Intervention de Daniel Reiner

Réunion du 24 septembre 2012 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Daniel Reiner, sénateur :

Il est bien difficile de résumer notre rapport consacré aux capacités industrielles militaires critiques !

La France est l'un des rares pays européens qui dispose d'une base industrielle de défense importante. Cela représente 300 000 emplois directs et indirects – dans quelques grands groupes, mais aussi dans de nombreuses PME-PMI –, un chiffre d'affaires et une capacité d'exportation considérables. Cette base industrielle nous permet surtout d'acheter les matériels les mieux adaptés et les moins coûteux possible.

Dans un contexte de crise, personne ne comprendrait que nous abandonnions notre industrie de défense.

La stratégie d'acquisition a été décrite par le Livre blanc précédent sous la forme de trois cercles. Le premier cercle est celui dit de la souveraineté, on doit faire chez nous le nucléaire, le spatial, les missiles, la cryptographie… Ce sont les achats qui déterminent notre indépendance. Le deuxième cercle est celui de la coopération, notamment à l'échelle européenne ; le troisième, enfin, celui des achats « sur étagères ».

Si la France dispose donc d'une stratégie d'acquisition, elle ne l'a pas mise en oeuvre : nous le vérifions chaque année lors de la préparation du budget. Ne faudrait-il pas davantage de transparence dans ce domaine ?

Le rôle du pouvoir politique est de tracer des perspectives qui permettront aux entreprises de ne pas se fourvoyer en développant des appareils qui ne seront pas achetés, ou en très petite quantité – un industriel du secteur nous disait encore il y a quelques jours se trouver en difficulté en raison du caractère erratique de notre politique d'achat.

Il faut évidemment favoriser autant que possible l'industrie française. Mais l'offre de notre outil de défense est parfois insuffisante et les coûts trop élevés. Nous avons donc besoin d'importer ; nous devons également permettre à nos industries de se réorganiser, à l'échelle nationale mais aussi, plus certainement, à l'échelle européenne. On parle actuellement d'un rapprochement entre EADS et BAE : s'il permettrait de disposer du premier groupe mondial en matière de défense et d'aéronautique, il sera sans doute compliqué à mettre en place. Les parlementaires doivent envisager cette perspective avec bienveillance, car un tel groupe pèserait vraiment à l'échelle mondiale – sachant que le marché de l'armement est aujourd'hui détenu à 70 % par les seuls États-Unis.

Il est essentiel que le Livre blanc cultive la cohérence. C'est le maître-mot qui figure dans la lettre du Président de la République à M. Jean-Marie Guéhenno. À quoi bon afficher une ambition dont on sait d'avance qu'on ne pourra la satisfaire ? Une loi de programmation militaire qui prévoit des dépenses considérables, surtout à long terme, ne sert à rien. Réviser ses ambitions à la baisse coûte toujours très cher. Le Livre blanc de 2008 a réduit à onze le nombre de frégates multimissions FREMM à livrer. Pourtant, à cause des pénalités liées à la rupture du contrat, ces onze frégates coûteront presque aussi cher que les dix-sept initialement prévues.

Ce pourquoi nous plaidons très fort, c'est qu'une fois l'analyse géostratétgique faite, et les ambitions de défense affichées, il faut mettre les moyens correspondants en termes de format, c'est-à-dire être en « cohérence ».

Je rappelle que nous allons connaître une décroissance des effectifs de 8 000 par an pendant encore deux ans : nous suggérons de ne pas aller au-delà, faute de quoi nous passerions du niveau « juste insuffisant » au niveau « totalement insuffisant ».

Sur le plan industriel, inutile d'énumérer les capacités pour lesquelles la France doit conserver son autonomie, mais il serait absurde qu'elle perde son avance en matière nucléaire, de missiles ou de sous-marins. Pour garantir l'avenir, nous cherchons à protéger le montant des programmes d'études amont et les subventions versées aux organismes de recherche. Si le Livre blanc de 2008 a fixé implicitement la norme à un milliard d'euros, celle-ci se réduit en fait à 600 millions. Ces programmes d'études sont essentiels mais il faut les concentrer sur les capacités industrielles militaires critiques. Faut-il augmenter ces crédits d'études amont ? Si oui, il faut être conscient que cela se fera au détriment d'acquisitions d'équipements.

Reste la question de la défense européenne, terme que nous préférons à celui d'Europe de défense qui a été trop galvaudé. La défense européenne n'est plus une option. Ce doit être une préoccupation de tous les moments, sans cela nous perdrons des pans entiers de notre souveraineté. Si nous voulons conserver un poids, il faut procéder à une mutualisation, à un partage capacitaire, et rapprocher le point de vue des états-majors et des industriels. On favorisera ainsi notre base industrielle de défense nationale et l'on évitera de perdre des parties importantes de notre activité. Prenons le cas de la défense antimissiles balistiques qui a été accepté par tout le monde au sein de l'OTAN. Or la France a les compétences technologiques qui lui permettrait d'intervenir dans quasiment toutes les briques industrielles de cette défense. Elle est du reste la seule en Europe dans ce cas. Or nous ne faisons rien, car nous n'avons pas les moyens financiers de construire une telle défense seuls.

La nécessité de donner à notre réflexion une dimension européenne passe parfois par des actions bilatérales. Nous défendons les mêmes valeurs face au monde, ce qui crée des intérêts communs. En période de crise, où chacun a tendance à se replier sur soi, nous devons poursuivre la mutualisation. Mais il ne faut pas jeter le manche avant la cognée. Il faut commencer par partager l'analyse stratégique. C'est pourquoi la Commission du Livre blanc a accueilli un Anglais et un Allemand.

Enfin, je tiens à souligner que notre réflexion a été guidée par le souci de pourvoir aux besoins opérationnels de nos forces armées. Nous sommes partis du besoin opérationnel. L'écoute des industriels est importante, mais seconde.

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