Intervention de Philippe Doucet

Réunion du 19 juin 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Doucet, rapporteur :

Je tiens d'emblée à me féliciter des conditions dans lesquelles s'est déroulée cette mission. Je crois que nous avons accompli un travail de qualité avec mon collègue Philippe Gosselin, dans le respect mutuel de nos convictions et dans un temps assez contraint puisque nous avons avancé la date de présentation de nos conclusions.

Tuer le serpent de mer que représente le statut de l'élu était l'un des objectifs que nous nous étions fixés. Pour nous, quatre raisons principales ou objectifs rendent indispensable l'établissement d'un véritable statut de l'élu. En premier lieu, il nous apparaît nécessaire de favoriser l'égal accès aux fonctions électives et le renouvellement de la représentation politique. Il ressort des auditions que nous avons réalisées et, notamment, des chiffres communiqués dans ce cadre par l'Association des villes moyennes (c'est-à-dire des villes de 5 000 à 20 000 habitants) à propos du profil sociologique des maires que 60 % d'entre eux sont des retraités, 20 % des fonctionnaires (professeurs ou anciens cadres des collectivités territoriales) ; 18 % appartiennent à la catégorie des professions libérales (avocats, médecins, vétérinaires) et seulement 2 % se recrutent dans d'autres catégories socioprofessionnelles. Ce dernier chiffre n'est évidemment pas à l'image de la société française et on voit bien une distorsion considérable de la représentation sur le plan de l'âge et de l'appartenance socio-professionnelle.

Le deuxième objectif que nous poursuivons est de donner aux élus les moyens d'accomplir leur mandat. Le troisième objectif est de répondre à une demande croissante de transparence de la part des citoyens en rendant les dispositifs compréhensibles. Le quatrième et dernier objectif porte sur l'équilibre des droits et des devoirs des élus dans l'exercice de leurs responsabilités.

Le Parlement examine actuellement des projets de loi tendant à renforcer la transparence de la vie publique ainsi qu'un texte interdisant le cumul d'un mandat parlementaire et de fonctions exécutives locales. Mais il s'agit également d'accepter le prix de la démocratie. Si les citoyens estiment que la démocratie coûte trop cher, ils peuvent choisir de vivre sous un autre régime ! On peut sans doute reprocher beaucoup de choses aux élus mais ils participent du fonctionnement de la démocratie. Cette démocratie a un coût qu'il faut afficher. Depuis la loi que Michel Rocard a fait voter en 1990 sur la limitation des dépenses électorales et la clarification du financement des activités politiques, les citoyens peuvent connaître le coût des campagnes électorales car les règles sont fixées de manière transparente. Une même exigence s'impose en ce qui concerne les élus. Nous avons besoin d'élus aux parcours divers, disposant des moyens d'accomplir leur tâche et d'assumer leur responsabilité dans des conditions qui leur assurent l'indépendance nécessaire.

Les échanges que nous avons eus dans le cadre des travaux de la mission ont montré d'abord que personne ne veut d'un passage à un modèle dit « allemand » qui tend à assimiler certains élus locaux à des fonctionnaires. Au contraire, la plupart des personnes que nous avons entendues ont exprimé un attachement au principe de gratuité des fonctions, à cette idée – qui fait partie de la tradition politique héritée de la Révolution française – que les élus se mettent au service du bien public en exerçant leurs fonctions de manière gratuite et en ne percevant qu'une indemnité. Cette tradition politique française conserve aujourd'hui toute sa force.

Les travaux de la mission ont par ailleurs mis en lumière une certaine méconnaissance des dispositifs existants. Nous avons en effet reçu un certain nombre de demandes – y compris de la part d'associations d'élus possédant une certaine expertise – qui, après examen, se sont révélées déjà satisfaites par le droit existant.

Ce constat nous conduit à proposer de regrouper, dans une partie du code général des collectivités territoriales, l'ensemble des dispositions relatives aux droits et devoirs des élus locaux sous une forme claire et intelligible. Ainsi, le code comportera en son sein un statut de l'élu formalisé. C'est l'objet de la proposition n° 29.

Le rapport répond ensuite à une demande de transparence et d'intelligibilité car notre système est si complexe que les citoyens s'y perdent. Il faut assurer sa lisibilité. D'où notre proposition n° 24 qui consiste à consacrer les obligations déontologiques et les droits des élus dans une « charte des droits et des devoirs » qui sera lue à l'occasion de chaque renouvellement des exécutifs et des organes délibérants. De telles chartes existent aujourd'hui dans les grandes entreprises, notamment internationales : elles expliquent aux salariés les règles de fonctionnement. Notre idée est bien de donner une valeur informative à cette charte qui rappellera aux élus leurs droits et leurs devoirs mais qui permettra également aux citoyens de les connaître.

Dans un souci de transparence, le rapport comporte une proposition n° 19 visant à établir un contrôle de l'application des règles relatives à l'écrêtement des indemnités de fonction. Celui-ci s'impose en principe aux élus mais il n'existe en pratique aucun dispositif de nature à en garantir le respect en toutes circonstances. Dans le cas des députés maires, les services communaux peuvent s'assurer que les indemnités liées au mandat municipal ne dépassent pas le plafond légal. En revanche, dans le cas d'une participation des élus à des syndicats de coopération divers ou lorsqu'ils perçoivent des jetons de présence en siégeant dans le conseil d'administration d'un office HLM, il n'y a pas d'instance spécifique de contrôle. C'est pourquoi le rapport propose que tous les ans, les élus déclarent l'ensemble des indemnités perçues, quelle qu'en soit l'origine (indemnités au titre des mandats de député et de maire, de l'exercice de fonctions dans les intercommunalités ou des syndicats mixtes, jetons de présence versés pour la participation aux conseils d'une société d'économie mixte). Cette déclaration devrait être envoyée à l'administrateur général des finances publiques du lieu de leur domicile, là où ils établissent leur déclaration de revenus. Il s'agirait d'une déclaration spécifique qui garantirait l'application des règles de l'écrêtement sur l'ensemble du territoire.

La proposition n° 26 vise quant à elle la publication de l'usage de la réserve parlementaire. Sur ce point, chacun doit assumer ses choix.

En ce qui concerne l'amélioration des conditions matérielles d'exercice des mandats, le rapport ne remet pas en cause le principe républicain de gratuité des fonctions électives. Il propose le financement d'une « allocation de retour à l'emploi » par le prélèvement d'une cotisation assise sur les indemnités de fonction des élus. Actuellement, seuls les retraités et les fonctionnaires ou les élus en mesure poursuivre une activité professionnelle peuvent envisager d'exercer des fonctions électives sans courir le risque de ne pas retrouver, après la fin de leur mandat, la position qu'ils occupaient avant d'être élus. Avec la proposition n° 2, les élus bénéficieraient d'un système prudentiel qu'ils autofinanceraient.

Un autre objectif de la mission est d'accorder aux élus locaux un droit individuel à la formation, financé par une cotisation obligatoire prélevée sur les indemnités de fonction. On constate en effet que les formations qui leur sont destinées sont difficilement mises en place. Tel est l'objet de nos propositions n° 20 et 21.

En matière de formation, le rapport préconise également l'élaboration d'un socle des compétences minimales pour l'exercice des fonctions exécutives locales. Les budgets alloués aux dépenses de formation à l'exercice des fonctions d'élu demeurent très peu utilisés. Or, si les fonctionnaires territoriaux possèdent aujourd'hui un bon niveau de formation, notamment par rapport aux évolutions réglementaires, grâce aux délégations régionales du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), tel n'est pas le cas des élus, qui se trouvent ainsi en situation de décalage. L'objectif est donc d'abord de rendre obligatoire un montant minimal de dépenses des collectivités en faveur de la formation de leurs élus, de manière à ce que ceux-ci puissent recevoir une sorte de « kit de début de mandat », en particulier sur le droit des finances locales – sujet souvent complexe – et sur les règles du d'urbanisme. Nous pensons que le CNFPT pourrait dispenser des formations adaptées aux besoins des élus par le biais de ses délégations régionales, de sorte qu'ils bénéficient d'une formation organisée de manière décentralisée.

La mission propose une revalorisation de 10 % des indemnités de fonction des élus des communes de 3 500 à 50 000 habitants, ce qui représente 2 836 communes et 43 % de la population nationale. On peut estimer que le montant des indemnités versées dans les petites et dans les grandes communes apparaît raisonnable eu égard à la disponibilité laissée par ces fonctions. Au contraire, pour les élus des communes de plus 3 500 habitants et jusqu'à 50 000 habitants, il s'avère plus difficile de poursuivre une activité professionnelle avec un mandat de maire. C'est pourquoi nous proposons une revalorisation des indemnités des élus pour cette catégorie de collectivités.

Alors que la République repose sur le principe d'égalité, nous avons constaté l'existence de disparités dans le régime indemnitaire des élus départementaux et régionaux. Les indemnités versées varient en effet fortement suivant la population des collectivités. Cependant, entre un département d'Ile-de-France densément peuplé, disposant de moyens de transport en commun, et un département rural d'une région de montagne dont les élus doivent réaliser de nombreux déplacements, je ne suis pas sûr qu'il ne faille prendre en considération que les disparités de population. Le régime indemnitaire devrait tenir compte d'autres critères comme l'étendue des départements, les infrastructures routières, l'équipement en transports en commun. Aujourd'hui, les écarts entre les indemnités des conseillers généraux peuvent varier du simple au double sous l'effet du facteur démographique. Cela n'a pas de sens. C'est pourquoi le rapport propose la suppression de la tranche indemnitaire la plus faible et de la tranche indemnitaire supérieure dans le régime applicable aux départements afin de réduire les disparités. Il comporte la même proposition pour les élus régionaux, étant observé que leur régime indemnitaire comporte une strate de moins.

Je voudrais insister à présent sur la responsabilité pénale des élus car ce sujet est revenu de manière fréquente au cours de nos auditions. Il existe une véritable crainte chez les élus d'être mis en cause pour des délits non intentionnels tels que ceux reconnus dans des affaires liées à la chute de panneaux de basket. Nous avons interrogé la Chancellerie. Ses services ne relèvent pas de problème dans l'application du droit existant alors que les élus perçoivent au contraire un problème d'une certaine acuité. Dans ces conditions, le rapport a travaillé sur deux idées : d'une part, il faut maintenir le principe de la responsabilité pénale des élus ; d'autre part, il convient d'étendre le champ de la responsabilité pénale des collectivités territoriales en matière de délits non-intentionnels. Dès lors, la responsabilité des élus ne devrait être mise en cause que si ceux-ci n'ont pas pris les mesures nécessaires et ne se sont pas montrés suffisamment vigilants, par exemple en ne donnant pas suite à des rapports des services techniques, à des pétitions ou des signalements concernant la fragilité d'un équipement. En revanche, leur responsabilité ne devrait pas être recherchée s'il n'y a pas de lien direct entre leur action et le dommage. Tel serait, par exemple, le cas si une personne glisse sur des gravillons, tombe dans un lac et se noie. Dans cette hypothèse, il apparaît préférable de mettre en cause la responsabilité de la collectivité.

Le rapport affirme que le montant des indemnités des élus doit être fixé par le Parlement. Cette proposition répond à une demande générale. Cela évitera les débats difficiles dans les petites communes qui interviennent juste après l'installation des maires. Il faut une règle claire afin que la fixation des indemnités des élus ne semble pas résulter d'un arrangement local, que ce soit pour les maires, les conseillers généraux et les conseillers régionaux

On trouve parmi les anciens élus des retraités pauvres touchant de faibles retraites alors qu'ils se sont longtemps engagés au service du bien public. La mission propose de rendre obligatoire la constitution d'une retraite par rente pour les élus touchant des indemnités de fonction afin de résoudre ce problème.

Au total, le rapport comprend 29 propositions. Il est le fruit du travail que nous avons accompli avec Philippe Gosselin et je tiens à redire, pour conclure, que je me félicite du résultat auquel nous sommes parvenus, moi le député francilien et lui le député d'un département rural.

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