Intervention de Didier Migaud

Réunion du 27 juin 2013 à 9h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, chaque année, la Cour des comptes remet au Parlement un rapport public sur la situation et les perspectives des finances publiques. Ce document livre une analyse à la fois rétrospective et prospective de la situation des finances publiques dans leur ensemble : celles de l'État, de la sécurité sociale, des collectivités territoriales – en somme tout ce qu'on appelle les administrations publiques, dont les dépenses représentent 56,6 % de la production nationale en 2012. Destiné à assister le Parlement dans son débat de juillet sur l'orientation des finances publiques, ce rapport s'adresse aussi au citoyen : la Cour joue pour lui comme pour le Parlement un rôle de vigie indépendante en matière de finances publiques.

Chaque année, ce rapport s'enrichit pour mieux éclairer les décideurs publics et les citoyens sur les enjeux de la maîtrise des comptes publics. L'an dernier, des développements détaillés sur la situation des finances publiques au moment de l'alternance avaient été ajoutés, afin de répondre à une demande du Premier ministre. Cette année également, la Cour a attentivement examiné la situation des finances publiques à mi-année pour analyser les risques pesant sur la fin de la gestion 2013 : il nous semble relever de la mission de la Cour d'apporter au Parlement à mi-année une analyse la plus complète possible sur le sujet avant que ne s'engage le débat d'orientation sur les finances publiques. La Cour relève à cet égard que les informations qui lui ont été transmises par le ministère des finances ont été moins complètes que l'an dernier.

J'ai autour de moi Raoul Briet, président de chambre et président de la formation interchambres qui a préparé ce rapport, Jean-Marie Bertrand, président de chambre et rapporteur général de la Cour, François Ecalle et Guillaume Boudy, conseillers maîtres, rapporteurs de synthèse. De nombreux autres rapporteurs ont également contribué à ce rapport et je veux leur exprimer toute ma reconnaissance.

La France se situe à un moment crucial dans la conduite du redressement de ses finances publiques. Elle a engagé depuis 2011 l'indispensable réduction de ses déficits publics. Les premiers résultats ont été obtenus : la moitié du chemin a bien été parcourue. Pour autant, si l'atonie de la croissance doit être naturellement prise en considération dans le calendrier du rééquilibrage de nos comptes, les efforts ne doivent en aucune manière être relâchés. La seconde moitié du chemin reste à parcourir et, selon les engagements du Parlement et du Gouvernement, elle doit consister, de façon quasi exclusive, en un effort de réduction du poids de la dépense publique. Cela implique en 2014 et 2015 d'importantes réformes qui devront concerner tous les acteurs publics, et permettre de résorber en priorité les déficits des régimes de sécurité sociale. Tel est le message essentiel développé dans ce rapport.

Je souhaite m'arrêter un instant sur les raisons fondamentales qui dictent la démarche de redressement des comptes publics. Cela fait de nombreuses années que la Cour prône une rupture avec plus de trois décennies de déséquilibre des comptes publics, qui ont conduit la dette, chaque année, à s'accroître pour atteindre 90,2 % du PIB fin 2012, alors que ce ratio était de 46 % en 1993, c'est-à-dire deux fois moindre.

Cet appel à un retour à l'équilibre structurel des comptes publics ne repose pas sur le seul attachement formel à des comptes à l'équilibre. Il s'appuie sur un raisonnement qui associe trois types de considérations – sur la souveraineté de notre pays, sur la compétitivité de son économie et sur la cohésion sociale.

S'agissant de la souveraineté tout d'abord, aussi longtemps que notre pays aura une dette élevée, il se situera dans une zone dangereuse qui l'expose à un risque en cas de hausse des taux d'intérêt. Jusqu'à ces derniers jours, ceux-ci se situaient à un niveau qui n'avait jamais été aussi bas mais leur remontée, plus ou moins forte et rapide, est inéluctable. L'on observe d'ailleurs depuis quelques jours la réapparition de tensions sur les marchés obligataires et un relèvement des taux lié aux perspectives de resserrement de la politique monétaire américaine.

Si les taux augmentent ne serait-ce que d'un point, ce sont immédiatement, pour le seul État, 2 milliards d'euros de charge d'intérêts l'année suivante et plus de 12 milliards d'euros au bout de dix ans. Le risque d'un emballement de la dette n'est pas seulement théorique et peut conduire les États concernés à des remises en cause de leur souveraineté. Notre pays a commencé à redresser sa crédibilité en matière de finances publiques, après une dizaine d'années de non-respect de ses engagements, mais cette crédibilité est encore fragile et doit encore être confortée. N'oublions pas que l'absence de redressement aurait un impact négatif vraisemblablement bien plus important encore sur l'activité que celui des mesures de redressement ! Il serait sanctionné par un alourdissement brutal des charges d'intérêts qui obligerait à mettre en place des politiques très restrictives.

La Cour fonde également ses recommandations pour un retour à l'équilibre structurel des comptes sur un raisonnement guidé par le souci de contribuer à rétablir la compétitivité de l'économie française. La charge d'intérêts des administrations publiques a atteint 52,2 milliards d'euros en 2012 et représente plus du double de l'effort budgétaire consacré à la recherche et à l'enseignement supérieur. Elle retire à notre pays d'importantes marges de manoeuvre qui lui manquent, particulièrement pour pouvoir relever sur le moyen et long terme son potentiel de croissance. En s'attaquant aux déficits publics, on se donne les moyens de pouvoir remédier à terme au second déficit majeur dont souffre la France, son déficit de compétitivité.

Enfin, – troisième forme d'argument qui milite pour le retour à l'équilibre des comptes publics –, le stock de dette accumulé pose de façon croissante une question d'équité entre les générations. La plus grande partie de la dette accumulée correspond en effet très largement à des dépenses de fonctionnement et de transferts sociaux et non à des dépenses d'investissement qui auraient contribué à préparer l'avenir. Dès lors, rien ne justifie que leur charge soit transférée d'une génération sur l'autre.

Au total, ce raisonnement souligne les effets négatifs d'une dette trop importante, et les risques que celle-ci fait courir à notre pays. Ce sont avant tout des considérations touchant à son intérêt national qui doivent conduire la France à redresser ses comptes publics, et non une contrainte venant de l'extérieur, même si celle-ci n'est pas sans réalité.

La Cour n'ignore pas que les mesures de redressement ont un effet négatif à court terme sur l'activité économique. C'est pourquoi elle considère comme logique que soient visés des objectifs de déficit structurel, c'est-à-dire corrigé des effets des variations conjoncturelles de l'activité, parallèlement aux objectifs de déficit effectif. S'en tenir à ce seul dernier objectif obligerait à prendre des mesures de redressement au fur et à mesure que les prévisions de croissance sont revues à la baisse, en ignorant l'impact que ces mesures peuvent avoir sur la situation économique. Cette préoccupation a d'autant plus de pertinence dans le contexte actuel que des pays voisins conduisent de façon concomitante le redressement de leurs comptes, ce qui peut aggraver l'effet négatif à court terme des mesures prises.

Le traité européen du 2 mars 2012 prévoit que les engagements des différents États en matière de finances publiques sont exprimés en termes de solde et d'effort structurel. Ces notions sont familières à la Cour qui raisonne, depuis plusieurs années déjà, en termes de déficit structurel.

Ce n'est pas pour autant qu'il faut cesser d'accorder de l'importance à la notion de déficit effectif. Le pacte de stabilité européen, mis en place au moment de l'entrée en vigueur de la zone euro, continue de reposer principalement sur des critères de solde effectif. Cette notion garde toute sa pertinence dans l'analyse des finances publiques, car c'est le niveau du déficit effectif qui détermine l'accumulation de dette nouvelle : les raisonnements en termes de déficit structurel et effectif sont complémentaires, le premier améliorant le pilotage des finances publiques en assurant un meilleur dosage dans le temps des efforts de redressement, et le second permettant d'en mesurer les résultats.

L'analyse de la Cour a montré qu'en 2010, plus des deux tiers du déficit public étaient indépendants de la crise et présentaient un caractère structurel. Le déficit structurel était alors d'environ 6 % du PIB. Il s'est réduit pour atteindre 4 % à la fin de l'année 2012 et devrait encore se réduire significativement en 2013. C'est donc la moitié du chemin du retour à l'équilibre structurel qui aura été parcourue à la fin de l'année 2013.

Je vais maintenant évoquer le constat de la Cour sur l'année 2012, puis son analyse sur la situation de 2013 avant de présenter les enjeux de la maîtrise des finances publiques pour les années à venir et les préconisations de la Cour.

L'année 2012 a connu un effort très significatif de redressement des comptes : l'effort structurel, c'est-à-dire la somme des mesures nouvelles en recettes et de maîtrise des dépenses, a représenté 1,1 point de PIB, soit un niveau jamais atteint depuis les années 1995 et 1997, au moment de la qualification dans la zone euro. Cet effort a été obtenu en quasi-totalité par des hausses de prélèvements obligatoires, dont le rendement s'est élevé à 22 milliards d'euros. Le rythme de croissance des dépenses publiques a été ralenti par rapport à la moyenne des années précédentes, pour atteindre 1 % en volume, c'est-à-dire en plus de l'inflation. L'objectif d'une croissance limitée à 0,4 % en volume n'a pas été tenu. Si les normes de dépenses de l'État ont été respectées, ainsi que celles concernant la sécurité sociale, la croissance des dépenses des collectivités territoriales a été plus rapide qu'anticipé, en particulier en matière de dépenses de fonctionnement.

Toutefois, cet effort structurel important ne s'est traduit que par une réduction limitée du déficit public, qui est passé de 5,3 % du PIB à 4,8 %, en raison d'une nette dégradation de la conjoncture. La croissance était de 2 % en 2011 et a été nulle en 2012. La situation à la fin de l'année 2012 demeure donc préoccupante, et ce pour deux raisons principales.

La première est que le niveau de déficit est encore très éloigné de celui qui aurait permis de stabiliser la dette, soit 1,3 % du PIB. Dès lors, la dette a continué d'augmenter à un rythme soutenu, puisqu'elle est passée de 85,8 % du PIB à 90,2 % en un an.

La seconde est que, malgré l'effort fourni, le déficit de la France se situe toujours au-dessus de la moyenne des pays de la zone euro, qui est de 4 %, et de la moyenne de l'Union européenne, qui est de 3,7 %. Cela tient principalement au fait que les autres pays ont consenti, dans la même période, un effort au moins équivalent à celui de la France ; celle-ci n'a donc pas pu rattraper son retard relatif. Le déficit structurel de la France, ramené à 4 %, demeure deux fois plus important que celui de la zone euro, à 2,1 %. L'Italie a nettement amélioré sa situation, et son déficit structurel a été ramené à 1,4 point de PIB. L'Allemagne, quant à elle, est parvenue à dégager un excédent structurel. Dès lors, les trajectoires d'endettement de la France et de l'Allemagne continuent de diverger, la première augmentant le niveau de sa dette pendant que la seconde le réduit.

Ainsi, si notre pays a réduit son déficit structurel, ses finances publiques sont encore loin d'être assainies. Le niveau du déficit demeure très important : il représentait à la fin de l'année 2012 près de 100 milliards d'euros et 8,5 % des dépenses publiques, ce qui signifie qu'un mois de dépenses est financé par l'emprunt.

J'en viens maintenant à l'année 2013. L'effort de redressement programmé a été amplifié, pour atteindre 1,9 point de PIB. L'objectif de déficit public, fixé à 3 % en loi de finances initiale, a été révisé en avril dans le programme de stabilité à 3,7 % du PIB. Il pourrait néanmoins être assez sensiblement dépassé. La Cour a évalué le risque sur le produit des recettes et le niveau des dépenses.

S'agissant des recettes, deux formes de risques ont été identifiées. La première porte sur les prévisions de croissance du PIB. Le programme de stabilité table sur une croissance de 0,1 %, prévision qui demeure fragile. Si la dernière prévision de l'INSEE, moins pessimiste que celle de l'OCDE, se réalise, soit une diminution du PIB de 0,1 %, ce sont 2 milliards d'euros de recettes qui manqueraient. Le déficit serait alors accru de 0,1 point de PIB.

La seconde forme de risque concerne les hypothèses techniques dites d'élasticité, qui mesurent la façon dont le produit des recettes varie en fonction de la croissance. La Cour avait constaté que ces hypothèses avaient été surestimées dans le projet de loi de finances pour 2013. Elles ont en grande partie été révisées dans le programme de stabilité, mais des fragilités demeurent. Ainsi, la prévision de TVA suppose que les facteurs qui ont joué à la baisse du produit de cet impôt en 2012 ne joueront pas en 2013 : elle apparaît donc fragile. Hors révision de la croissance économique, la Cour a identifié des risques sur le produit des recettes qui peuvent représenter, dans l'hypothèse élevée, jusqu'à 6 milliards d'euros, soit 0,3 point de PIB.

Au total, les risques qui s'attachent aux prévisions économiques et au montant des recettes pourraient porter aux alentours de 4 points de PIB le déficit pour 2013.

La Cour estime que les objectifs de dépenses apparaissent réalisables. En effet, elle a examiné les risques pesant sur l'exécution des dépenses de l'État. Elle a identifié, sur le champ de la norme en valeur, des risques de dépassement d'un ordre de grandeur habituel, soit entre 1 et 2 milliards d'euros, que les redéploiements et annulations de crédits peuvent permettre de couvrir : en 2012, 3,7 milliards d'euros avaient été annulés en cours de gestion. Au-delà de ces risques habituels, il convient de souligner l'importance de l'aléa que constitue le prélèvement sur recettes en faveur de l'Union européenne, qui pourrait être majoré de 1,8 milliard d'euros. En sens inverse, des économies pourraient être constatées sur la charge d'intérêts de la dette. Dans le domaine social, le rythme actuel de la dépense de soins observée jusqu'aujourd'hui, s'il se prolonge, pourrait conduire à des dépenses inférieures de 500 millions d'euros à l'objectif national de dépenses d'assurance maladie – ONDAM – voté. Ces moindres dépenses pourraient permettre de compenser, au moins pour partie, les risques qui s'attachent à une sous-estimation des dépenses des collectivités territoriales. L'objectif d'une croissance des dépenses publiques dans leur ensemble limitée à 0,9 % en volume, après 1 % en 2012, apparaît donc atteignable.

Au total, la Cour considère que le nouvel objectif de déficit de 3,7 % retenu dans le programme de stabilité risque d'être dépassé en raison de prévisions de recettes qui demeurent trop optimistes. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un déficit effectif se situant autour de 4 % du PIB.

Compte tenu de l'ampleur de l'effort programmé et de l'atonie de la croissance économique en 2012 et en 2013, la Cour considère qu'il n'y a pas lieu d'envisager des mesures de rééquilibrage en cours d'année. Elle prolonge en cela le raisonnement de nature structurelle qu'elle avait tenu à l'occasion du rapport public annuel de février dernier. En revanche, il convient de s'attacher à ce que l'effort programmé, le plus important de l'histoire budgétaire récente, soit entièrement réalisé. Pour cela, la plus grande vigilance doit être portée au strict respect des objectifs de dépense, afin que l'année 2013 marque un progrès effectif et significatif par rapport à 2012.

La même logique de prise en compte de la conjoncture conduit à décaler dans le temps des objectifs de déficit effectif. Le programme de stabilité établi par le Gouvernement prévoit un déficit public inférieur à 3 % en 2014. En réalité, en reprenant les efforts structurels prévus dans le programme de stabilité, soit 1 point de PIB en 2014 et 0,6 point en 2015, mais en retenant des hypothèses plus prudentes en matière de croissance économique et de dynamique des recettes, ce ne serait qu'en 2015 que le déficit public serait ramené à 3 %. Cette analyse rejoint la proposition de recommandation formulée à la fin du mois de mai par la Commission européenne, proposition qui est sur le point d'être adoptée par le Conseil de l'Union européenne.

Ce report de deux ans met en évidence le caractère déjà en partie dépassé du programme de stabilité d'avril. Plus fondamentalement, les trajectoires des soldes effectif et structurel de la loi de programmation des finances publiques apparaissent aujourd'hui en décalage manifeste tant avec les résultats de l'exercice 2012 qu'avec les prévisions du programme de stabilité, en particulier pour 2013. Ces écarts posent la question d'une mise à jour de la loi de programmation, qui doit constituer la référence principale en matière de conduite et de surveillance des finances publiques.

Le desserrement du calendrier, s'il tire les conséquences de la faiblesse de la croissance, n'autorise aucun relâchement de l'effort structurel de réduction du déficit. L'effort programmé pour 2014 et 2015, soit 1,6 point de PIB au total, s'il est moins important que celui de la seule année 2013, représente une exigence forte, car il est prévu qu'il porte à 80 % sur les dépenses publiques. Ces objectifs ont été fixés non par la Cour, mais par le Gouvernement et le Parlement, le Gouvernement souhaitant conserver la trajectoire qu'il a fixée et sur laquelle le Parlement s'est prononcé en avril.

Ce choix de privilégier désormais le levier des dépenses va dans le sens des préconisations émises par la Cour depuis plusieurs années. Il représente une rupture par rapport aux années passées, pendant lesquelles le redressement avait été réalisé, en quasi-intégralité, par des mesures de recettes nouvelles. En conséquence, le taux de prélèvements obligatoires s'est élevé à 45 % du PIB en 2012, soit le niveau le plus élevé jamais atteint. Cette hausse, qui devrait se prolonger en 2013, s'est accompagnée d'une forte instabilité fiscale. Dans un contexte de concurrence entre États et de déficit de compétitivité et d'attractivité de notre territoire, il serait contreproductif d'augmenter encore sensiblement ce niveau.

Le Gouvernement prévoit un freinage accentué de la dépense publique, dont la croissance en volume serait limitée à 0,4 % en 2014 et à 0,2 % en 2015. En dépit de ce freinage et pour tenir les objectifs, le programme de stabilité prévoit des mesures significatives de hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 12 milliards d'euros, dont 5 milliards d'euros correspondraient à une compensation de la baisse du rendement de certaines mesures passées et 7 milliards d'euros à un surcroît net de recettes. La Cour estime que le principal bénéficiaire de ces mesures devrait être la sécurité sociale.

Ces 7 milliards d'euros de mesures nouvelles en recettes en 2014, suivies par une stabilisation en 2015, sont à rapprocher des 33 milliards d'euros votés en 2013, aux 22 milliards d'euros en 2012 et aux 18 milliards d'euros en 2011. Elles devraient en priorité passer par une réduction du coût des niches fiscales et sociales.

Pour réaliser l'effort programmé, d'importantes économies sur la dépense publique devront être dégagées : 13 milliards d'euros en 2014 puis 15 milliards d'euros en 2015. Les réformes permettant une réduction du poids de la dépense publique apparaissent donc plus que jamais nécessaires. Cependant, à ce stade, elles ne sont, pour la plupart, qu'esquissées. La Cour estime que cette réduction est réalisable, à trois conditions.

La première est d'agir rapidement. Prendre des mesures ayant un impact significatif dès aujourd'hui évitera de devoir prendre des mesures plus drastiques demain.

La deuxième est qu'aucun acteur de la dépense publique ne soit par principe écarté de la participation à l'effort. En France, les services de l'État et l'assurance maladie, pour lesquels les outils de pilotage de la dépense sont les plus développés, ont subi ces dernières années une contrainte plus forte que les autres acteurs, en particulier les opérateurs de l'État et les collectivités territoriales.

Tous les acteurs sont concernés, toutes les formes de dépense également – c'est la troisième condition. La maîtrise de la masse salariale est indispensable. Des économies sur les dépenses d'intervention, c'est-à-dire les subventions et les prestations sociales, sont également d'autant plus essentielles qu'elles représentent plus de la moitié de la dépense publique et qu'elles ont été peu concernées par les mesures prises jusqu'ici, notamment dans le cadre de la révision générale des politiques publiques – RGPP.

La maîtrise des dépenses passe par des réformes de fond. L'effort à venir est une occasion de rompre avec une culture qui met trop l'accent sur les moyens et pas assez sur les résultats obtenus. La France occupe en 2012 la deuxième place parmi les pays de l'OCDE en matière de dépenses publiques dans le PIB, avec 56,6 % ; elle se rapproche ainsi du Danemark, et devrait même le dépasser. Mais notre pays figure bien plus rarement parmi les premiers lorsque les résultats de ses politiques publiques sont mesurés. C'est particulièrement le cas pour le logement, la formation professionnelle, l'éducation nationale.

Trop souvent, en effet, le réflexe, lorsqu'il s'agit de régler un problème, de répondre à une demande sociale, consiste à apporter des moyens nouveaux. Des dispositifs s'ajoutent aux anciens sans que ces derniers soient supprimés. Il existe une vaste zone grise de dispositifs peu suivis et dont l'étude révèle souvent qu'ils sont insuffisamment ciblés. La tolérance envers ces effets d'aubaine, pour peu que l'objectif principal soit à peu près atteint, a longtemps empêché un nécessaire travail de rationalisation. La multiplication d'acteurs publics, dont les compétences se recoupent souvent, est en elle-même une source de dépenses pour la collectivité nationale.

Il existe incontestablement d'importantes marges de progrès pour améliorer la performance des politiques publiques et des organismes publics, sans remettre en cause ni la qualité du service rendu ni les principes du modèle social français. Faire aussi bien, voire mieux, est possible, en dépensant moins.

La démarche de recherche d'économies doit être comprise et utilisée comme une occasion de mettre en oeuvre des réformes plus profondes, touchant à l'adaptation et à la modernisation des politiques publiques. La Cour a montré le mois dernier qu'une révision profonde des modes de gestion des enseignants pourrait améliorer les résultats du système scolaire tout en constituant une réponse aux attentes des enseignants bien plus efficace que la variation des effectifs. Elle a livré en janvier un rapport sur les politiques relatives au fonctionnement du marché du travail mettant en évidence que les dispositifs existants, qu'ils concernent l'indemnisation du chômage ou la formation professionnelle, ne bénéficiaient que peu à ceux qui en avaient le plus besoin. D'autres rapports de la Cour illustrent le contenu qui peut être donné à des réformes de fond : l'organisation des forces de sécurité, la politique en faveur du sport, les musées, le service de santé des armées, la psychiatrie, les services d'incendie et de secours – ma liste est bien loin d'être complète.

Pour faciliter l'acceptation des choix et réussir dans la conduite du changement, il est préférable que ces réformes structurelles résultent d'un diagnostic aussi partagé que possible. Pour cela, l'outil à privilégier est l'évaluation des politiques publiques, à laquelle contribuent le Parlement, la Cour des comptes mais aussi le Gouvernement, par la démarche de modernisation de l'action publique, la MAP. Il est essentiel que les travaux engagés dans ce cadre aboutissent. Le retard pris dans la mise en place de ces réformes structurelles, le fait que la RGPP n'apporte plus de nouvelles économies et l'ampleur des efforts à réaliser en 2014 et 2015 rendent nécessaire, à court terme, des mesures transversales de freinage de la dépense publique, comme le gel de la valeur du point dans les fonctions publiques ou une moindre progression de l'ONDAM. Cela peut passer également par une moindre revalorisation de certaines prestations sociales, à l'exception des minima sociaux. Ces revalorisations inférieures à l'inflation, ou modulations, pourraient concerner les pensions de retraite, les prestations familiales ainsi que les aides au logement. Pour préserver les retraités les plus modestes, cette mesure pourrait être modulée en fonction du niveau total des pensions perçues. J'insiste sur le fait que ces moindres revalorisations ne devraient pas concerner les minima sociaux, par exemple le minimum vieillesse ou le revenu de solidarité active.

De telles mesures transversales produisent des effets rapides et substantiels. Elles seront d'autant mieux admises qu'elles joueront un rôle temporaire et limité, dans l'attente des indispensables réformes structurelles.

Ces réformes requièrent, de la part des décideurs – dont nous ne sommes pas –, de définir des priorités, d'effectuer des choix explicites, d'améliorer le ciblage de dispositifs qui touchent un trop large éventail de bénéficiaires, de reconsidérer des politiques publiques qui n'atteignent pas leurs objectifs ou le font à un coût trop élevé. À cette fin, la Cour livre dans la cinquième partie de ce rapport un éventail de réformes possibles et susceptibles de contribuer à la maîtrise des dépenses. Il ne prétend nullement à l'exhaustivité et rassemble des mesures de nature et d'ampleur diverses. Il ne s'agit ni d'un programme d'économies ni d'un menu, mais d'une carte proposant des pistes tirées des rapports les plus récents de la Cour. Je rappelle que les objectifs de réduction de la dépense publique sont fixés non par la Cour, mais par les programmes sur lesquels le Gouvernement s'est engagé et qui ont été approuvés par le Parlement il y a quelques semaines.

Pour l'État, est notamment suggéré un ciblage plus pertinent des dispositifs d'aide à la presse, d'aide aux buralistes, de certaines aides au logement ou encore dans le secteur de la formation professionnelle continue. La poursuite de la professionnalisation de la politique des achats de l'État pourrait entraîner des économies substantielles. Sur la seule maintenance des équipements militaires, la Cour avait identifié 300 millions d'euros d'économies potentielles. Les coûts de gestion des services de l'État pourraient être encore allégés, par exemple en modernisant la gestion des pensions ou celle de l'impôt.

L'organisation des services déconcentrés de l'État peut, elle aussi, être encore améliorée ; la Cour avait cité, en janvier 2012, l'exemple des sous-préfectures. Elle livrera prochainement un rapport sur l'organisation d'ensemble des services territoriaux de l'État. L'organisation des services à l'étranger présente également des marges d'amélioration.

La maîtrise de la masse salariale de l'État, qui représente le tiers de ses dépenses, constitue naturellement un enjeu central. À effectifs constants, de nombreux facteurs contribuent à la hausse tendancielle de la masse salariale, estimée à 1,3 milliard d'euros. Il s'agit notamment des mesures catégorielles et de l'effet des avancements, appelé GVT positif.

Pour tenir les objectifs de dépenses, le Gouvernement a prévu de limiter l'accroissement de la masse salariale à 300 millions d'euros par an. À effectifs stabilisés, ainsi que le Gouvernement l'envisage, cela suppose de mener une politique salariale très rigoureuse qui combine le gel du point de la fonction publique ou une très faible revalorisation de celui-ci, une réduction importante des mesures catégorielles et un ralentissement des déroulements de carrière. Une telle option risque ainsi de priver l'État d'une grande partie des leviers d'une politique dynamique de gestion des ressources humaines.

Pour éviter de prolonger le gel du point ou de ralentir fortement les déroulements de carrière, d'autres leviers peuvent être actionnés, notamment une réduction limitée des effectifs. La Cour présente plusieurs scenarii ; parmi ceux-ci figure par exemple le non-remplacement d'un départ à la retraite sur six, soit une réduction d'effectifs de 10 000 emplois à temps plein. Une telle réduction, à répartir sur tout ou partie des administrations de l'État en fonction des priorités de l'action gouvernementale, pourrait s'accompagner d'une option visant à augmenter la durée effective du travail des agents, afin de limiter les conséquences des réductions d'effectifs sur la quantité et la qualité des services publics rendus. Ces orientations valent également pour les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

Les régimes de protection sociale doivent d'autant plus contribuer à la maîtrise des dépenses que leurs comptes s'inscrivent dans des perspectives non soutenables. La Cour a réalisé des projections nouvelles des soldes des régimes d'assurance maladie et de retraite, en se fondant sur des hypothèses actualisées sur la base du programme de stabilité et, pour les années suivantes, sur des hypothèses d'évolution de la masse salariale équivalentes à celles connues au cours des douze dernières années. Ces projections font apparaître une dégradation de près de 10 milliards d'euros du solde du régime général de la sécurité sociale à l'horizon 2017. À politique inchangée, le régime général serait constamment déficitaire d'ici à 2030, y compris la branche maladie. Pour l'ensemble du système de retraite, le déficit, de 1,6 % du PIB en 2030, serait plus élevé que celui qu'envisage le Conseil d'orientation des retraites. Ces perspectives appellent des mesures de redressement rapides pour prévenir les déficits à venir, et des réformes plus structurelles pour contenir la croissance spontanée des dépenses.

Le rapport cite les économies que pourrait entraîner une réforme des modalités d'organisation et de prise en charge des transports sanitaires ou une simplification du régime des indemnités journalières pour congé maladie. S'agissant des retraites, plusieurs possibilités sont sur la table, comme la limitation des avantages familiaux accordés aux retraités, notamment par la fiscalisation de la majoration de 10 % des pensions dont bénéficient les personnes ayant élevé trois enfants, ou la réduction du coût de certaines niches sociales bénéficiant aux retraités. La Cour a par ailleurs identifié une économie potentielle d'un milliard d'euros dans les dépenses de personnel et de gestion administrative des caisses de sécurité sociale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion