Il convient, en premier lieu, d'évaluer aussi précisément que possible nos ressources, ce que l'on peut commencer à faire par la recherche et par l'emploi de techniques non invasives, avant d'envisager de premiers forages d'exploration.
Je commencerai par rappeler rapidement ce que recouvrent les termes « hydrocarbures non conventionnels » : il s'agit d'abord du gaz et de l'huile de roche mère, communément appelés gaz et huiles « de schiste », bien que tous les spécialistes trouvent ces termes impropres. Ces hydrocarbures sont restés emprisonnés au sein d'une roche peu perméable de type argileux, et non schisteux. Ils n'ont pas pu migrer vers un réservoir, d'où leur spécificité.
La deuxième catégorie d'hydrocarbures non conventionnels est constituée des hydrocarbures de réservoir compact, difficiles à exploiter car accumulés dans des réservoirs où la pression est très forte.
Enfin, la troisième catégorie est celle du gaz de houille, terme regroupant le gaz de mines et le gaz de couche, selon qu'il est situé ou non dans des zones anciennement exploitées du bassin charbonnier.
Les termes « non conventionnel » ne qualifient donc pas la nature des hydrocarbures, mais leurs modes d'extraction. Ce que ces termes recouvrent varie dans le temps : des ressources considérées comme non conventionnelles hier sont aujourd'hui considérées comme conventionnelles.
Par ailleurs, les modes d'extraction de ces ressources sont variables : certaines ressources dites non conventionnelles peuvent être exploitées sans fracturation hydraulique (c'est le cas du gaz de houille) ; à l'inverse la fracturation hydraulique est parfois utilisée pour l'exploitation conventionnelle ou pour d'autres usages (en géothermie). Une vision manichéenne des choses est donc inadaptée.
S'il existe une grande incertitude sur les chiffres, il est acquis que les ressources non conventionnelles dans le monde sont probablement très importantes. Pour le gaz, elles seraient du même ordre de grandeur que les ressources conventionnelles.
Ce constat remet en cause toutes les affirmations pessimistes sur « la fin du pétrole » que l'on a pu entendre par le passé.
En France, la question est venue dans le débat public avec la publication par l'Agence américaine d'information sur l'énergie, en avril 2011, de chiffres d'après lesquels notre pays serait l'un des mieux dotés en Europe, avec des ressources techniquement récupérables de gaz de roche mère de l'ordre de 5.100 milliards de m3. Ces chiffres sont toutefois des estimations sommaires réalisées par extrapolation de données issues de quelques sondages à l'ensemble de la superficie supposée des bassins, sans tenir compte de leur variabilité géologique. La probabilité associée à ces chiffres n'est pas connue. On peut néanmoins affirmer que la géologie des différents bassins sédimentaires, en région parisienne et dans le sud-est, est plutôt favorable à l'existence d'hydrocarbures de roche mère.
Le bassin parisien est bien connu. Environ 2000 forages y ont été réalisés. Ces forages permettent de suspecter la présence d'une roche-mère prolifique. La société Hess estime par exemple que ce bassin pourrait produire entre 3 et 20 % de la consommation quotidienne nationale de pétrole, pendant la durée de l'exploitation. Certains de nos interlocuteurs ont comparé le potentiel du bassin parisien à celui du Bakken, dans le Dakota du Nord, en raison de similitudes géologiques.
Dans le sud-est, le bassin est plus complexe et moins bien connu. Les entreprises rencontrées sont optimistes mais de nombreux travaux de validation restent à réaliser.
Ce tour d'horizon de nos ressources en hydrocarbures de roche mère a surtout pour but de mettre en évidence la faiblesse de notre connaissance du sous-sol français, faite de données qui sont, pour une large part, datées et dispersées, ou trop théoriques. Ces données ont été généralement établies entre les années 1950 et 1980. Il n'y a plus eu, depuis cette époque, de grandes campagnes de recherche et d'exploration.
Concernant le gaz de houille, des travaux récents ont démontré le potentiel des bassins de Lorraine et du Nord Pas-de-Calais. Les études les plus avancées ont été menées en Lorraine par l'entreprise EGL (European Gas Limited). Dans ce cas, c'est moins l'existence de la ressource que la rentabilité de sa production qui est sujette à débats.
Dans le Nord, la récupération du gaz de mines a démarré en 1975. Après la fermeture du bassin houiller et la disparition de Charbonnages de France, en 2008, cette activité a été confiée à des sociétés à capitaux privés, Gazonor pour le gaz de mines, et EGL pour le gaz de couche. Les tests de production réalisés par EGL, et revus par Beicip-Franlab, filiale de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN), en Lorraine sur le site de Folschviller 2, ont démontré l'existence d'une ressource importante.
Dans le Nord Pas-de-Calais, les forages d'exploration n'ont pas démarré, mais le sous-sol est bien connu, en raison de son exploitation passée. On estime que seul 10 % du charbon de ce bassin a été exploité. L'existence d'une ressource importante paraît très vraisemblable.
D'après EGL, les ressources des deux bassins (Lorraine et Nord Pas-de-Calais) pourraient correspondre à dix années de consommation de gaz en France, c'est-à-dire significativement plus que ce qu'a produit à ce jour le bassin de Lacq. Plusieurs centaines d'emplois pourraient être créés, si ces estimations se révèlent fondées.
C'est pourquoi l'exploration et l'exploitation du gaz de houille peuvent et doivent être engagés dans des délais assez rapides. En Lorraine, un forage à taille réelle doit être prochainement réalisé (à Tritteling) : nous nous sommes rendus sur la plateforme actuellement en construction. Dans le Nord Pas-de-Calais, quatre demandes de forage d'exploration ont été déposées, dont deux devraient aboutir prochainement sur les sites d'Avion et de Divion, où les travaux pourraient être réalisés en 2014. Le financement des travaux nécessite de trouver des investisseurs à hauteur d'environ 3 millions d'euros par puits. Si ces recherches sont fructueuses, une production commerciale peut être envisagée d'ici cinq ans.
En revanche, le processus sera certainement plus lent pour les hydrocarbures de roche mère, qui nécessitent un cadre juridique adapté aux techniques requises. Des travaux de recherche peuvent néanmoins être entrepris très rapidement, en commençant par un travail d'analyse et d'actualisation des connaissances existantes, issues des forages passés. Ce travail pourrait être confié à l'IFPEN.
La sismique pourrait jouer un rôle important dans ces travaux préalables : il s'agit d'une technique dont le principe de base est celui de l'échographie, appliquée au sous-sol. C'est une technologie qui a connu récemment des progrès importants et à laquelle les compagnies pétrolières ont recours de façon quasi systématique ; et surtout, c'est une technologie non invasive et non destructive. C'est pourquoi nous avons été surpris de constater que cette technique était interdite en France pour la recherche d'hydrocarbures non conventionnels, en application d'une circulaire du 21 septembre 2012 du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, prise en application de la loi du 13 juillet 2011 qui n'a pourtant interdit « que » la fracturation hydraulique. Cela signifie que l'on n'interdit pas simplement l'usage d'une technologie : on refuse, en réalité, purement et simplement de savoir ce que recèle notre sous-sol.
Enfin, pour évaluer précisément nos réserves, il sera nécessaire de procéder à des forages, afin de permettre des tests de production. Ces tests sont seuls à même de déterminer le taux de récupération des hydrocarbures dans chaque zone considérée. Une vingtaine de forages pourraient être suffisants dans le bassin parisien. À l'échelle de la France, quelques dizaines de forage seraient à envisager. Ces chiffres sont à rapprocher de la quarantaine de forages à fracturation hydraulique déjà réalisés en France sans inconvénient notable.