La question des ressources humaines est au coeur de la plupart des interventions concernant le Livre blanc. En visitant un grand nombre de bases de défense, nous avons constaté, Gilbert Roger et moi-même, que leur réforme devait être confortée.
Complexe, mal connue et mal comprise, celle-ci a brouillé les repères. Plus que la professionnalisation des armées, la constitution des soixante bases de défense, qui constitue une véritable révolution, a bousculé des principes d'organisation séculaires, en particulier dans l'armée de terre. Les régiments, qui vivaient en autarcie, doivent désormais partager, voire négocier leur soutien. Concrètement, 30 000 personnes ont quitté leur armée pour rejoindre la nouvelle organisation. Les commandants de base nommés à la tête des nouvelles structures naviguent dans une organisation matricielle, un organigramme touffu en tuyaux d'orgues – ce qui représente un choc culturel.
Parallèlement, la réorganisation de la chaîne des métiers du ministère de la défense, comme les finances ou les ressources humaines, a créé l'impression d'un désordre généralisé, que j'imputerais moins à la mise en place des bases de défense qu'à la concomitance des réformes. Les plates-formes achats-finances ont connu une thrombose, dont ont pâti les petits fournisseurs de la défense.
Deuxième constat : la qualité du soutien en opérations ne s'est pas dégradée – ce qui représente la principale réussite de la réforme –, bien que le nombre de soldats impliqués dans les OPEX ait rarement été aussi important.
En troisième lieu, les économies de la réforme, pourtant tangibles, manquent de lisibilité. On raisonne en termes de coûts évités, recalculés a posteriori selon une méthode discutable, et leurs effets positifs ont été atténués par les mesures d'accompagnement.
Au total, entre 2008 et 2014, 6,6 milliards d'euros nets ont été économisés, essentiellement sur la masse salariale, malgré des coûts d'accompagnement élevés : 1,1 milliard pour l'accompagnement social, 1,4 milliard pour l'immobilier et 320 millions pour la redynamisation territoriale. Cette enveloppe, qui n'a pas été consommée en totalité, va essentiellement aux communes, qui, perdant un régiment ou une implantation militaire, envisagent une reconversion dont il est difficile d'évaluer la durée. Comment s'assurer, par exemple, qu'on parviendra à faire venir un industriel ? Globalement, les armées ont consenti un effort supérieur à celui de bien d'autres administrations en renonçant à 54 000 postes, soit 17 % de leur effectif – ce qui va bien au-delà du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux.
Quatrièmement, la réforme a installé un nouveau rapport parfois douloureux au territoire. La restructuration de la carte militaire a touché de plein fouet des dizaines de collectivités territoriales, où 262 sites ont été fermés. En zone de fragilité économique ou dans les petites villes, le choc est rude. Si l'État a prévu une aide de 320 millions, les collectivités territoriales ont versé trois fois plus pour reconvertir des sites fermés.
En cinquième lieu, nous avons constaté partout l'étranglement financier des bases de défense. Pour 2012, il leur manque 130 millions d'euros, soit le quart de leurs crédits. Dès septembre ou octobre, des commandants ajournent des travaux de peinture ou de rénovation, quand ils ne renoncent pas purement et simplement au chauffage. Toutefois, selon des informations récentes, l'enveloppe sera portée de 630 à 700 millions d'euros.
Deux grandes options s'ouvrent à la Commission du Livre blanc.
La première est la diminution du nombre de bases de défense. En 2011, la Cour des comptes a jeté un pavé dans la mare en préconisant de n'en conserver que vingt, soit trois fois moins qu'aujourd'hui. Le rapport du Sénat reconnaît toutefois que les bases françaises sont très différentes des bases américaines, souvent distantes de 200 à 300 kilomètres. Beaucoup n'atteignent pas le seuil critique de 5 000 soutenus, qui permet la mutualisation.
Le plan de stationnement actuel ne permettant pas d'aller plus loin, il faut mener une réflexion en liaison avec les nouveaux contrats opérationnels qui découleront du Livre blanc et définiront le format global des forces armées. Mais toute nouvelle vague de fermetures créera un traumatisme territorial coûteux pour les collectivités territoriales, l'État et le budget de la défense, dont les besoins sont difficiles à concilier avec ceux des territoires.
La deuxième piste, régulièrement évoquée par la presse, est l'externalisation du soutien, dont, contrairement à ce que laissait entendre le précédent Livre blanc, on ne saurait attendre de miracle financier. Loin de tout dogmatisme, nous préconisons d'aborder de manière pragmatique ce qui est devenu un chiffon rouge social, car l'externalisation n'est pas toujours utile.
Trois décisions sont attendues, qui concernent l'habillement, la restauration et les infrastructures. Le premier dossier sera chez le ministre fin novembre. Quatre candidats restent en lice pour la phase finale. Nous souhaitons que les décisions soient prises sans dogme ni tabou en fonction de quatre critères : le personnel, les PME, le coeur de métier et les gains économiques. Nous avons l'intuition que la rationalisation de la régie pourrait produire les mêmes économies.
Enfin, le rapport préconise de maintenir l'élan de la réforme selon quatre axes principaux.
D'abord, on doit reposer fin 2012 la question de l'existence des échelons intermédiaires, la création d'états-majors de soutien produisant le risque d'une suradministration.
Deuxièmement, les procédures doivent être simplifiées, ce qui représentera un immense chantier, par exemple en matière de ressources humaines ou de zonage d'intervention. Le travail est lancé mais avance lentement.
Troisièmement, le verrou des systèmes d'information doit sauter. Un système unifié permettrait de réduire de quarante-cinq jours à quarante-cinq secondes le temps nécessaire pour compter les effectifs du ministère.
Quatrième axe : la proportion des civils dans le soutien doit continuer à augmenter, bien que le sujet soit sensible en raison du fossé qui se creuse avec les militaires.
Cependant, il faut résister à la tentation de tout remettre à plat si l'on veut que la réforme soit acceptée par les personnels, déjà contraints de consentir à bien des efforts. C'est la clé du succès.