Intervention de Philippe Doucet

Réunion du 19 juin 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Doucet, rapporteur :

Vous connaissez plus le latin que moi, madame Genevard, mais je garde l'avantage en mathématiques. En effet, les chiffres de l'étude d'impact ne prouvent en rien la spécificité du cumul entre le mandat de député et celui de maire : l'écrasante majorité des députés-maires dans les cas de cumul traduit simplement le fait que la France compte 36 000 communes. Quand bien même tous les présidents de conseil régional seraient députés, ils ne représenteraient même pas 5 % des cas de cumul !

Plus sérieusement, j'en viens à l'argument qui est au coeur de l'opposition à ce texte : l'interdiction du cumul des mandats ferait des députés des déracinés dans une Assemblée hors sol, voire de purs apparatchiks parisiens prisonniers des états-majors partisans. Certains évoquent même le risque d'être obligé d'être présent à l'Assemblée nationale du lundi matin jusqu'au samedi soir !

Dois-je rappeler les nombreux Parlements étrangers à qui nous n'avons pas de leçons à donner en matière d'ancrage local alors que le cumul n'y existe quasiment pas, voire pas du tout ? Je ne conteste pas la nécessité d'un « ancrage local », mais la loi ne l'interdit pas, contrairement à ce que prétendait hier notre collègue Fasquelle : elle se contente de créer une nouvelle incompatibilité entre des fonctions exécutives locales et un mandat de parlementaire. Les parlementaires qui souhaitent un ancrage local pourront toujours être membres de l'assemblée délibérante d'une commune, d'un département, d'une région ou d'une intercommunalité. En cela, le projet de loi est un texte d'équilibre, comme l'a souligné notre collègue Vaillant.

Ma conviction est que tant que les députés seront les élus d'une circonscription, leur élection reflétera la réalité du territoire, et c'est la raison pour laquelle je suis attaché à l'actuel mode de scrutin. Je suis convaincu qu'une force politique pèse quand elle est capable d'emporter l'adhésion d'une majorité de nos concitoyens sur un territoire donné. C'est pourquoi, cher collègue Geoffroy, il faudra trouver un autre argument contre ce texte que d'y voir un moyen d'imposer à terme l'élection des députés à la proportionnelle intégrale. Au cours de la campagne présidentielle, le candidat Hollande s'est simplement engagé à introduire une dose de proportionnelle, tandis qu'environ 90 % des députés devraient rester élus au scrutin uninominal par circonscription. Ce n'est donc pas le mode de scrutin qui changera, mais seulement les caractéristiques des carrières politiques.

S'agissant du périmètre d'application de l'interdiction de cumul, je ne suis pas favorable à l'introduction d'un seuil démographique qui viendrait brouiller la clarté du message. Dans sa rédaction actuelle, l'article 1er a le mérite d'être simple à comprendre. Je suis cependant sensible à l'argument de la nécessité d'interdire le cumul avec les fonctions exécutives dérivées, tels que celle de président d'un syndicat mixte ou d'une société d'économie mixte. Nous devrons compléter l'article 1er sur ce point.

Je suis également sensible à l'argument selon lequel l'interdiction du cumul avec la fonction de maire d'arrondissement ou de maire de secteur doit avoir pour conséquence une redéfinition de leur rôle.

L'autre débat essentiel porte sur la question de savoir si le non-cumul va renforcer, ou au contraire affaiblir le Parlement. Selon certains de nos collègues, tel M. Fasquelle, ainsi que des universitaires comme M. Olivier Beaud, la présence de puissants élus locaux permettrait au Parlement de peser face au pouvoir exécutif. Il m'avait échappé que la forte présence de tels élus dans nos assemblées, qui en comptent depuis toujours, avait favorisé un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement ! Quant à invoquer Olivier Beaud, qui prétend combattre un mal – le poids de l'exécutif dans les institutions de la Ve République – par un autre mal – le cumul des mandats –, pour nous convaincre de renoncer à ce projet de loi, cela me semble plutôt contre-productif.

Tous les constitutionnalistes que nous avons entendus, même ceux favorables à une application de la loi dès 2014, ont indiqué que la date de 2017 était juridiquement la plus sûre. Les deux précédentes lois organiques de limitation du cumul des mandats de 1985 et de 2000 prévoyaient déjà une entrée en application à l'issue des mandats parlementaires, le législateur considérant que la mise en oeuvre de ces dispositions demanderait du temps, étant donné l'ampleur des évolutions qu'elles entraîneraient dans nos territoires. Le présent projet de loi organique devant conduire à des évolutions encore plus considérables, une entrée en application à l'échéance des mandats parlementaires est encore plus légitime.

Enfin de nombreux parlementaires, y compris de l'opposition, considèrent le choix de 2017 comme une solution plus équilibrée.

Le ministre de l'Intérieur a rappelé que l'interdiction du cumul de fonctions et mandats locaux constituerait une prochaine étape ; celle-ci devrait intervenir avant la fin de la mandature. Cependant cette réforme relève d'une loi simple, et non d'une loi organique. Certains députés proposent d'inscrire cette mesure dans le projet de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen ; je crains cependant qu'elle n'y fasse figure de cavalier législatif. Par ailleurs, il faudrait auparavant instituer un statut de l'élu local, et surtout renforcer les moyens à la disposition des parlementaires pour exercer leur mandat. En tout état de cause, je pense, comme notre collègue Dolez, que si nous ne réalisons pas cette première étape, nous sommes certains de n'arriver à aucune des suivantes, notamment celle de la création d'un véritable statut de l'élu local, souhaité par tous les élus.

Certains d'entre vous prétendent que nos concitoyens ne souhaitent pas cette réforme, arguant à l'appui de cette affirmation du fait qu'ils élisent des candidats cumulant les mandats. Comme si vous ignoriez que d'autres éléments entrent en jeu lors d'une élection ! Si, par exemple, le parti dont la majorité des électeurs est proche présente un candidat qui cumule, ceux-ci sont bien obligés de voter pour lui. Ne reprochons donc pas aux électeurs les turpitudes de notre classe politique et tenons-nous en aux résultats des enquêtes d'opinion, qui toutes indiquent que nos concitoyens attendent cette réforme.

La Commission examine ensuite le rapport de la mission d'information sur le statut de l'élu (MM. Philippe Doucet et Philippe Gosselin, rapporteurs).

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