Monsieur le Premier président, votre analyse est de plus en plus inquiétante chaque année. Pour éviter toute polémique inutile, j'attribuerai ce phénomène à une période bien trop longue de déficit incessant et de progression inexorable de la dépense publique. Je note avec inquiétude que celle-ci l'emportera bientôt en pourcentage du PIB sur celle du Danemark, seul pays qui nous dépassait encore à cet égard. Je partage entièrement vos analyses : il faut absolument réagir.
Mes questions porteront sur la seule année 2013. Je suis très inquiet d'entendre que, contrairement à ce que je pensais, comme nombre de mes collègues, les soldes structurels ne s'amélioreraient pas. Mais, parce que je me méfie toujours un peu des analyses en termes de solde structurel, fondées sur des hypothèses souvent contestables, notamment en matière de dépenses, je ne considérerai l'exécution 2013 qu'en termes de solde effectif, en cumulant comptes de l'État et comptes sociaux. Vous laissez entendre que le déficit public, déjà porté – en comptabilité nationale, en « maastrichtien » – à 3,7 % il y a quelques mois dans le cadre du programme de stabilité, pourrait malheureusement atteindre environ 4 %, soit 80 milliards d'euros, essentiellement, semble-t-il, du fait de la baisse des recettes.
Les dépenses de l'État en 2013 souffriraient selon vous, exactement comme l'année dernière, d'un sous-provisionnement atteignant cette année 1,1 à 2,1 milliards d'euros, dans les domaines que nous ne connaissons que trop : les OPEX, les dépenses relatives à l'asile et à l'immigration, la solidarité, la mission « Travail et emploi », les allocations logement. Mais vous identifiez cette fois un risque nouveau de provisionnement de 500 millions d'euros supplémentaires sur la masse salariale. Un exemple parmi d'autres témoigne des foyers de dépense que représentent les dépenses « de guichet » : dans votre rapport sur l'exécution 2012, que nous avons examiné il y a un mois, vous indiquez que l'État était, fin 2012, en dette de 40 millions d'euros auprès de l'assurance maladie au titre de l'aide médicale de l'État – AME.
Or, pour financer ces dépenses, nous disposions ces dernières années des économies réalisées sur les intérêts de la dette, d'une part, et de la régulation budgétaire, d'autre part. Sur les intérêts de la dette, nous avons pu économiser 2,5 milliards d'euros par rapport à 2012. Vous évoquez la possibilité d'ajouter 500 millions d'euros supplémentaires aux 700 millions d'économies intégrés dans le programme de stabilité, avant de préciser aussitôt que l'on observe ces derniers temps une certaine nervosité des marchés financiers. Je rappelle que nous empruntons cette année 180 milliards d'euros : vous l'avez dit, 100 points de base de taux d'intérêt supplémentaires représenteraient donc 2 milliards d'euros. Quant à la régulation budgétaire, il vous paraît difficile d'aller au-delà des 3,7 milliards d'annulations de l'année 2012. Dans ces conditions, pensez-vous que nous pourrons respecter les deux règles auxquelles nous nous astreignons depuis des années : la norme « zéro volume », incluant dette et pensions, et la norme « zéro valeur », qui les exclut ?
J'en viens aux dépenses sociales. Dans ce domaine, les sources d'envolée des dépenses sont partiellement prises en considération par le programme de stabilité : je songe au Fonds de solidarité vieillesse, aux retraites, du fait des décisions prises il y a un an, et à l'assurance maladie avec la fin de la convergence tarifaire – sommes-nous parfaitement au clair avec l'ONDAM ? Les objectifs de dépenses inscrits dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont-ils respectés ?
S'agissant enfin des recettes, vous indiquez que « les pertes probables de recettes en 2013 [sont] imputables à une élasticité plus faible que prévu ». Mais il convient de distinguer l'élasticité par rapport à la croissance de l'élasticité par rapport à la structure même de l'impôt, à laquelle il me semble que vous faites ici allusion. Je crains en effet que nous ne soyons entrés dans une zone de rendement décroissant de l'impôt. Je citerai deux exemples à l'appui de cette hypothèse.
D'abord, l'impôt sur les sociétés. Nous avons adopté d'importantes mesures en loi de finances pour 2013, mais le programme de stabilité – auquel je me permets de faire référence, car c'est le seul texte qui nous fournisse des éléments d'information – indique que ces mesures nouvelles – limitation de la déductibilité des intérêts, nouveau calcul des plus-values sur les titres de participation, etc. – vont rapporter moins que prévu. C'est bien ici d'élasticité par rapport à la structure de l'impôt qu'il s'agit.
Quant à l'impôt sur le revenu, la prévision de recettes pour 2013 est de 72 milliards d'euros, soit 20 % de plus que les quelque 60 milliards de l'exécution 2012. Est-ce réaliste ? Tout va dépendre de l'acompte de 4,6 milliards d'euros au titre de la « barémisation » des revenus du patrimoine, à propos duquel l'incertitude, qui est grande, ne prendra fin qu'en septembre ou octobre.
L'écart de 3,5 milliards d'euros entre les prévisions de la loi de finances rectificative de fin d'année et les recettes de TVA constatées, que vous signalez dans votre rapport sur l'exécution 2012, nous inquiète lui aussi beaucoup.
D'une manière générale, la Cour a-t-elle les moyens d'analyser plus précisément la mécanique des rentrées fiscales ? Je crains en effet un phénomène global, quasi structurel, d'érosion, d'autodestruction d'une partie de l'impôt. À supposer que nous parvenions à tenir les dépenses, les dérapages par rapport aux prévisions résultent pour l'essentiel des recettes.