Intervention de Jean-Claude Lenoir

Réunion du 5 juin 2013 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Claude Lenoir, sénateur, rapporteur :

– J'en viens maintenant à la question des techniques. Il faut évaluer plus précisément l'impact environnemental et les voies d'amélioration possibles des diverses technologies employables. C'est le coeur de notre mission : est-il possible d'extraire proprement les hydrocarbures non conventionnels ? Nous avons souhaité ne négliger aucun des inconvénients environnementaux généralement soulevés.

À court terme, nos auditions ont montré que la voie la plus prometteuse était celle d'une amélioration de la fracturation hydraulique. Mais d'autres techniques méritent l'examen, dont certaines sont déjà opérationnelles, comme la stimulation au propane.

Les questions se posent très différemment pour le gaz de houille, car son exploration et son exploitation en France ne nécessitent pas de fracturation hydraulique. Le charbon est en effet traversé par un réseau naturel de fractures. La situation est toutefois un peu différente dans les deux bassins : en Lorraine, les couches de charbon sont épaisses ce qui est favorable à la mise en place de forages horizontaux. Dans le Nord, ce sont plutôt des forages verticaux déviés qui sont envisagés. Dans le premier bassin, l'extraction serait accompagnée d'une production d'eau importante, ce qui ne serait pas le cas dans le Nord. Mais que ce soit dans l'un ou dans l'autre bassin, il n'est pas jugé utile de fracturer le charbon pour extraire le gaz. La plupart des obstacles au développement des hydrocarbures non conventionnels sont donc ici sans objet. Les préoccupations environnementales sont celles inhérentes à toute exploitation d'hydrocarbures. Elles peuvent être traitées dans le cadre d'une gestion des risques industriels classiques.

S'agissant des hydrocarbures de roche mère, les techniques employées par l'industrie évoluent aujourd'hui très rapidement. La fracturation hydraulique est une technique ancienne et maîtrisable, qui a connu des améliorations constantes et continuera de progresser afin de répondre à des objectifs de productivité et d'innocuité environnementale. Les incidents rencontrés aux États-Unis ont contribué à un renforcement des règles encadrant la fracturation hydraulique dans ce pays.

La fracturation hydraulique a pour objet de créer des microfissures et de réactiver le réseau naturel de failles existant dans la roche, afin de faciliter l'écoulement des hydrocarbures. Elle consiste à injecter dans le puits, à forte pression, un fluide permettant de fissurer la roche. Ces fissures sont maintenues ouvertes par l'emploi d'agents de soutènement (sable, billes de céramique). Au fluide de fracturation sont ajoutés des additifs permettant de répartir les agents de soutènement le long des petites fissures, tels que gélifiant, désinfectant, réducteur de friction. La quantité de gaz extraite de chaque puits reste faible, ce qui nécessite de disposer d'un grand nombre de puits pour atteindre un niveau significatif de production.

La fracturation hydraulique est une technique ancienne. La première opération a eu lieu aux États-Unis en 1947. Plus d'un million de fracturations ont été réalisées dans le monde. 50.000 puits sont actuellement fracturés chaque année. Plus d'un puits sur deux actuellement foré dans le monde fait l'objet d'opérations de fracturation hydraulique. Sur l'ensemble de ces opérations, il n'existe, à ce jour, aucun cas avéré de pollution des nappes phréatiques. Une étude de l'agence américaine de protection de l'environnement est en cours. D'ici à 2014, elle permettra de connaître avec certitude la cause des incidents de pollution rencontrés aux États-Unis. Mais il est très probable que ces incidents aient été causés par une gestion défectueuse de l'eau en surface, ou par des puits de mauvaise qualité, plutôt que par la fracturation hydraulique.

En France, la technique de la fracturation hydraulique a été utilisée à au moins 45 reprises, sans qu'aucun dommage n'ait été signalé. Nous nous sommes rendus sur le site de Champotran en Seine-et-Marne, où la société canadienne Vermilion a utilisé la fracturation hydraulique en 2010 pour évaluer la roche mère. Ce puits continue de produire du pétrole non conventionnel en petite quantité. Nous avons été témoins d'une phase d'extraction de pétrole issu de ce forage. Rien en surface, ni aucune conséquence environnementale, ne permet de distinguer ce puits fracturé de son voisin conventionnel situé à quelques mètres.

La fracturation est une technique maîtrisable qui évolue très rapidement. Tous les industriels auditionnés se sont fait l'écho des progrès réalisés pour réduire son impact. Nous avons fait la liste de ces améliorations dans notre rapport d'étape :

- s'agissant des additifs : leur nombre, leur quantité et leur toxicité sont progressivement réduits. La fracturation peut se concevoir avec uniquement des produits peu ou pas toxiques, du type de nos produits ménagers. Des produits alimentaires tels que la gomme de guar peuvent servir de gélifiant. Les biocides peuvent être remplacés par un traitement ultraviolet. Beaucoup de produits peuvent être éliminés car, s'ils permettent d'optimiser la production, ils ne sont pas indispensables. Les industriels tendent à publier la composition de leurs fluides de fracturation, à défaut de leur formulation exacte, considérée comme relevant parfois du secret industriel. Aux États-Unis, un site internet a été mis en place, appelé FracFocus, pour assurer la publication de ces informations relatives à la composition des fluides de fracturation ;

- s'agissant de la qualité des puits, essentielle pour éviter des fuites accidentelles de fluides de fracturation et d'hydrocarbures, rappelons que l'activité de forage est ancienne en France. Depuis 70 ans, plus de 6.000 puits d'hydrocarbures ont été forés. Nous disposons de lois et règlements encadrant tant l'octroi des permis, la durée des concessions que les conditions de travail et la protection de l'environnement, sous le contrôle des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Les opérations de forage s'effectuent par phases successives. Lors de chacune de ces phases, un contrôle qualité garantissant l'intégrité du tubage et du ciment est obligatoire. Les phases proches de la surface sont spécialement conçues pour protéger les nappes phréatiques. Pour prévenir les déversements d'eau contaminée en surface, une membrane de protection du sol doit être installée sur la zone de forage ;

- concernant la gestion de l'eau, la stimulation d'un puits requiert 10.000 à 20.000 m3 d'eau, ce qui représente 12 jours d'arrosage d'un golf. Aucun apport supplémentaire d'eau n'est nécessaire pendant la période de production (environ 10 ans). Ce prélèvement d'eau doit bien sûr être encadré en fonction des conflits d'usage possibles au niveau local. L'eau prélevée n'est pas nécessairement potable. Il peut s'agir d'eau salée issue d'aquifères profonds. L'industrie privilégie aujourd'hui la réutilisation de l'eau. 30 à 50 % de l'eau de fracturation est disponible pour être recyclée. Cette proportion est très variable selon les sites. On peut retenir qu'en moyenne, 30 % de l'eau ressort du puits au cours des six premières semaines et 30 % supplémentaire remontera au cours de la durée de vie totale du puits. Par ailleurs, les progrès techniques réalisés permettent d'optimiser le placement des fracturations et ainsi de minimiser la quantité d'eau nécessaire pour la récupération d'une quantité donnée d'hydrocarbures ;

- s'agissant du traitement de l'eau, c'est une compétence maîtrisée par les industriels spécialistes du secteur, en particulier Veolia qui fait profiter les États-Unis de son savoir-faire. La mobilisation éventuelle de métaux lourds au sein de la roche doit faire l'objet d'une attention particulière. Une bonne connaissance de la roche ciblée est indispensable ;

- pour ce qui est de la protection des nappes phréatiques, il faut rappeler que la fracturation hydraulique est réalisée à plusieurs milliers de mètres en dessous de ces nappes et que les fissures se propagent horizontalement et non verticalement. Plusieurs cas de pollution aux États-Unis ont en réalité été causés par la réinjection d'eaux usées à faible profondeur. Cette pratique est évidemment à proscrire. Préalablement aux opérations, une bonne connaissance des réseaux hydrogéologiques est indispensable. Pendant les opérations, les techniques de micro-sismique permettent de mesurer l'extension des fractures et d'assurer un suivi continu des nappes phréatiques. L'établissement d'un « état zéro » des aquifères et un suivi pendant toutes les phases permet de s'assurer qu'il n'y a pas de contamination ;

- la question de la sismicité induite a été posée après des incidents relevés dans la région de Blackpool au Royaume-Uni. Ces incidents, respectivement de niveaux 2.3 et 1.5 sur l'échelle de Richter, n'ont causé aucun dégât. Il n'y a pas eu, aux États-Unis, de grands tremblements de terre directement imputables à la fracturation hydraulique, contrairement à ce qu'a affirmé hier Mme Delphine Batho, ministre de l'Écologie, de l'Énergie et du Développement durable. Les séismes de Blackpool ont été attribués à la sollicitation d'une mini-faille géologique proche qui n'avait pas été détectée. Ces incidents militent encore une fois pour une bonne connaissance préalable de la roche ciblée et pour la mise en place de dispositifs de suivi et de contrôle en temps réel du processus de fracturation hydraulique grâce aux technologies de micro-sismique ;

- concernant l'empreinte au sol de l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, nous soulignons que les nuisances sont concentrées pendant les phases de forage et de fracturation. Les opérations de fracturation sont, en effet, réalisées une fois pour toutes au début. Chaque puits nécessite, après 15 à 20 jours de forage, environ une semaine pour les opérations de fracturation. Par la suite, en phase d'exploitation, l'empreinte au sol est réduite. Pour diminuer les nuisances engendrées, deux solutions sont mises en oeuvre, consistant d'une part à regrouper les puits en clusters et, d'autre part, à remplacer les camionnages par des canalisations ;

- enfin, l'optimisation du processus de fracturation hydraulique contribue à réduire les inconvénients subis, car elle permet d'utiliser moins d'eau, de sable et d'additifs. Il s'agit d'améliorer le placement des fissures, leur densité et les modalités de fracturation, comme le fait par exemple Schlumberger avec un procédé appelé HiWay qui permet aux opérateurs d'utiliser jusqu'à 60 % moins d'eau et 40 % moins de sable.

La fracturation hydraulique peut donc être encadrée. Comme toute activité industrielle, elle engendre des risques justifiant l'application d'une réglementation et le contrôle de son respect. Nous avons énuméré dans notre rapport les principaux points d'intérêt qui devraient être traités par une réglementation encadrant ce secteur d'activité. Cette règlementation pose, aujourd'hui, davantage des questions de coût que de principe.

J'en viens maintenant à la question des alternatives à la fracturation hydraulique. Elles peuvent être regroupées en deux catégories : les techniques de stimulation utilisant un fluide sous pression autre que l'eau, et les techniques recourant à des phénomènes physiques différents. Dans tous les cas, hormis celui précédemment décrits du gaz de houille, il est nécessaire d'agir sur la roche pour permettre l'écoulement des hydrocarbures.

La technologie alternative la plus développée et la seule qui soit mise en oeuvre industriellement est la stimulation au propane. Il s'agit d'une technique ancienne récemment développée pour le secteur non conventionnel par la société canadienne GasFrac. Entre 2008 et 2013, GasFrac a réalisé 2.000 opérations de fracturation de ce type en Amérique du Nord. La stimulation au propane est aussi développée par ecorpStim. Son président est d'ailleurs venu la présenter lors de l'audition ouverte à la presse que nous avons organisée le 18 avril : ecorpStim a développé une technologie de stimulation sans eau ni produits chimiques, et prévoit de proposer prochainement l'ajout d'agents extincteurs rendant le propane non inflammable. Le propane liquide utilisé pour la fracturation peut être réutilisé à 95 %.

Mais le principal inconvénient de cette technologie est qu'elle implique la manipulation de quantités importantes de propane en surface, ce qui oblige les opérateurs à mettre en place un contrôle à distance des opérations et des procédures de sauvegarde automatiques. Elle est plus adaptée aux environnements à faible densité de population qu'aux zones très peuplées.

D'autres techniques alternatives sont étudiées par les chercheurs, mais sans aboutissement industriel pour le moment, pour des raisons techniques et économiques. Vous trouverez un tableau récapitulatif de ces techniques dans notre rapport. L'usage d'hélium, de CO2 ou d'azote est envisagé. La fracturation par arc électrique a fait l'objet de recherches, commandées par Total, qui considère qu'elle n'est pas pour le moment une alternative viable à la fracturation hydraulique à base d'eau, notamment car elle ne permet de stimuler que la proximité immédiate du puits. La fracturation par procédé thermique est une autre piste, avec des verrous scientifiques à lever, concernant notamment ses enjeux environnementaux.

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