Intervention de Arnaud Montebourg

Réunion du 19 juin 2013 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif :

La situation actuelle de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes est le résultat de décisions passées, prises tant aux plans national qu'européen. Ces décisions nous ont conduits à perdre le contrôle des outils de production industrielle qui, alors qu'ils étaient historiquement nationaux et européens, sont passés, après deux OPA – sur l'aluminium en 2004 et sur l'acier en 2006 –, sous le contrôle de groupes dont les centres de décision sont étrangers au territoire national et même à celui de l'Union européenne. De plus, les intérêts de ces groupes sont plus financiers qu'industriels, puisqu'ils doivent satisfaire des exigences de rentabilité inhabituelles dans l'histoire de l'industrie.

Alors que, le marché étant bas, nos capacités industrielles sont sous-employées, la question est de savoir comment éviter des destructions définitives d'outils industriels qui seront nécessaires pour répondre aux besoins du marché, le jour où nous aurons retrouvé le chemin de la croissance. Telles sont les questions que se posent tous mes homologues du Conseil des ministres chargés de l'industrie. À l'heure actuelle nous assistons à la multiplication des crises dans le secteur métallurgique : crise de l'acier en Italie, avec la défaillance du groupe Riva ; crise de l'acier en Allemagne consécutive aux difficultés du ThyssenKrupp ; crise, accompagnée de fermetures, provoquée par le groupe ArcelorMittal dans trois pays. Il n'y a guère que l'Algérie, qui a procédé à la nationalisation d'un site d'ArcelorMittal, pour y échapper. Quant au gouvernement wallon, il a exprimé son désir de rechercher un repreneur, y compris contre le consentement d'ArcelorMittal. Le fait est donc que tous les États cherchent aujourd'hui à reconquérir la maîtrise des outils industriels stratégiques.

Je récuse, au nom du Gouvernement, l'idée selon laquelle il y aurait des secteurs en déclin qu'il faudrait précipitamment abandonner et des secteurs en croissance dans lesquels il faudrait précipitamment investir. Il y a des entreprises en déclin et des entreprises en croissance dans tous les secteurs. Ceux qui pensent qu'on pourrait se passer de métal, sous prétexte que le secteur serait englouti, n'ont rien compris à l'industrie ou ignorent la composition de la totalité des matériaux utilisés notamment dans les moyens de transports – automobiles, avions, trains – ou l'électroménager. La métallurgie a de beaux jours devant elle. Maîtriser les amonts permet de maîtriser les avals. Être dépendant en amont, c'est être soumis à des intérêts étrangers aux intérêts nationaux.

Tel est l'esprit dans lequel travaille le ministère du redressement productif. Je tiens à rappeler que l'acier, en France, c'est 27 800 salariés, quarante-six sites industriels et une balance commerciale équilibrée. La France est également le troisième producteur européen d'acier, derrière l'Allemagne et l'Italie. Quant à l'aluminium, c'est 11 000 salariés à la fin de 2011, dont 70 % à la transformation, une production de 833 000 tonnes, dont 60 % issus du recyclage, et deux sites de production d'aluminium primaire – Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. Le Gouvernement ne saurait accepter la disparition de tels outils industriels.

L'arrivée des pays émergents se traduit par une montée du low cost dans le secteur de la métallurgie, ce qui relativise l'argument selon lequel ce secteur serait en surcapacité en Europe. En effet, le marché étant mondialisé, ce sont les changements de localisation des sites de production qui aboutissent à la création de capacités en dehors du continent européen. À ce facteur, il convient d'ajouter la montée du prix de l'énergie. Ces industries sont à usage intensif d'énergie, notamment électrique – c'est particulièrement vrai de l'aluminium. En dix ans, dix-neuf sites de production d'aluminium primaire ont disparu d'Europe pour réapparaître sur des continents dont les États pratiquent un prix de l'électricité particulièrement bas – c'est le cas du Canada, de l'Australie et de la Russie –, ce que la réglementation européenne nous interdit de faire.

Les Européens ont donc organisé eux-mêmes la destruction de leur propre industrie métallurgique, notamment en interdisant à leurs champions de disposer d'une taille critique leur permettant de se protéger des prises de contrôle. Je tiens à rappeler que la Commission européenne a interdit à Péchiney de prendre le contrôle d'Alcan, si bien qu'Alcan a mangé Péchiney pour être mangé à son tour par Rio Tinto, qui préfère aujourd'hui investir dans les mines et non plus dans l'industrie de transformation. Les deux sites ex-Péchiney de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont à l'heure actuelle menacés en raison de la fin prochaine du contrat de fourniture d'électricité à tarif préférentiel dont profite Rio Tinto.

La responsabilité de la Commission européenne est donc immense. En empêchant le gouvernement français d'organiser la protection des intérêts stratégiques de ce bien collectif européen qu'était Arcelor, issu d'Usinor-Sacilor, lui-même le fruit, faut-il le rappeler, des efforts de plusieurs États membres de l'ancienne Communauté européenne du charbon et de l'acier – CECA –, la Commission européenne a permis à M. Mittal, à la fois, de supprimer depuis 2006 – date de son OPA – 36 000 emplois dans le secteur et de réaliser un LBO – leveraged buy-out – familial moyennant les services de Goldman Sachs. Aujourd'hui surendetté, le groupe ne peut faire face aux conséquences de la baisse du marché européen, ce qui le conduit à une stratégie de démantèlement. Une telle situation aurait pu être évitée si la Commission européenne n'avait pas cette vision dogmatique, voire talmudique du droit de la concurrence, qui lui tient lieu de politique industrielle.

J'ai souligné la responsabilité historique de la Commission européenne auprès de M. Joaquín Almunia, commissaire chargé de la concurrence : c'est l'incroyable aveuglement non pas des responsables politiques des États membres mais de la technocratie bruxelloise, qui nous a plongés dans cette situation très critique. Or cet aveuglement se double d'une stratégie catastrophique en matière de politique énergétique. Plus nous taxons le CO2 que l'Europe produit, plus nous favorisons la consommation du CO2 produit hors Union, si nous ne décidons pas de nous protéger du dumping environnemental en établissant des taxes carbone aux frontières de l'Union européenne. Si l'Europe a assurément raison de privilégier une démarche environnementaliste et si la France soutient la taxation du CO2 comme politique générale de lutte contre le réchauffement climatique sur le territoire européen, notre pays réclame cependant la réciprocité sur le CO2 produit hors de l'Europe, faute de quoi nous consommerons le CO2 produit ailleurs à bas coût.

La politique de la concurrence et la politique de l'énergie sont les deux faillites de la Commission européenne puisqu'elles nous rendent incapables de protéger nos outils industriels. Je ne peux donc que féliciter M. Antonio Tajani, commissaire européen chargé de l'industrie et de l'entreprenariat, d'avoir pour objectif de faire remonter à 20 % la part de l'industrie dans le PIB européen en 2020. Il conviendra toutefois, pour atteindre cet objectif, de réviser toutes les politiques européennes, notamment la politique de la concurrence, la politique commerciale extérieure et la politique environnementale extérieure. C'est ce que ne cesse de répéter le gouvernement français à chaque Conseil « compétitivité », non seulement par ma voix mais également par celles de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances.

Nous ne pouvons pas toutefois passer notre temps à accuser l'Europe. Il nous faut prendre des mesures, en vue tout d'abord de conforter les sites industriels qui connaissent des pertes. Tel a été l'objet de la décision du Premier ministre dans l' « affaire Florange » – je n'y reviens pas. Il faut ensuite, en cas de risque de défaisance, chercher de nouvelles alliances : c'est ce que nous faisons à Saint-Jean-de-Maurienne pour sauver l'aluminium français, où nous cherchons à reconstituer un « Péchiney » franco-allemand, les Allemands disposant toujours d'une industrie de l'aluminium solide, performante et innovante sur le plan technologique. Les investissements allemands doteraient ce groupe d'une taille suffisante et des innovations nécessaires lui permettant de reprendre l'initiative sur le terrain de l'aluminium, avec un coût d'accès à l'énergie qui doit rester modéré – c'est de la responsabilité nationale.

Il convient également de favoriser le recyclage de l'aluminium secondaire en prévoyant l'interdiction de l'exportation de nos déchets pour les traiter sur le territoire national, en vue de créer un marché ad hoc. Là encore, c'est une politique nationale que nous menons.

Nous avons par ailleurs prévu des outils : la Banque publique d'investissement, le Grand emprunt, le financement de la Banque européenne d'investissement ou celui de l'innovation technologique. Monsieur Michel Liebgott, élu sur la circonscription de Florange, ici présent, ne me démentira pas : si nous avons renforcé à Florange les trains de laminage à froid, c'est parce que la France produit les meilleurs aciers spéciaux du monde en raison de ses capacités d'innovation technologique.

En tant qu'État membre de l'Union européenne, la France réfléchit également à la reconstitution d'un acteur minier. Nous avons encore des acteurs spécialisés dans la mine – Areva, pour la transformation de l'uranium, ou Eramet, en lien avec Imerys, pour la production d'alliages spéciaux –, mais nous n'avons plus d'acteur minier de commodités, permettant de maîtriser l'approvisionnement en bauxite, cuivre, minerais de fer, coke, charbon, etc. Reconstituer un acteur minier de taille au moins européenne est un objectif national auquel travaillent les équipes du ministère du redressement productif.

Enfin, si la politique commerciale européenne nous interdit de nous protéger, je me montrerai toutefois optimiste, puisque nous avons obtenu l'ouverture de quatre procédures de protection de nos intérêts industriels – les taxes douanières sont du ressort de la Commission européenne. Ces procédures concernent les aciers spéciaux, la porcelaine et la céramique, les panneaux photovoltaïques et, dernière enquête ouverte, les équipements de télécommunication. Les commissaires européens commencent à ouvrir les yeux sur cette passoire qu'est l'Union européenne au sein de la mondialisation débridée. Du reste, en dépit de ces quatre procédures, l'Europe demeure ouverte à plus de 99 % quand certains de ses partenaires sont fermés à 100 % !

Si le cycle politique commence à évoluer, c'est sous la pression des opinions publiques, qui n'acceptent plus que l'Union européenne ne se porte pas au secours des intérêts des peuples européens. La politique de réorientation du gouvernement français produit donc quelques effets dont nous ne saurions toutefois nous contenter. Mais, à force de parler fort, d'assumer nos positions et de les défendre, nous arrivons parfois à nous faire entendre. J'ai du reste rappelé à M. Antonio Tajani qu'il ne suffisait pas de sortir des textes mais qu'il fallait également prendre des décisions, notamment en matière de politique commerciale, de politique de la concurrence et de politique énergétique, domaines où l'Union européenne devait commencer à se mettre au diapason du reste du monde. Nous continuons en effet d'observer dès règles obsolètes, prises il y a cinquante ans en vue d'harmoniser le marché intérieur européen. Aujourd'hui, le problème n'est plus d'empêcher d'éventuelles distorsions de concurrence entre la Bulgarie et la France : il est de permettre aux grandes nations issues de la révolution industrielle de se battre à armes égales avec leurs partenaires dans la mondialisation. Nous sommes comme des coureurs de fond qu'on aurait entravés et qui devraient lutter à cloche-pied contre des athlètes totalement libres de leurs mouvements ! Tel est le résultat de la politique de l'Union européenne.

Lorsque M. Barroso qui, à l'évidence, n'a rien compris à l'exception culturelle, s'autorise les déclarations que l'on sait et qui d'ailleurs le discréditent de manière assez définitive, comment s'étonner du divorce aujourd'hui constaté entre l'Europe et les peuples ? Comment s'étonner qu'ils veuillent sanctionner ces dirigeants ?

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