Je suis favorable à la limitation du cumul des mandats exercés par les parlementaires, mais je rappelle qu'on ne saurait progresser en ce domaine, dans lequel nous avons déjà réalisé des avancées, sans un consensus minimal. C'est la raison pour laquelle la commission Jospin n'a pas proposé le mandat unique, qui avait pourtant la faveur de certains de ses membres, notamment de tel ou tel universitaire. Lionel Jospin avait conscience qu'une telle réforme n'avait aucune chance d'être adoptée. C'est la raison pour laquelle, si je partage certains des points de vue exprimés par nos collègues Coronado et Tourret, je ne défendrai pas des positions qui aboutiraient par leur radicalité à interdire toute avancée, notamment au Sénat.
Au contraire, la position d'équilibre défendue par le ministre doit permettre de faire voter une avancée attendue par les Français. Il n'est certes pas niable en effet que les Français jugent la limitation du cumul des mandats nécessaire – d'autant qu'on leur rabâche sans relâche cette nécessité – mais certains cumuls sont à leurs yeux aussi problématiques que celui visé par ce texte : ils sont aussi choqués de voir un député diriger un cabinet ou occuper une chaire de médecine. C'est pourquoi je pense, comme le groupe écologiste, qu'il faudrait étendre les cas d'incompatibilité à certaines activités professionnelles aujourd'hui considérées comme compatibles avec l'exercice d'un mandat parlementaire. Il est vrai qu'il n'est pas politiquement correct de s'attaquer à des intérêts et des situations défendus par des lobbies puissants.
Il faudrait par ailleurs que l'interdiction du cumul des parlementaires s'accompagne de l'engagement de progresser vers la définition d'un statut de l'élu, qu'on nous promet depuis au moins le rapport Debarge, et de réfléchir à une restriction de la possibilité de cumuler des élus locaux, notamment s'agissant de fonctions exécutives dans des structures intercommunales. En un mot, le législateur, notamment au Sénat, devrait se préoccuper de restreindre toutes les possibilités de cumul de l'ensemble des élus, et non pas seulement des parlementaires.
En attendant, il faut préserver l'équilibre de ce projet de loi, qui se limite à l'essentiel : l'interdiction de cumuler un mandat parlementaire avec un mandat local. Définir un seuil d'application me semble délicat, outre qu'on perdrait la force symbolique d'une interdiction de cumuler avec des fonctions exécutives quelles qu'elles soient. En revanche, la notion de fonction exécutive peut prêter à débat : un adjoint au maire ne dirige pas un exécutif. Par ailleurs, si la fonction de maire d'arrondissement est considérée comme exécutive, il faudra en tirer les conséquences en leur reconnaissant un véritable pouvoir de gestion et de décision via une adaptation de la loi (Paris Marseille Lyon) PML.
Quant à la possibilité de cumuler un mandat parlementaire avec certaines professions et fonctions, quand d'autres restent incompatibles avec l'exercice d'un tel mandat, elle laisse un goût amer. L'Assemblée nationale ne sera pas vraiment représentative de la réalité de la société française, tant qu'il faudra être fonctionnaire, patron ou exercer une profession libérale pour pouvoir être parlementaire.
Quant à une interdiction du cumul dans le temps, elle me semblerait une restriction excessive de la liberté des électeurs de choisir ceux qui le représentent, alors que celle-ci est déjà limitée par des soucis certes légitimes de parité ou de représentation de la diversité et à un moment où la démocratie est fragilisée par une abstention élevée. Nous devons prendre garde à ne pas priver le citoyen de toute liberté réelle de choisir celles et ceux qu'il élit.
Je voudrais enfin parler de l'initiative d'une dizaine de députés, écologistes, socialistes ou UMP dont j'ai appris l'existence ce matin en écoutant la radio, comme un citoyen lambda. Au moment même où on débat de la transparence de la vie publique et du cumul des mandats, ces collègues ont décidé de lancer un appel à lutter contre les prétendus « privilèges » des députés, tels que le régime de retraite des parlementaires ou encore la réserve parlementaire. J'ai entendu une journaliste prétendre à cette occasion que chaque parlementaire percevait chaque année 110 000 euros au titre de la réserve parlementaire. Tant que nous ne cesserons de nous tirer des balles dans le pied, il ne faudra pas s'étonner que de telles contrevérités soient diffusées par les médias. S'ils étaient respectueux du fonctionnement démocratique, c'est au sein des groupes parlementaires ou des commissions que nos collègues devraient faire ce type de propositions, et non pas dans la presse.