plein droit députés ou sénateurs, alors que nul ne l'avait annoncé. On ne peut faire l'impasse sur les élections partielles, qui sont la respiration de la vie démocratique. Ainsi, les revers essuyés récemment dans ce type de scrutin inviteront-ils peut-être la majorité à repenser sa politique. Quoi qu'il en soit, il faut que le texte aille au bout de sa logique : si les mandats de parlementaire et de maire ou de président du conseil général ou régional sont incompatibles, une nouvelle élection devra être organisée dans un délai de trois mois. À défaut, nous ne voterons pas le texte.