Intervention de Jacques Gautier

Réunion du 24 septembre 2012 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jacques Gautier, sénateur :

La Commission du Livre blanc compte quarante-cinq personnes, dont six parlementaires seulement. Les militaires étant tenus au devoir de réserve, il reste donc les experts, et la technostructure. Ne sous-estimons pas cette dernière !

D'autre part, il s'agit de rédiger un document de 60 à 80 pages – plutôt que de 300 pages comme c'était le cas en 2008 : cela nous permettra d'être plus pédagogiques. Nous présenterons des scénarios : il reviendra ensuite au Président de la République de faire des choix : ce qui comptera, finalement, ce sera la loi de programmation militaire et les crédits que nous voterons !

S'agissant de la question du format et de l'emploi des forces, j'associe à mes propos mon collègue André Dulait.

L'outil de défense d'un pays doit répondre d'abord à ses ambitions de défense.. Qu'on commence donc par définir les missions. Les militaires ne savent pas définir abstraitement un format minimal des forces : c'est au politique, et à lui seul, qu'il revient de fixer nos ambitions, de dire quelle place nous souhaitons occuper dans le monde ; les militaires adapteront ensuite l'outil de défense aux missions fixées. Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs et aussi ne pas se tromper de menaces.

L'armée de la guerre froide était une armée conventionnelle, composée en majorité de blindés et adossée à notre outil de dissuasion nucléaire : elle était conçue pour répondre à la menace d'un déferlement de chars soviétiques.

Après la chute du mur de Berlin, on peut parler de risques et de vulnérabilités plutôt que de menaces. Nos interventions se déroulaient pour la plupart en Afrique, et l'extrême faiblesse militaire de nos adversaires a pu donner l'impression que des forces très légères – parachutistes, troupes de marine, quelques matériels parfois vieillissants – suffisaient à tenir des territoires et à les sécuriser.

Ce paysage a changé. Nous avons d'abord assuré des missions dans le cadre de l'ONU – la France est membre permanent du Conseil de sécurité et choisit de le rester. D'autres missions sont liées à l'OTAN ou à des accords de défense, par exemple avec le Gabon ou les Émirats arabes unis. Ces accords ont été renouvelés et sont en cours d'adoption au Parlement. Enfin, nous sommes présents outre-mer.

Nous sommes intervenus sans doute plus que nous ne l'aurions souhaité, et sur des terrains bien différents. En Afghanistan, la plus grande part a été assumée par l'armée de terre, avec un appui aérien et des missions de renseignement. En Côte-d'Ivoire, on a renoué quelque peu avec les anciennes interventions en Afrique et nos forces prépositionnées ont réussi à faire face. En Libye, nous avons d'abord défini une zone d'interdiction de vol, avant de lancer des frappes en profondeur, grâce à l'armée de l'air, puis à la marine et l'armée de terre, avec l'appui des bâtiments de projection et de commandement (BPC). Les hélicoptères Tigre et Gazelle utilisés n'étaient pas de la première jeunesse… mais nous avons su remplir ces missions, grâce aux choix faits par nos prédécesseurs il y a trente, vingt ou quinze ans.

Nous sommes d'autre part présents sur de nombreux théâtres et participons à de nombreuses opérations de sécurisation à la demande des Nations Unies : au Liban, depuis longtemps, en République démocratique du Congo, au Kosovo, ou en Géorgie avec la gendarmerie.

Nous avons ainsi conduit plus d'opérations extérieures (OPEX) que nous ne l'avions envisagé. Les militaires nous mettent d'ailleurs en garde : il est très difficile d'être présent sur de nombreux théâtres, même de façon légère.

Ces dernières années, environ 12 000 d'entre eux ont été projetés à l'extérieur de nos frontières pour remplir des missions de l'ONU ou de l'Union européenne : pour mener l'opération Atalanta, par exemple, nous avons mobilisé des moyens et des troupes, et nous avons souvent frôlé les limites de nos capacités.

Des faiblesses et des manques ont été identifiés. Ainsi, l'opération en Afghanistan a montré des déficiences en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ; nous avons notamment manqué de drones MALE. D'autres faiblesses tiennent à l'appui aérien, au ravitaillement, au transport aérien. Mais, au sol, nous avons su réagir très vite et à moindres frais.

En Côte-d'Ivoire, nous disposions à peu près des moyens nécessaires. Si nous manquons certainement d'hélicoptères lourds, nous travaillons beaucoup avec d'autres partenaires – l'OTAN, les États-Unis, mais aussi au sein de coalitions régionales. Ce sera sans doute le cas si nous intervenons demain au Mali, probablement dans le cadre d'un soutien logistique et non en envoyant des troupes au sol : nous coopérerons alors avec des armées africaines. Il faut donc garder de la souplesse.

En Libye, nous avons pu constater nos faiblesses en matière de ravitaillement en vol, de drones, de renseignement, surveillance et reconnaissance, de lutte, enfin, contre les systèmes de défense sol-air. En ce domaine, nous ne sommes tout simplement pas équipés.

La professionnalisation s'est révélée une réforme adéquate : les équipements sont en effet de plus en plus coûteux et leur fonctionnement est de plus en plus complexe ; de plus, l'opinion publique accepte malheureusement mieux la mort, sur un théâtre extérieur, d'un soldat de métier que celle d'un appelé du contingent. C'était donc une réforme judicieuse, même si un service civil aurait pu constituer pour nos jeunes déstructurés une piste intéressante.

L'armée de terre a été réduite, mais elle est encore capable de projeter 12 000 hommes, soit, à raison des quatre rotations nécessaires à cet effet, 50 000 hommes en tout. La marine dispose de trois BPC, grâce au plan de relance, de frégates multimissions FREMM, certes en nombre réduit, de frégates antiaériennes, de sous-marins Barracuda – qui vont remplacer nos vieux sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) –, et d'avions de patrouille maritime Atlantique 2, qui seront rénovés. Quant à l'aviation, on sait que les Rafale montent en puissance – nous devons en acheter onze, comme l'État s'y était engagé en cas d'échec de certaines exportations. Trois faiblesses sont connues : les avions ravitailleurs, dans l'attente de l'Airbus A330 MRTT ; les drones ; et le transport, dans l'attente, là encore, des Airbus A400M.

L'armée de terre a reçu des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), que les services techniques ont su adapter très rapidement – il faut signaler à cet égard la souplesse et la réactivité de l'armée. Nous avons pu utiliser en Afghanistan des canons CAESAR. En revanche, je ne suis pas certain que le successeur du véhicule de l'avant blindé (VAB) arrivera aussi vite que nous le souhaiterions. Le missile antichar Milan aura également un successeur. Le format et les matériels de l'armée de terre suscitent donc quelques inquiétudes.

Nous disposons d'une armée de vrais professionnels, bien préparés, bien formés. Mais si les matériels correspondent à nos besoins, nous les attendons parfois longtemps. Notre groupe de travail a qualifié le format de notre armée de « juste insuffisant » : si l'on devait encore réduire la taille de nos forces, il faudrait alors revoir nos ambitions à la baisse.

Enfin, la cyberdéfense va demander des efforts conséquents. Le Livre blanc avait beaucoup insisté sur le renseignement – 700 postes ont été créés à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Le budget pour 2013 a été découplé de la prochaine LPM : ainsi, on ne supprimera pas un programme qui pourrait se révéler essentiel dans quelques années. Il faut être conscient que si on réduit le format, il faudra également réduire les ambitions.

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