Intervention de Philippe de Ladoucette

Réunion du 19 juin 2013 à 10h30
Commission des affaires économiques

Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l'énergie :

Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir. Sachant que le rapport de la CRE a fait quelque bruit, je vais m'attacher à cadrer la méthodologie que nous avons adoptée et le contexte dans lequel nous avons élaboré ce rapport.

D'abord, c'est le périmètre des compétences de la Commission de régulation de l'énergie dans le cadre des tarifs réglementés de vente d'électricité qui a défini le champ de son analyse des coûts d'EDF. Les textes actuels prévoient que les tarifs couvrent les coûts de fourniture d'EDF et que la CRE donne un avis sur les arrêtés ministériels qui les fixent. Ces avis s'appuient notamment sur les éléments comptables fournis par EDF. À cette fin, la CRE a un droit d'accès à la comptabilité de l'entreprise et aux informations financières, économiques et sociales nécessaires à l'exercice de son contrôle. En revanche, elle n'a aucun titre ni aucune compétence pour faire des prescriptions sur le niveau des dépenses et la gestion. Si elle vérifie le niveau d'un tarif réglementé, elle ne régule pas l'entreprise dans sa partie en concurrence. Je le souligne parce que c'est exactement le contraire en ce qui concerne les gestionnaires de réseaux d'électricité ou de gaz, lorsque nous discutons avec eux le tarif d'accès aux réseaux. Nous demandons la justification préalable des dépenses envisagées et, si nous estimons devoir le faire, nous contestons ces dépenses. C'est un rôle complètement différent : ici l'on régule et là on constate. C'est ce que j'ai dû expliquer aux associations de consommateurs, qui ne comprenaient pas très bien que la CRE ne donne pas d'élément d'appréciation sur les dépenses : nous n'en avons ni la légitimité ni la compétence.

Notre rapport ne procède pas d'un audit comptable au sens propre des coûts d'EDF, mais d'un exercice qui permet de savoir ce qui s'est passé au cours des cinq dernières années et ce qui se passe pour l'année 2013. En janvier 2013, pour les besoins d'un premier rapport sur le fonctionnement des marchés de détail, nous avions effectué une analyse de la composition des factures de certains clients entre grandes typologies de coûts – acheminement, production, commercialisation, contribution au service public de l'électricité (CSPE) et autres taxes. Nous indiquions, dans ce rapport, que nous voyions une évolution des tarifs de l'électricité, d'ici à 2017, de l'ordre de 30 % pour les tarifs bleus. Ce qui ressort du rapport d'aujourd'hui ne remet pas en cause cette trajectoire : on est bien dans l'ordre des 30 %, avec une évolution annuelle qui pose problème.

Nos travaux concordent avec la demande de Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, exprimée dans une lettre du 27 février 2013, de procéder à une telle analyse pour éclairer en amont les choix du Gouvernement dans la détermination de l'évolution des tarifs réglementés d'électricité.

J'en viens maintenant à l'analyse des coûts de production et de commercialisation d'EDF et de leurs grands déterminants d'évolution. Comme le souhaitait la ministre, nous avons choisi de réaliser une analyse rétrospective de ces coûts sur les cinq dernières années et de donner des éclairages sur leurs évolutions probables sur les trois années suivantes, donc jusqu'en 2015, étant entendu que les coûts de 2007 à 2012 sont strictement connus, constatés dans la comptabilité et audités par les commissaires aux comptes d'EDF, que les coûts pour l'année 2013 sont évalués selon la méthode que la CRE applique chaque année pour son analyse des mouvements tarifaires, sur la base des éléments transmis par EDF, et que, pour 2014 et 2015, ils relèvent des meilleures prévisions que la CRE puisse faire aujourd'hui, sur la base des chiffres exposés par EDF.

L'analyse tarifaire de la CRE consiste à vérifier la couverture des coûts par les tarifs réglementés. Pour ce faire, dans un premier temps, elle évalue le coût comptable de fourniture d'EDF, puis, dans un second temps, elle répartit ce coût entre les clients qui sont en offre de marché et au tarif réglementé, puis, au sein des tarifs réglementés, entre chaque couleur tarifaire – bleu, jaune et vert. Pour les besoins du rapport en question, nous avons bien précisé ces deux aspects successifs de l'analyse tarifaire, examinant, d'une part, les coûts de fourniture en eux-mêmes, et annualisant, d'autre part, les clés de répartition de ces coûts.

Le coût comptable de fourniture comprend plusieurs composantes : les charges de capital liées à l'activité de fourniture d'électricité, qui représentent essentiellement le capital immobilisé dans les actifs de production d'EDF ainsi que sa rémunération ; les charges fixes et variables d'exploitation, qui traduisent les dépenses qu'EDF doit engager pour faire fonctionner son actif de production – personnels, combustibles, achats ; les coûts commerciaux. En 2012, les coûts commerciaux représentent 8,8 % des coûts comptables de fourniture d'EDF. Ils ont très nettement augmenté entre 2008 et 2012, essentiellement pour trois raisons : la hausse des coûts de personnel, à la fois en prix et en volume ; la mise en oeuvre de systèmes d'information requis par les exigences de séparation des activités de distribution d'ERDF de sa maison-mère, en application des directives européennes ; la mise en oeuvre de dispositifs de certificat d'économie d'énergie, responsable du tiers de la hausse observée sur la période.

En matière d'investissements, EDF est confrontée à un besoin très important – et probablement de plus en plus important dans les années à venir – pour faire face au renforcement des exigences de sûreté consécutif à l'accident de Fukushima et remplacer les grands composants de son outil de production, le plus fréquent étant le générateur de vapeur. À cet égard, soulignons qu'EDF n'a pas encore atteint le pic de ses investissements dans ces trois secteurs.

Permettez-moi une analyse rapide des coûts d'investissement. La période 2007-2012 a donné lieu à deux phénomènes notables. D'abord, un doublement des investissements de production, de 2,2 milliards à 4,4 milliards, la quasi-totalité de cette croissance étant portée par le nucléaire historique, avec une hausse sur la période de 22 % par an. Cette tendance haussière devrait se poursuivre dans le futur, dans des proportions et une typologie des dépenses similaires, avec l'accélération des remplacements des grands composants et le déploiement du retour d'expérience de Fukushima. Les investissements dans le parc thermique, le parc hydraulique et surtout le nouveau nucléaire contribuent significativement à l'enveloppe globale des investissements de production, à hauteur de 39 %.

Ces investissements génèrent un besoin de trésorerie, et donc de financement, très important. Si les montants de ces investissements se répercutent naturellement et légitimement dans le coût comptable de production par la mécanique des amortissements, ce n'est que de manière progressive et d'autant plus étalée que les investissements s'amortissent sur des durées de vie longue et, de surcroît, avec un effet retard. Ce dernier effet est typiquement illustré par l'EPR Flamanville, pour lequel EDF a d'ores et déjà dépensé plusieurs milliards d'euros, mais qui n'est pas encore intégré dans le coût de production de l'électricité – et pour cause puisqu'il ne produit pas –, donc qui n'est pas aujourd'hui couvert par les tarifs réglementés ni les évolutions évoquées. En conséquence, même si les tarifs couvraient les coûts comptables assurant l'équilibre budgétaire de l'entreprise, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, ils ne permettraient pas nécessairement à EDF de générer le cash nécessaire pour investir sans dégrader significativement ses ratios d'endettement. À cet égard, la CRE procédera, dans un futur assez proche, à des études complémentaires pour quantifier ces effets.

Concernant les charges fixes et les charges variables d'exploitation, nous avons jusqu'à présent parlé des coûts commerciaux dont l'enveloppe a été significativement réévaluée et des investissements dont les évolutions passées et les prévisions d'évolution futures sont tout à fait significatives. Cependant, le principal poste du coût comptable de fourniture demeure très largement le coût d'exploitation, qui en atteint presque les deux tiers – 64,5 %. Ce coût d'exploitation comporte des charges fixes d'exploitation, qui ne dépendent pas du volume de production d'électricité et qui pèsent pour 44 % du coût total, et des charges variables, qui dépendent, elles, de la production de l'année et pèsent pour les 20 % restants. Sur l'ensemble de la période 2007-2012, les charges fixes, qui comprennent principalement les achats de prestations de maintenance, les charges de personnel, les impôts et taxes et les coûts des fonctions support et appui, ont augmenté à un rythme de l'ordre de 5,1 % par an, correspondant à une hausse globale de 2,5 milliards. Les charges variables, qui comprennent essentiellement les achats de combustible des différentes filières de production et des achats d'énergie sur les marchés, qui dépendent donc des volumes d'énergie produite, ont également évolué de 5,1 % par an. On estime que, à l'avenir, le rythme d'évolution devrait être un peu moins soutenu que celui des cinq dernières années.

J'en viens à la problématique un peu plus technique des clés de répartition des coûts par client. La méthode retenue pour le calcul des tarifs réglementés d'électricité est basée sur l'approche relativement théorique, qui a toujours été la même, du parc adapté, c'est-à-dire d'un parc qui n'est pas interconnecté avec le reste des moyens de production européens – ce qui n'est pas le cas. Le principe est de comparer ce qui est comparable, en procédant comme on l'a toujours fait. Il serait souhaitable d'évoluer, mais seulement le jour où la loi NOME entrera réellement en application, à partir de 2016, quand on construira les tarifs réglementés bleus par empilement des coûts, les tarifs vert et jaune ayant disparu. Dès lors, avec l'entrée du marché de capacité, ce référentiel théorique pourrait être modifié au profit d'un modèle plus proche de la réalité. Le modèle actuel a beau être théorique, il ne nous donne pas pour autant d'incertitude. C'est sur cette base qu'on a construit les tarifs réglementés depuis qu'ils existent. Pour plus de précision, citons le rapport : « la méthode du parc adapté semble demeurer aujourd'hui, compte tenu du design du système électrique français – notamment en raison de l'existence d'un marché de gros energy-only ne reflétant pas nécessairement bien la valeur de la capacité de production – la méthode la plus pertinente pour construire des clefs de répartition de coûts. Néanmoins, et notamment lorsque le marché de capacité sera mis en place, d'autres méthodes (plus conformes au contexte d'ouverture des marchés et compatibles avec la nouvelle construction des tarifs en 2016 par empilement des coûts introduite par la loi NOME) pourront être envisagées, notamment par la prise en compte des prix de marché, énergie et capacité. »

C'est à partir de ces clés que nous avons élaboré les scénarios d'évolutions tarifaires. Premier calcul, la hausse tarifaire qu'il aurait fallu appliquer en 2012 pour couvrir les coûts d'EDF de 2012 tels qu'ils sont aujourd'hui connus : elle aurait dû être de 9,4 % pour les clients en tarif bleu, de 5,8 % pour les clients en tarif jaune et de 3,3 % pour les clients en tarif vert. La hausse a été de 2 %, créant un manque à gagner pour EDF évalué aujourd'hui à 1,470 milliard. Celui-ci devra être rattrapé, selon un calendrier qui reste à la main du Gouvernement. Si la CRE ne fait aucune préconisation, la jurisprudence du Conseil d'État donne quelques éléments : d'une part, les tarifs doivent couvrir au minimum les coûts ; d'autre part, toute décision concernant une évolution tarifaire présentant un décalage notoire avec la décision tarifaire précédente doit donner lieu à un rattrapage. Comment et dans quelle durée n'est pas le sujet de mon exposé.

Deuxième calcul, la hausse tarifaire qu'il faudrait appliquer en 2013 pour couvrir les coûts de 2013 tels qu'estimés par la CRE sous deux hypothèses, l'une avec une durée d'amortissement comptable des centrales nucléaires historiques de quarante ans, l'autre avec une durée de cinquante ans. L'allongement de la durée d'amortissement comptable des centrales est un projet explicite de la part de l'entreprise EDF. Après débat au sein du collège, la CRE a estimé qu'elle ne pouvait pas faire complètement l'impasse sur cette option, au risque de se trouver en décalage par rapport à la réalité si l'amortissement comptable à cinquante ans était décidé, et de se voir reprocher de fausses estimations. Les résultats des calculs des évolutions tarifaires pour 2013 sont donc les suivants : 9,6 % sans allongement et 6,8 % avec allongement en tarif bleu ; 5,8 % sans allongement et 2,7 % avec allongement en tarif jaune ; 3,8 % sans allongement et 0 % avec allongement en tarif vert.

Pour 2014 et 2015, les estimations sont de l'ordre de 3,2 % en tarif bleu, de 3,4 % en tarif jaune et de 3,7 % en tarif vert.

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