Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 24 septembre 2012 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Louis Carrère, président :

Depuis notre rapport de décembre dernier, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) a publié en février sa propre analyse et la délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense a édité en mars ses Horizons stratégiques, qui tentent de dessiner les lignes de force de ce que sera l'environnement stratégique de notre pays à l'horizon 2040. Ces travaux permettent de compléter et d'actualiser notre propre réflexion, que je vais maintenant vous présenter.

Hubert Védrine nous l'a montré : la véritable rupture stratégique, c'est la chute du mur de Berlin, qui consacre la fin de quatre siècles de domination occidentale et marque le début d'un rééquilibrage au profit des pays émergents, sur fond de crise économique et financière.

Les conséquences de ce choc sont de trois ordres. D'abord, sans que l'on puisse parler de déclin, le leadership des États-Unis est fragilisé et leur position est relativisée, notamment vis-à-vis de la Chine. L'effort militaire américain porte désormais de plus en plus vers le Pacifique : l'Europe n'est plus pour eux une priorité ; constitue-t-elle même encore un atout stratégique, un allié crédible ? On peut se le demander.

En deuxième lieu, l'Europe est divisée, donc impuissante. Aucun accord n'existe sur l'opportunité ou même la légitimité du recours à la force. Faute d'un sursaut politique, notre continent est menacé de déclassement.

Enfin, les grands équilibres se sont déplacés vers l'est et, dans une moindre mesure, vers le sud. Nous voyons apparaître un monde oligopolaire, structuré autour de pôles régionaux ou fondé sur des alliances pragmatiques à géométrie variable selon les intérêts en jeu. Reste à savoir si la France et l'Europe seront des acteurs de ce monde en devenir.

Aujourd'hui, les pays émergents – souvent très largement émergés d'ailleurs – revendiquent leurs droits et contestent les attributs du pouvoir ancien des puissances occidentales, notamment la définition des normes internationales. Mais ils n'agissent pas encore pour réguler le nouvel ordre international dont ils sont devenus acteurs : l'un des grands enjeux de la diplomatie est de les engager à le faire.

Depuis 2008, nous avons connu deux surprises stratégiques : la crise économique et financière, qui agit comme un révélateur du nouveau monde vers lequel nous allons, avec en particulier la montée en puissance de la Chine ; les « printemps arabes », dont l'onde de choc se propage encore.

Le Livre blanc de 2008 – dont les analyses demeurent en grande partie pertinentes – était encore très marqué par le modèle de la domination occidentale et par l'idéologie de la lutte contre le terrorisme, sous l'impulsion américaine. Nous souhaitons dépasser la notion mal définie d'« arc de crise » ou « des crises », même si elle conserve une certaine utilité : c'est une facilité géographique, qui ne suffit pas à rendre compte de la diversité des zones où nos intérêts sont engagés, comme au Pacifique sud, dans les Caraïbes, en Guyane ou dans le canal du Mozambique. Le retrait d'Afghanistan ne rend pas la zone AfPak (Afghanistan-Pakistan) moins dangereuse ; de même, la sécurité de la zone sahélienne, où se situe aujourd'hui l'une des principales menaces, s'inscrit dans l'axe de nos bases au Gabon, au Tchad et à Djibouti.

Nous avons donc proposé de parler d'« aires d'investissement stratégique majeur » : la notion d'investissement ou d'intérêt est en effet centrale. Ce concept paraît plus souple, moins strictement géographique, plus politique et ne se limite pas à rendre compte de la réalité du monde arabo-musulman.

Ce rééquilibrage à l'échelle planétaire nous oblige à repenser les enjeux militaires.

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