Il faut faire la part des choses entre le désir légitime d'un journaliste d'attirer l'attention, le besoin et le droit de la population d'en connaître et la réalité. Depuis un an deux enquêtes de sécurité avaient déjà été menées sur le site, l'une par l'inspection des armées, l'autre par la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Nous éprouvons le dispositif de sécurité au moins une fois par an et ce, sans préavis naturellement. En outre, il y a un mois, le commandant de l'Île Longue a lui-même demandé l'organisation d'une tentative de pénétration du site.
Des vérifications très régulières des huit kilomètres de clôture sont effectuées ! Le site dispose en outre du centre de protection le plus moderne de France ; y compris par rapport aux autres installations sensibles.
La civilianisation du transport trans-rade est quant à elle une réalité depuis déjà fort longtemps, mais je vous laisse imaginer que l'accès est resté très bien contrôlé. Quant aux commentaires sur l'absence de certains dispositifs de contrôle, par exemple de l'iris, il me semble que ces technologies ne pourraient correspondre au volume quotidien des flux de personnels. D'autres moyens, combinant des contrôles techniques et humains, sont mis en oeuvre et restent très performants.
Bien sûr, nous ne crions pas sur tous les toits ce que nous faisons, a fortiori s'agissant de dissuasion. Cependant, après le 11 septembre 2001 et certains événements marquants de la décennie, nous avons pris des mesures de protection supplémentaires et des renforcements ponctuels du dispositif sont envisageables et mis en oeuvre en fonction de l'évaluation de la menace.
Le ministre a pris les dispositions de nature à répondre aux questions posées par les médias en commandant une enquête à l'inspection générale des armées, qui est placée sous son autorité directe.
Bien entendu, nous aimerions toujours disposer de moyens supplémentaires, mais il convient de rester raisonnable. Par exemple, nous ne disposons certes pas de scanners pour véhicules, qui se justifient dans le cas du port du Havre, mais cela n'empêche pas que les véhicules soient contrôlés. Certains d'entre vous ont visité l'Île Longue et ont pu constater, voire s'impatienter, face à la rigueur du dispositif de contrôle.
J'en viens maintenant au sujet de Louvois. Je m'exprime ici d'abord au nom des militaires de l'armée de terre, de la marine et des services interarmées – service de santé, service du commissariat et service des essences –, qui sont aujourd'hui soldés via le système Louvois. Je suis à la fois furieux et vexé de ne pouvoir influer sur la situation.
Comme vous le savez, ce nouveau système de traitement des soldes connaît des dysfonctionnements jugés mineurs jusqu'à l'été 2012 et devenus majeurs depuis. Or, nous exigeons beaucoup de notre personnel dans ses engagements, quelle qu'en soit la forme. Le ministère de la Défense se doit donc de lui donner tous les moyens d'accomplir ses missions. Ce sujet m'intéresse donc au premier chef.
En tant que premier des militaires et en ma qualité de responsable de la condition militaire et du moral au sein des armées et des organismes interarmées, je ne peux accepter les difficultés matérielles dans lesquelles se débattent beaucoup d'entre nous du fait du mauvais fonctionnement d'un système, quel qu'il soit.
Depuis le décret 2009-1177 du 5 octobre 2009, je suis responsable du soutien et de l'administration des armées, des services et directions interarmées. Mais, en vertu du décret 2009-1179 signé à la même date et fixant les attributions du secrétaire général pour l'administration, c'est la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) qui « assure le pilotage des systèmes d'information ministériels en matière de ressources humaines, et notamment de solde, de paie, de droits individuels et de pensions. » Ce n'est pas fuir ses responsabilités que de le dire. C'est un fait avéré, qu'il est nécessaire de rappeler.
Je commencerai par évoquer les conditions ayant conduit au raccordement du système Louvois. Je vous exposerai ensuite les actions de mon niveau concourant à cet objectif, sous l'autorité de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, dont vous savez qu'il s'est personnellement saisi du dossier pour surmonter cette crise depuis septembre dernier. Enfin, je vous ferai part des réflexions que tout cela m'inspire.
Au regard de l'organisation de la fonction solde dans les armées, Louvois est un sujet sur lequel j'ai aujourd'hui comme hier peu de leviers.
L'historique de la mise en place de ce nouveau système de traitement de la solde vous a été décrit dans le détail par ceux qui en ont été directement les pilotes, qu'il s'agisse du directeur des ressources humaines du ministère de la défense, du secrétaire général pour l'administration et du directeur adjoint du cabinet du ministre de la défense. Je n'y reviendrai donc pas, si ce n'est pour souligner que, dès ma prise de fonction, j'ai mesuré les difficultés de cette entreprise. J'ai d'ailleurs appelé l'attention du ministre de la Défense par écrit, le 7 mai 2010, sur les risques de rupture de continuité de la fonction solde, en particulier au sein de l'armée de terre – du fait de la déflation rapide des effectifs des centres territoriaux d'administration et de comptabilité (CTAC). Dans ce courrier, j'alertais le cabinet du ministre sur l'impact négatif d'une accélération de la montée en puissance du service du commissariat aux armées (SCA), décidée en mars 2010, et sur ses conséquences sur le processus de solde. Je proposais notamment de prendre des mesures conservatoires destinées à maintenir le personnel qualifié dans les CTAC.
Pour autant, j'ai personnellement donné mon accord avant chaque raccordement d'une armée ou d'un service interarmées, sur la base des assurances qui m'ont été données, en particulier pour ce qui concerne la fiabilité et les modes secours du système.
Les militaires du service de santé des armées ont été les premiers à basculer dans le nouveau système en mars 2011. Un point de situation a été présenté par la mission systèmes d'information-ressources humaines (SI-RH) de la DRH-MD en septembre de la même année. Il en ressortait que les conditions techniques pour le raccordement de l'armée de terre à Louvois étaient remplies, et le bilan du raccordement du SSA était positif. Mi-octobre, une note de la mission SI-RH confirmait que les critères d'exigence en termes de qualité de la solde étaient atteints et que le dispositif de soutien était suffisamment dimensionné. Il m'était annoncé qu'une trentaine d'anomalies majeures étaient identifiées et faisaient l'objet d'un plan d'action.
Sur cette base, après une réunion à laquelle ont participé le cabinet du ministre de la Défense, la DRH-MD, le SGA, l'armée de terre et le SCA, j'ai autorisé le raccordement de l'armée de terre. Ce procédé a été le même pour la marine, qui a basculé à son tour en mars 2012. Comme vous le savez, seule l'armée de l'air n'est pas encore raccordée : elle aurait dû l'être en mars 2013 ; à ce jour, les conditions du raccordement ne sont toujours pas réunies au regard des dysfonctionnements. Il ne semble pas souhaitable d'aggraver ce chaos.
En amont du passage à Louvois, dès l'été 2011, nous savions que la situation du traitement de la solde dans l'armée de terre était fragile. Elle l'était d'autant plus que la mise en oeuvre des réformes induites par la RGPP avait conduit à réduire substantiellement le volume des experts des CTAC.
Lors du passage à Louvois et jusqu'au début de l'année 2012, je n'avais pas, à mon niveau, de grande inquiétude. Le nombre d'anomalies majeures m'était annoncé stable, autour d'une trentaine, avec des actions correctives en cours. Pour autant, certaines manifestations de mécontentement de familles de militaires, relayées lors des conseils de la fonction militaire d'armée de mai 2012, ont constitué un premier signal. Le paiement de la solde, et notamment les difficultés de prise en compte des primes et indemnités, a été évoqué lors du conseil supérieur de la fonction militaire de juin 2012, auquel j'ai assisté aux côtés du ministre. Il constituait un deuxième signal sérieux.
Mais à cette époque, les dysfonctionnements constatés me paraissaient toujours surmontables. La DRH-MD continuait à annoncer seulement une trentaine d'anomalies majeures identifiées. Pour avoir exercé des responsabilités directes dans la définition, la réalisation et la mise en service de systèmes d'information complexes, je sais d'expérience que dans tout projet, il faut surmonter une succession de problèmes techniques et organisationnels, solubles si la base de départ est saine, ce dont je ne saurais douter.
C'est au cours de l'été 2012 que les dysfonctionnements ont dérivé dangereusement. Ils ont été directement pris en compte avec détermination par le ministre de la Défense dès le mois de septembre.
Dans leurs interventions devant vous, MM. Jean-Paul Bodin et Jacques Roudière ont décrit en détail leur vision des causes de dysfonctionnement de Louvois. Elles relèvent d'un cumul de problèmes techniques et organisationnels ainsi que d'un cadencement trop rapide dans sa mise en oeuvre. Ont été évoquées : la fiabilité insuffisante de certaines données ; l'immaturité du système ; une structure en « tuyaux d'orgue » juxtaposant les directions des ressources humaines d'armées, le service du commissariat des armées – tout juste créé – et la DRH-MD ; la profusion des réformes, ainsi qu'une déflation non maîtrisée des compétences. Nous sommes d'accord sur ces premiers constats.
Ils nous imposent de réagir, pour trois raisons au moins.
La première est que la force morale de nos combattants dépend en partie de la qualité de leur soutien : ils doivent être soulagés au maximum des contingences matérielles, en particulier lorsqu'ils sont loin de leur foyer. À tout le moins, l'institution ne doit pas être la cause de soucis matériels qui viennent perturber la vie quotidienne des familles de nos militaires. Là comme ailleurs, pour reprendre une vieille expression, l'arrière doit tenir.
Ensuite, les dysfonctionnements de Louvois génèrent une double crise de confiance vis-à-vis du bien-fondé des réformes en cours d'abord, et de l'aptitude du commandement à résoudre les difficultés ensuite. C'est une hypothèque sur les réformes à venir, hypothèque inacceptable au regard des efforts considérables que devront encore fournir nos armées.
Enfin, les dysfonctionnements sont ressentis comme révélateurs d'un manque de considération voire de reconnaissance envers ceux qui sont en première ligne, et affectent l'image des armées, ce que les blogs et les médias n'ont pas manqué de souligner, encore la semaine dernière dans un grand quotidien du matin. Là aussi, le résultat est inacceptable.
En appui du plan d'action du ministre, j'ai pris un certain nombre de décisions, mises en oeuvre par le commandement interarmées des soutiens. Ces décisions se sont traduites par la mise en place de renforts aux divers échelons fragilisés par une insuffisance de personnel qualifié.
Au niveau du logiciel lui-même, nous avons renforcé le centre de maintenance informatique de la solde (CMIS), à hauteur de deux officiers et de 24 sous-officiers, ce qui revient à doubler l'effectif.
Au niveau des directions des ressources humaines des armées et des structures interarmées, nous avons soutenu l'application des directives de l'armée de terre, de la marine, du SSA et du SCA, notamment en renforçant ces structures par du personnel des groupements de soutien des bases de défense. Ce sont ainsi plus de 200 experts supplémentaires qui se sont relayés depuis le mois d'octobre 2012 pour soutenir ces organismes.
Au niveau des bases de défense, enfin, nous avons directement contribué, aux côtés du SGA, à l'armement de cellules de crise Louvois. Ceci a été rendu possible par la convocation de réservistes et par l'interarmisation du travail des cellules. Des séances de formation du personnel des unités soutenues ont également été dispensées dans les garnisons les plus touchées.
La formation a en outre fait l'objet d'un effort conséquent dans les domaines des ressources humaines et de la solde. À titre d'exemple, alors que 13 militaires des groupements de soutien ont été formés en 2012, c'est plus de 100 qui l'ont été depuis le début de l'année.
J'ajoute que des initiatives locales ont été prises par les commandants des bases de défense pour informer les acteurs locaux, les banques par exemple, des conséquences sociales et humaines des dysfonctionnements de Louvois.
Je tiens donc à souligner le rôle vertueux des bases de défense. Elles sont le premier maillon et cristallisent un certain nombre de critiques sur le terrain, le personnel ayant naturellement tendance à reporter tous les désagréments occasionnés par les réformes sur cette évolution de notre organisation territoriale. Or, vous l'avez vu, c'est au niveau des bases de défense que sont conduites plusieurs actions correctrices. Dire que Louvois est un problème de bases de défense ou lié est une erreur : c'est l'écosystème global qui est malade, la création concomitante des bases de défense ayant parfois compliqué le dossier !
L'enjeu est simple : toutes les mesures prises doivent conduire à une amélioration rapide et pérenne d'une situation qui, je le répète, est inacceptable. La seule chose qui compte à mes yeux est que nos militaires soient payés correctement, et que cette crise soit résolue au plus vite.
Si certains défendent l'option d'un arrêt pur et simple de Louvois, ils sous-estiment sans doute la complexité du traitement de la solde, liée au processus technique d'une part, et à la compétence nécessaire pour le mettre en oeuvre d'autre part. Dans l'attente d'un système d'information rénové, je n'ai d'autre choix que d'accepter Louvois. J'ajoute que l'hypothèse d'une connexion à l'opérateur national de paye (ONP) me paraît aujourd'hui totalement irréaliste. Le ministre semble d'ailleurs réservé sur cette question.
Ces considérations sur l'avenir de Louvois débordent du champ de mes attributions, mais pas de celui de mes responsabilités de chef militaire, garant de l'aptitude des forces à remplir leurs missions. C'est bien le terrain sur lequel je peux m'exprimer
Je crois que l'on peut tirer plusieurs leçons de cette crise, des leçons utiles pour l'avenir, dans le contexte des restructurations défini par le nouveau Livre blanc.
J'en retiens quatre. Premièrement, Louvois est le cas typique d'une réforme portée par un présupposé toujours aléatoire et, en l'espèce, particulièrement hardi : celui du bon fonctionnement d'origine de l'outil technique. Or celui-ci n'est jamais garanti à 100 %, quoi qu'en disent les meilleures simulations. Ce principe de bon sens vaut a fortiori lorsque l'on conduit plusieurs réformes simultanément, agrégeant des paramètres organisationnels, humains, techniques et financiers : ne jamais sous-estimer les interactions entre elles ! Dans le cas de Louvois, la mise en oeuvre de la RGPP, simultanément avec la mise en place des BDD et la création du SCA ont incontestablement constitué un facteur aggravant. Mais il est vrai, nous n'avons pas eu le choix.
Le phasage des restructurations est un paramètre structurant. Ne pas confondre vitesse et précipitation reste un élément clé de la maîtrise des risques, de l'identification des problèmes et de leur résolution.
Deuxièmement, lorsque l'on engage un projet, il est nécessaire de le diriger. La direction de projet est incontournable pour intégrer tous les aspects d'un système, selon les spécifications des utilisateurs. Je regrette que pour Louvois, elle n'ait pas été suffisamment puissante, en tout cas vu de ma position. Il s'agit d'une règle élémentaire, bien connue dans les programmes d'armement.
Troisièmement, face à l'arrivée d'un nouveau système, il est indispensable que les compétences humaines critiques issues de l'ancien soient garanties.
Comme l'a souligné devant vous le directeur des ressources humaines, les CTAC de l'armée de terre, voués à la fermeture dès 2008 dans le cadre de la réforme, ont vu leurs cadres civils experts anticiper toutes les opportunités favorables de reclassement. C'était parfaitement légal et légitime, mais cela s'est traduit par une perte rapide des savoir-faire dans le domaine de la solde, qu'il n'a pas été possible de pallier dans des délais aussi courts.
L'objectif général de la RGPP de réduire les effectifs en se cristallisant sur les capacités de combat et leur environnement opérationnel a montré ses limites. Là aussi, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
Quatrième et dernière leçon, la reprise du chantier indemnitaire, sur lequel l'EMA est moteur depuis longtemps, est indispensable. L'excès du nombre d'indemnités – il y en a 175 – est en soi un facteur de risque dans sa prise en compte par les systèmes. C'est aussi un surcoût de développement du système proprement dit. Il est urgent d'engager la simplification de notre système indemnitaire.
Je voudrais conclure en rappelant qu'en période de réforme, la condition du personnel est un élément central. C'est même le premier à prendre en compte. Le personnel militaire des armées sert avec discipline, loyauté, disponibilité et un sens du devoir assumé s'il le faut jusqu'au sacrifice suprême. Il l'a choisi et l'endosse pleinement, sans jamais broncher. La moindre des choses est de lui garantir ce qui lui est dû, au plan moral comme au plan matériel. La solde est l'une des manifestations concrètes de la reconnaissance de la Nation pour les services rendus. Il ne saurait être question d'une défaillance dans ce domaine.
L'enjeu auquel nous sommes confrontés est de rétablir la confiance. Confiance du terrain pour sa haute hiérarchie. Confiance du terrain pour la haute administration de l'État. Il en va de la cohésion de nos armées. Il en va de leur crédibilité et de leur efficacité. Il en va de leur aptitude à conduire avec succès les réformes nécessaires à l'adaptation de notre outil de défense. Il en va aussi de leur aptitude à conduire avec succès les opérations militaires ordonnées par l'autorité politique.