Intervention de Jeanny Lorgeoux

Réunion du 24 septembre 2012 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeanny Lorgeoux, sénateur :

Je présenterai le sous-thème de la maritimisation, objet du rapport que j'ai cosigné avec mon collègue André Trillard et quatre autres sénateurs. Tout en prenant appui sur la rénovation du Livre blanc, nous avons tenté d'aller au-delà d'une vision à cinq ans, c'est-à-dire à court terme, pour identifier les modifications stratégiques qui pourraient influencer les décisions politiques dans ce domaine au cours des vingt ou trente années à venir.

Le terme de maritimisation – dont la paternité revient probablement à l'amiral Rogel – désigne non l'irruption du lobby marin au sein des forces armées, mais le corollaire de la mondialisation de l'économie et de l'intensification spectaculaire du trafic maritime dans le monde, laquelle alimente l'insécurité et, avec elle, les dispositifs de sécurisation. On l'a dit, le précédent Livre blanc avait omis cette dimension, et le Livre bleu a remédié à cet oubli. Il est temps de lui refaire une place, au moins parmi les éléments de notre réflexion stratégique à long terme.

À cette fin, nous avons naturellement consulté les marins, mais également auditionné les présidents des grands groupes industriels et ceux des instituts de recherche, afin de localiser les ressources futures et d'en déduire les futures modifications des dispositifs de sécurité.

Les modifications de la donne stratégique sont bien connues. D'abord le réchauffement climatique, qui va faire de l'Arctique une région stratégique. Ensuite, l'irruption des BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, qui consacrent à leur armée un budget de plus en plus important, en hausse de 10 à 20 % quand ceux de la vieille Europe se maintiennent dans le meilleur des cas, voire régressent. Enfin, les demandes d'extension du plateau continental, dont l'enjeu est la possession des richesses de ce plateau ou du sous-sol marin : elles vont attiser les tensions, comme en témoignent les tout récents accrochages entre la Chine et le Japon, et pourraient ce faisant modifier l'équilibre géopolitique. Ainsi nos amis américains ont-ils développé la thèse du leadership from behind (leadership à distance), se retirant progressivement de certains théâtres européens pour concentrer leurs forces en mer de Chine.

S'il s'agit pour la France de conserver durablement son rang, encore lui faut-il susciter l'émergence de richesses pour ce faire. Notre domaine maritime, qui s'étend sur 11 millions de kilomètres carrés, est le deuxième au monde ; notre plateau continental et notre sous-sol marin nous offrent des perspectives prometteuses. Mais il convient d'identifier et énumérer nos richesses. En outre, lesquelles pourrons-nous exploiter ? Cette question suppose de mener une grande étude de faisabilité économique. Si nous pouvons les exploiter, comment les transporter ? Et si nous pouvons les transporter, comment les sécuriser ? À cet égard, la piraterie, à laquelle notre collègue Jean-Claude Peyronnet a consacré un excellent rapport, constitue l'un des éléments essentiels du tableau géostratégique.

S'y ajoutent deux questions essentielles pour notre pays. Premièrement, comment remodeler notre dispositif naval et maritime afin de protéger les routes maritimes vitales pour notre économie ? Deuxièmement, puisque nous avons la chance de disposer d'une façade portuaire et maritime extraordinaire, ne devrions-nous pas envisager un grand plan de rénovation portuaire à long terme – vu que, dans l'immédiat, nous ne pourrions le financer –, d'autant que le doublement du canal de Panama va générer de nouveaux flux ? Aujourd'hui, malgré les efforts consentis par les collectivités locales avec l'aide de l'État, notamment au Havre, le premier port de France reste Anvers… Pourtant, les gisements de valeur dont nous disposons pourraient alimenter le budget national. Ainsi, à partir de 2019, l'exploitation du gisement de pétrole guyanais, à 150 kilomètres au large de Cayenne et de Kourou, pourrait fournir à notre économie quelque 150 000 à 200 000 barils par jour et rapporter un milliard d'euros de taxes à l'État ! De même trouve-t-on à Wallis et Futuna des gisements de terres rares, ces métaux nécessaires à notre économie et à notre industrie. Ne pourrait-on les valoriser, les exploiter et les mettre sur le marché mondial ? En outre, ces activités seraient créatrices d'emplois. Selon M. Vallat, président du Cluster maritime français, une politique d'ampleur pourrait ainsi, à long terme, multiplier par deux le nombre d'emplois de la filière, ce qui reviendrait à en créer 350 000 : ce n'est pas rien.

En somme, sans nous immiscer dans l'élaboration hautement complexe du budget de la défense pour les deux ou trois années à venir, il nous semble nécessaire que soient au moins maintenues à leur niveau actuel les capacités de la marine, non pour faire plaisir aux marins, mais en attendant de pouvoir les redéployer lorsque notre axe stratégique aura été définitivement choisi, pour le bien de la France.

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