Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 19 juin 2013 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président Patrick Bloche, vous avez eu raison d'affirmer qu'il fallait légiférer d'une main tremblante – les expériences passées sont là pour nous le rappeler. Nous devons porter notre attention sur le large panorama qu'offre le rapport Lescure, et non sur tel ou tel de ses aspects ; ainsi convient-il, plutôt que de nous focaliser sur la Hadopi, de bâtir un équilibre global. Notre tâche consiste à apporter des solutions au problème de la contrefaçon commerciale et à assurer le juste partage de la valeur entre les différents acteurs ; si nous réussissons, la question de la riposte graduée deviendra annexe, M. Pierre Lescure la concevant d'ailleurs lui-même comme un instrument transitoire compte tenu de l'évolution des usages et de la diminution du téléchargement de pair à pair.

J'ai confié à Mme Mireille Imbert-Quaretta – qui possède une solide expérience à la tête de la Commission de protection des droits de la Hadopi – la mission de réorienter la lutte contre le piratage vers le combat contre la contrefaçon commerciale. Il n'y a pas lieu que le CSA devienne un nouvel organisme doté d'un pouvoir de sanction, mais il devra signer des conventions avec des acteurs culturels menant une politique de lutte contre la contrefaçon commerciale – type Follow the money –, ainsi que des actions de valorisation de la diversité culturelle et de financement de la création.

Monsieur Franck Riester, je vous trouve un peu ingrat dans vos critiques sur le projet de loi relatif à l'indépendance de l'audiovisuel public, car les trois-cinquièmes de votre Commission devront approuver la nomination des membres du CSA, ce qui associera l'opposition à leur désignation. Il s'agit d'une garantie majeure pour l'indépendance de l'audiovisuel public et pour ceux chargés de l'assurer. On ne peut donc pas affirmer que nous présentons un texte de loi mineur.

Il ne faut pas que la réponse graduée débouche sur une sanction administrative, car une sanction administrative a un caractère automatique : le juge administratif n'a pas de marge d'appréciation de l'opportunité d'une sanction ; seul le juge judiciaire décide de l'opportunité de lancer des poursuites, si bien que la juridiction judiciaire offre plus de protection aux droits des internautes et aux libertés individuelles.

Le mécanisme de la rémunération pour copie privée est vertueux et efficace. Mais il date de vingt-huit ans, et il est nécessaire de le moderniser. Le rapport Lescure n'affirme pas que la contribution sur les terminaux connectés doive prendre la place de la rémunération pour copie privée, mais il indique que le rendement de celle-ci devrait décliner à l'avenir – car elle repose sur le stockage et le téléchargement –, d'où le besoin, à moyen terme, de faire monter la CTC en puissance. À court terme, en revanche, je veille à ce que le fonctionnement de cet outil soit maintenu et j'ai ainsi engagé un travail visant à consolider la gouvernance de la Commission pour la rémunération de la copie privée. Le produit de la rémunération pour copie privée excède largement ce que pourrait rapporter aujourd'hui la CTC, puisque le rapport Lescure évalue les recettes de cette dernière à 80 millions d'euros ; le rapport préconise une assiette large et un taux faible pour la CTC, mais tout dépendra des choix qu'arrêtera le Parlement lors de la discussion du projet de loi de finances. Monsieur Michel Piron, nous voyons là qu'un rapport ne constitue pas une solution clef en main, et il nous faudra veiller à bien articuler ce qui relève de la redevance pour l'audiovisuel public – sujet sur lequel les parlementaires disposent d'une prérogative –, de la CTC et de la rémunération pour copie privée, ces trois instruments ayant des finalités différentes.

Le rapport Lescure ne fait qu'aborder le sujet des échanges non marchands sur lequel nous devons rapidement nous pencher pour élargir la notion de cercle familial et les possibilités d'échanges non marchands. Mme Isabelle Attard va déposer une proposition de loi concernant le domaine public dont le rapport a reconnu l'existence et que j'aimerais consolider. Monsieur Marcel Rogemont, vous avez raison d'insister sur la nécessité de veiller à ce que les règles sur les investissements d'avenir ne conduisent pas à un affaiblissement des protections du domaine public numérique – en imposant par exemple des partenariats public-privé, même si, dans le cas de la BnF, des réponses vous ont été apportées.

Monsieur Franck Riester, quand il n'avait été procédé à aucune coupure d'accès à Internet, on reprochait à la Hadopi son inutilité et cette critique n'a pas disparu avec la première coupure. Il faut donc en finir avec cette sanction.

La majorité précédente n'a pas fait preuve de cohérence fiscale pour financer la création : elle avait en effet plafonné le rendement de la taxe sur les services de télévision applicables aux distributeurs (TSTD) et voulait en affecter une partie du produit au financement de la musique au détriment du cinéma, ce qui aurait fragilisé notre position auprès de la Commission européenne et affaibli les recettes du CNC ; nous avons donc déplafonné le rendement de cette taxe et consolidé son assiette pour présenter un dossier cohérent à Bruxelles. Au vu du contexte budgétaire, nous avons effectué un prélèvement sur le fonds de roulement du CNC, ponction lourde de 150 millions d'euros, que les professionnels ont assumée avec beaucoup de courage. Le 27 juin prochain, l'Union européenne dira si nous pouvons conserver la « taxe Copé » qui frappe le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d'accès à Internet et dont le produit sert à compenser la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes de la télévision publique. Nous devons donc gérer un lourd héritage fiscal.

M. Franck Riester m'interrogeait également sur la gestion collective obligatoire, bel outil permettant de rééquilibrer le partage de la valeur au profit des créateurs tout en donnant à ceux-ci plus de poids dans les négociations. Cet instrument facilite la mutualisation des moyens, rend possible l'existence d'un guichet unique pour les diffuseurs et assure la redistribution des sommes collectées aux auteurs. La Cour des comptes contrôle les sociétés de gestion collective, qui sont chargées de la rémunération pour copie privée et de la rémunération équitable. L'Union européenne ne doit pas fragiliser ce mécanisme, même si l'on peut encore accroître la transparence de son fonctionnement.

Madame Isabelle Attard, je compte sur les parlementaires pour ramener à un taux réduit la TVA portant sur l'ensemble des produits culturels dès la prochaine loi de finances. Nous souhaitons conférer de nouveaux droits aux internautes, développer l'offre légale, travailler sur les mécanismes innovants comme les licences libres et nous pencher sur le cadre juridique des oeuvres transformatives – les internautes étant parfois des artistes et des créateurs. Le renforcement de l'accès aux métadonnées constituera également un progrès important pour les usagers d'internet.

Madame Isabelle Bruneau, j'ai installé – avant même la remise du rapport Lescure – une mission portant sur la photographie, chargée de proposer une réponse à l'effondrement des prix des banques d'images, de réfléchir à la notion de droit réservé et d'avancer des solutions pour lutter contre les sites de référencement utilisant frauduleusement les photographies de presse.

Monsieur François de Mazières, nous avons un problème spécifique avec Amazon. Je suis favorable à ce que l'on empêche le cumul de la gratuité des frais de port avec la réduction de 5 % sur le prix des livres. Comme la Cour de cassation a jugé en 2008 que l'interdiction de la gratuité des frais de ports contrevenait à la liberté d'entreprendre, nous devons élaborer un mécanisme qui prohibe la pratique du prix réduit pour les entreprises appliquant une politique de dispense des frais d'envoi. Il faut le faire, car c'est un sujet majeur. Monsieur Jean-Pierre Le Roch, les établissements virtuels stables relèvent également de cette réflexion, menée en parallèle avec l'OCDE, et il serait bon que l'on mette en oeuvre les recommandations du rapport rédigé par MM. Nicolas Colin et Pierre Collin ; il s'agit là d'une des dimensions du combat contre l'évasion fiscale, car ces entreprises mènent une concurrence déloyale à de petites librairies et à des distributeurs culturels traditionnels installés dans notre pays, qui créent des emplois et du lien social, et qui risquent de disparaître. Nous devons donc conduire une politique volontariste en la matière.

Mesdames Valérie Corre et Marie-Odile Bouillé, monsieur Yves Durand, j'ai veillé à ce que l'on explique aux élèves, dans le cadre des parcours d'éducation artistique, ce qu'est un auteur et quelle est l'économie des oeuvres, et je suis donc heureuse que le rapport Lescure ait abordé ce sujet. Certains d'entre vous ont évoqué le plan numérique à l'école et ont soulevé la question de l'accès de tous à internet : je leur répondrai qu'il ne doit pas y avoir de fétichisme technologique, car le numérique ne résoudra, en lui-même, aucun des problèmes de notre société. L'enjeu réside dans son utilisation dans les domaines pédagogique, culturel et artistique ; une partie des crédits dévolus à ce plan numérique devra être consacrée à financer l'accès aux oeuvres – même si l'exception pédagogique existe. La mise en oeuvre de ce plan ne doit pas empêcher les contenus de primer sur les contenants : c'est à ce prix que l'on pourra parler de service public numérique.

Monsieur Patrice Martin-Lalande, nous avons installé avec Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, un groupe de travail sur le jeu vidéo, car de nombreux jeunes – développeurs ou designers – quittent notre pays pour s'installer au Canada. Nous travaillons sur la réforme du crédit d'impôt dont bénéficient les entreprises de jeu vidéo, car cet instrument permet de soutenir ce secteur dynamique de nos industries créatives.

Madame Annie Genevard, l'évolution de la chronologie des médias exige la signature d'un accord interprofessionnel, que nous espérons avant la fin de l'année. Je suis favorable – comme le groupe de travail qu'animent vos collègues députés de la Commission des finances M. Christian Eckert et M. Thomas Thévenoud – à ce que le taux de TVA applicable aux entrées dans les salles de cinéma soit ramené à 5 % – l'ensemble des produits culturels devant d'ailleurs bénéficier d'une TVA à taux réduit.

Mme Brigitte Bourguignon, j'ai souhaité un plan livre dont l'ambition soit sans précédent afin de franchir l'étape difficile que constitue le développement du numérique pour cette économie. Nous allons améliorer l'offre numérique en bibliothèque à partir des propositions émises par l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE). Les pistes envisagées consistent à développer le prêt de tablettes et à étendre l'offre numérique. La taxe sur les appareils de reprographie est stable depuis l'année dernière et sa modification n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, sujet essentiel, une réforme du fonctionnement du CNL a été lancée.

Madame Sophie Dessus, je suis très attachée à l'IFCIC ; nous devons promouvoir son action auprès des membres de la Commission des finances, car certains d'entre eux ignorent jusqu'à son inexistence.

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