Madame la présidente, Mesdames et Messieurs, en n'intégrant pas, dès le départ, dans une réforme des retraites, la question de l'égalité entre les hommes et les femmes, on court le risque, non seulement de conforter, mais encore d'aggraver les inégalités. À l'inverse, si l'on fait de l'égalité entre les hommes et les femmes un objectif de cette réforme, on pourra progresser. En effet, il y a peu de domaines dans lesquels on arrive à réduire de façon aussi évidente les inégalités. Nous avons donc une occasion en or devant nous.
En outre, les décisions que l'on est amené à prendre pour procéder à une réforme des retraites se construisent un peu comme un Lego, bloc par bloc. Si l'on attend d'avoir construit chaque bloc du Lego avant de poser la question de l'égalité, on aura laissé passer cette occasion.
Enfin, les décisions qui conduisent à modifier les règles de calcul de la pension, c'est-à-dire la manière dont on traduit la carrière en droits à la retraite, peuvent peser différemment sur les femmes et sur les hommes. De fait, les carrières des femmes ne sont pas encore tout à fait les mêmes que celles des hommes – par exemple, elles sont souvent moins continues. C'est une raison supplémentaire pour que nous abordions cette question de l'égalité hommesfemmes dès le début de notre réflexion sur la réforme des retraites.
Pour mon ministère, vous imaginez bien que c'est un sujet majeur. Il y a quelques mois, nous avons lancé la campagne Léa, une campagne de communication télévisée dans laquelle on faisait reprendre conscience aux Français de l'ampleur des inégalités existant entre les hommes et les femmes : inégalités professionnelles, inégalités dans la répartition des tâches domestiques, et inégalités de retraite.
Aujourd'hui, pour compléter ce que disait Mme la présidente, les hommes retraités perçoivent, en moyenne, chaque mois, une retraite de 1 749 euros, et les femmes, de 1 165 euros, soit un écart d'un tiers. Et près de 700 000 femmes de plus de soixante-cinq ans vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté.
Le faible niveau de retraite des femmes est le résultat de parcours professionnels hachés, interrompus et d'un accès limité au marché du travail dans les années cinquante et soixante. Ces parcours discontinus les conduisent à devoir attendre très souvent l'âge limite pour bénéficier d'une retraite à taux plein.
Les droits acquis en matière de retraite sont étroitement liés aux carrières professionnelles, à l'importance des interruptions de carrières, des emplois occupés et des salaires perçus. Par définition, davantage d'interruptions de carrière, de temps partiels, de petits salaires et de précarité génère mécaniquement, pour les femmes, des droits à la retraite plus faibles.
Certes, on nous objectera que l'activité des femmes, ces dernières décennies, n'est pas celle des femmes des années cinquante, qu'elle s'est considérablement développée, que leurs parcours professionnels sont moins hachés, que les postes qu'elles occupent aujourd'hui sont sans commune mesure avec ceux qu'elles occupaient dans les années soixante-dix, qu'elles sont formées, qualifiées – leurs résultats scolaires sont d'ailleurs meilleurs que ceux des garçons – et que certaines d'entre elles exercent de hautes responsabilités. Pour autant, sur le marché du travail, les inégalités demeurent entre les femmes et les hommes. Et si on ne change rien à ces inégalités professionnelles et salariales, elles deviendront demain des inégalités de pensions de retraite. De fait, les inégalités de retraite sont un condensé des inégalités de rémunération et de carrière sur le marché du travail.
Dans un système contributif comme le nôtre, si l'on veut corriger ces inégalités primaires, il faut conduire une politique de discrimination positive. Il s'agit en effet de compenser, une fois arrivé l'âge de la retraite, les inégalités que l'on n'a pas pu attaquer à la racine. Voilà pourquoi il est important de fixer au régime de retraite de base un objectif de réduction des inégalités de pensions de retraite entre les femmes et les hommes. Aujourd'hui, il y a à peu près un tiers de différence entre la retraite des femmes et celle des hommes. Le COR a montré que ces écarts ne se résorberont pas spontanément. Par exemple, en 2040, pour la génération née dans les années soixante-dix, l'écart devrait rester de 20 %.
Pour autant, ce serait une erreur de vouloir compenser, par les régimes de retraite, l'intégralité de l'écart. Si nous voulons être rationnels, nous devons également faire en sorte d'intervenir sur les causes. Voilà pourquoi la stratégie que je vous propose pour tenter de faire disparaître, à l'horizon 2040, cet écart de 20 %, repose sur trois piliers.
Premier pilier : il s'agit d'annuler les inégalités de rémunération pendant que les hommes et les femmes sont sur le marché du travail – en particulier les inégalités de rémunération à temps de travail égal.
Pour ce faire, nous appliquons la loi sur l'égalité professionnelle, procédure de contrôle sur les entreprises, prise de sanctions ; on a assisté à la multiplication des plans d'action au cours de ces derniers mois.
Mais la loi de sécurisation de l'emploi, en luttant contre les effets néfastes du petit temps partiel – seuil minimum de 24 heures hebdomadaires, majoration de 10 % dès la première heure complémentaire – contribue elle aussi à la réduction des inégalités de rémunération.
Les politiques que nous menons pour briser, petit à petit, le plafond de verre qui subsiste dans les entreprises, vont également dans le bon sens. Par exemple, nous publierons désormais chaque année le taux de féminisation des comités directeurs des grandes entreprises pour inciter ces dernières – qui tiennent à préserver leur image de marque – à évoluer en la matière.
De même, la mise en place d'un plan crèche ou, plus globalement, les mesures visant à améliorer l'accueil de la petite enfance – le Premier ministre a récemment annoncé la création de 275 000 places – éviteront aux mères de jeunes enfants de devoir interrompre leur carrière.
Toutes ces politiques visant à réduire les inégalités de parcours et de rémunération seront complétées demain par l'accord sur la question de l'égalité professionnelle et de la qualité de vie au travail. Cet accord est très important parce qu'il a vocation à assurer l'effectivité des droits résultant des lois Roudy et Génisson. Une fois que les partenaires sociaux auront conclu cet accord, et j'espère qu'il sera conclu, on en tirera les conséquences dans le projet de loi global sur l'égalité entre les hommes et les femmes que j'ai l'intention de vous présenter.
Deuxième pilier : il s'agit, cette fois, d'aller encore plus loin sur la question du temps partiel, même si l'Accord national interprofessionnel ou ANI, devenu loi de sécurisation de l'emploi, en avait déjà traité. Pour en avoir discuté avec vous, je sais que votre délégation a pris cette question à bras-le-corps.
Comment renforcer les droits sociaux des salariés à temps partiel – qui, à 80 %, sont des femmes ? Je me souviens que vous aviez proposé que l'on rende enfin effectives les dispositions de l'article L. 241-3-1 du code de la sécurité sociale qui prévoit la possibilité de la prise en charge, par l'employeur, des cotisations patronales additionnelles sur la base d'un temps plein, lorsque le salarié à temps partiel en fait la demande. Ces dispositions, qui datent de plusieurs années, ne sont quasiment jamais appliquées. Il faudrait faire en sorte que le sujet soit plus largement abordé dans le cadre des négociations annuelles sur l'égalité. Nous devrons y réfléchir.
Mme Yannick Moreau, dans son rapport, propose des pistes de travail intéressantes, pour mieux prendre en compte les carrières heurtées et celles des assurés à temps très partiel. Par exemple, vous savez qu'aujourd'hui, en dessous de 200 heures travaillées par trimestre, le trimestre n'est pas comptabilisé pour les droits à retraite. Selon ce rapport, ces heures qui donnent lieu à cotisation pourraient être totalisées en fin de carrière pour valider des trimestres supplémentaires utiles en cas d'années incomplètes. La limite serait de quatre trimestres par an, mais cela signifie que ces heures seraient enfin comptabilisées. C'est un sujet sur lequel je serai heureuse de vous entendre.
Troisième pilier de cette stratégie : réduire les inégalités au moment de la retraite. De ce point de vue, la réforme que l'on s'apprête à adopter constitue, je le redis, une opportunité extraordinaire. Je sais que Mme Marisol Touraine, qui en assure la responsabilité, y est extrêmement sensible.
Un certain nombre de pistes ont été proposées par Mme Yannick Moreau dans son rapport. Mais que les choses soient claires : aujourd'hui, aucune décision n'a été prise. La concertation débute jeudi par la Conférence sociale et durera jusqu'au mois de septembre.
Pour autant, je vous propose de revenir sur ce que pourraient être les objectifs de ce troisième pilier.
L'essentiel des efforts doivent porter sur les moyens de compenser la pénalité que subissent les femmes au moment des naissances, la Child Penalty. On pense en effet que celle-ci expliquerait quelque 10 % des écarts de salaires entre les femmes et les hommes. On manque de données pour évaluer son impact en matière de retraites. Voilà pourquoi j'ai demandé à l'Institut des politiques publiques, avec lequel nous avons passé une convention-cadre, de réaliser une étude approfondie sur cette question. Cette étude, qui dure depuis plusieurs mois, est sur le point d'être finalisée. Elle m'a semblé prometteuse, et je vous suggère d'auditionner ses auteurs.
Nous pensons par ailleurs que cette réforme des retraites doit être l'occasion de s'interroger sur les droits familiaux et conjugaux. Ceux-ci permettent de réduire un certain nombre d'inégalités qui découlent automatiquement du marché du travail et de la répartition inégale des responsabilités parentales. Mais ces droits sont assez peu lisibles et le rapport Moreau souligne qu'ils sont à l'origine d'un certain nombre de situations d'iniquité.
Ces droits recouvrent trois mécanismes différents : les bonifications de pension, les majorations de durée d'assurance, et l'assurance vieillesse des parents au foyer ou AVPF. Il faut reconnaître que ces trois droits cumulatifs contribuent aujourd'hui à réduire les inégalités entre les hommes et les femmes. Ils représentent même une part significative des droits à retraite des femmes qui ont liquidé leur pension, en 2010, au régime général.
Mais vous aurez sans doute remarqué que je parle de « droits familiaux » et non d'« avantages familiaux », qui est le vocabulaire habituellement utilisé. Je le fais sciemment, parce que je pense que le choix des mots a son importance. Ces trois mécanismes ne sont pas tant des avantages que des moyens de compenser, au moins en partie, au moment de la retraite, le manque à gagner lié au poids que font peser les enfants sur la carrière des femmes.
Certes, les parcours des femmes qui vont partir à la retraite demain ne seront pas les mêmes que ceux de leurs aînées. Elles sont en effet plus actives. En revanche, elles travaillent beaucoup plus souvent à temps partiel – 30 % des femmes actives sont aujourd'hui à temps partiel. Les écarts en termes de durée de validation, qui sont aujourd'hui importants, devraient se réduire très sensiblement. Mais ce sont les écarts de salaire – dans la mesure où ils intègrent, notamment, les effets du temps partiel – qui seront demain la cause principale des écarts de pension.
Le COR a fait des projections qui lui permettent de dire qu'à partir de 2020, l'écart entre les durées d'assurance moyenne des hommes et des femmes se réduirait à environ deux trimestres seulement et que l'écart entre les âges moyens de départ à la retraite des hommes et des femmes disparaîtrait progressivement. Restent les écarts de salaires.
Le premier des droits familiaux est la majoration de durée d'assurance, ou MDA, qui représente aujourd'hui environ 5 milliards. Son impact est réel, puisque le gain moyen de pension, sur l'ensemble des femmes, est estimé à environ 12 %. Ce mécanisme permet d'augmenter la durée d'assurance pour les mères, mais elle ne compense pas du tout la moindre progression salariale ou le fait d'être passée à temps partiel.
Par ailleurs, elle a un effet négatif sur le travail des femmes dans la mesure où celles qui ont connu peu d'interruptions de carrière entrent plus vite, vers la fin de leur vie active, dans la zone de surcote, et sont, de ce fait, « désincitées » à continuer à travailler.
Nous nous interrogeons donc sur la cible et sur les effets pervers de ce mécanisme de MDA.
Le deuxième des droits familiaux est l'assurance vieillesse des parents au foyer, ou AVPF, accordée aux bénéficiaires de certaines prestations familiales – notamment le complément de libre choix d'activité, ou CLCA, et le complément familial – sous conditions de ressources. Elle permet de valider des trimestres, par le rapport au compte du salarié, au régime général, d'un salaire mensuel équivalent au SMIC. Ce dispositif coûte environ 4,5 milliards d'euros à la CNAF. Il est toujours en phase de montée en charge, mais on considère qu'il a concerné un peu moins de 50 % des femmes qui sont parties en retraite en 2010.
Le troisième de ces droits familiaux est constitué par les bonifications de pension. Le dispositif en est très simple, puisqu'il consiste à majorer de 10 % la pension des parents de trois enfants et plus. On estime qu'il coûte aujourd'hui un peu moins de 6 milliards d'euros et qu'il devrait en coûter 10 milliards en 2040. Le problème est qu'il profite, de fait, davantage aux hommes qu'aux femmes. En effet, cette majoration est proportionnelle au salaire et donc proportionnelle à la pension, et avantage ceux qui ont les pensions les plus élevées – les hommes.
Ainsi, ces droits familiaux tendent à favoriser les pensions les plus élevées et accentuent, dans une certaine mesure, les inégalités – c'est le cas de la bonification de pension. Par ailleurs, ils privilégient très clairement la durée d'assurance sur le montant de la pension – c'est le cas de la MDA.
En conclusion, ce système est complexe, onéreux et parfois inadapté. Comment aménager ces dispositifs autour d'objectifs plus clairs, tout en veillant à ce que le système soit globalement efficace ? C'est un des sujets essentiels de la concertation qui va s'ouvrir. Mais j'accueillerai vos propositions avec beaucoup de soin.
Je voudrais terminer sur les pensions de réversion, qui bénéficient en très grande majorité aux femmes ; 90 % de ses bénéficiaires sont en effet des femmes. Ces pensions de réversion représentaient en 2010 une dépense annuelle, tous régimes confondus, de plus de 30 milliards d'euros. Il ne s'agit pas de les remettre en cause, mais de voir si elles sont adaptées aux changements sociétaux de notre pays, où il y a de plus en plus de divorces et de couples qui ne se marient jamais.
L'idée même des droits dérivés s'était imposée dans une société où le mariage était la forme prédominante de la vie en couple. La pension de réversion permettait d'éviter qu'en raison de la faiblesse des droits acquis par la femme au cours de sa vie professionnelle – faiblesse liée à la répartition inégalitaire des rôles au sein du couple –, celle-ci voie son niveau de vie chuter au décès de son conjoint. D'une certaine façon, la dépendance financière de celle-ci se trouvait compensée par la solidarité du couple au-delà même du décès de son conjoint.
Le problème est que le modèle sur lequel a été bâtie la pension de réversion n'est plus le modèle dominant et que les femmes qui se retrouveront seules au moment de leur retraite seront autant, voire davantage des femmes célibataires ou divorcées que des femmes veuves. Cela doit nous amener à chercher à renforcer plutôt les droits propres des femmes que les droits dérivés.
Je tiens à vous donner l'exemple, pour moi très parlant, d'une de mes administrées : son mari gagnant bien sa vie, elle arrête de travailler pour élever ses enfants. Le couple divorce. Elle se retrouve dans une situation précaire et ne touchera rien pendant des années, malgré les efforts qu'elle a fournis pendant sa vie de couple. Elle ne touchera une pension de réversion que très tardivement, lorsqu'elle partira elle-même à la retraite, et lorsque son ex-conjoint sera décédé. Et si cet ex-conjoint s'est remarié, le montant de la pension de réversion sera divisé entre les épouses successives.
Nous pouvons chercher des pistes à l'étranger. Il se trouve qu'en Allemagne, les droits à la retraite sont partagés au moment du divorce – c'est le splinting. Mais ce dispositif est difficile à appliquer à notre système de retraite, qui n'est pas un système à points et qui ne permet pas de calculer en temps réel, au cours de la carrière, les droits qui ont été acquis.
En conclusion, même si on peut commencer à y réfléchir, la question de la pension de réversion ne se résoudra que sur le long terme. En revanche, nous avons dès maintenant la capacité d'agir sur les droits familiaux. En en réorientant les masses financières, qui sont assez importantes, nous pourrions déjà résoudre certains problèmes.