Intervention de Philippe Baumel

Réunion du 19 juin 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Baumel, rapporteur :

Nous sommes saisis de deux conventions, la première signée à Hambourg le 30 novembre 2009, la seconde à Wiesbaden le 4 octobre 2010.

Ces deux textes, relatifs à deux très grandes infrastructures de recherche, ont été négociés en parallèle. Leur structure juridique est d'ailleurs très similaire : une convention très courte qui fixe un cadre général, une annexe contenant les statuts des sociétés chargées de gérer les infrastructures, ainsi que des documents techniques auxquelles les conventions renvoient. Celles-ci étant très comparables, il a paru logique de leur consacrer un rapport commun.

Avant d'en venir aux modalités prévues pour la construction et l'exploitation des deux infrastructures, je crois utile de présenter leurs principales caractéristiques, ainsi que leur valeur ajoutée en matière de recherche et d'applications potentielles. Ce sont en effet ces considérations qui rendent particulièrement souhaitable la réalisation des deux projets.

Dans les deux cas, il s'agit de très grandes infrastructures de recherche scientifique dont le caractère prioritaire pour la recherche européenne a été reconnu dès 2006 par leur inscription sur la première « feuille de route » du Forum stratégique européen pour les infrastructures de recherche (ESFRI).

Le laser européen à électrons libres (XFEL) sera principalement constitué d'un accélérateur linéaire supraconducteur, d'une longueur totale de 2 kilomètres, qui portera des électrons à une vitesse proche de celle de la lumière. Ils traverseront des « lignes onduleurs » constituées d'aimants permanents, où se produira un effet d'auto-amplification, ce qui génèrera des bouffées de rayons X cohérents.

Le laser XFEL se distinguera des autres lasers à électrons libres comparables, situés l'un à Stanford en Californie, l'autre au Japon, par ses performances supérieures à plusieurs égards : tout d'abord, le niveau de cohérence des rayons X émis ; ensuite l'intensité de la lumière produite dans une longueur d'onde précise ; enfin, le nombre de flashs de lumière produits par seconde. Ils seront disponibles en mode « rafale » – jusqu'à 27 000 flashs par seconde, eux-mêmes d'une durée inférieure à 100 femtosecondes.

On pourra ainsi photographier image par image le déroulement de réactions chimiques ou de phénomènes biologiques impossibles à suivre pour le moment. XFEL devrait permettre d'analyser la structure de beaucoup plus de biomolécules et d'entités biologiques qu'on ne peut le faire aujourd'hui, en particulier certains virus, et l'on pourra aussi étudier leur comportement temporel. Dans le domaine de l'astrophysique, les scientifiques pourront notamment étudier la matière dans des conditions extrêmes. Les flashs produits seront en effet si intenses qu'ils pourront servir à créer des pressions et des températures semblables à celles que l'on trouve à l'intérieur des planètes.

De nombreuses applications civiles peuvent déjà être envisagées. Les caractéristiques uniques du XFEL européen devraient permettre de mieux comprendre les propriétés des matériaux, voire d'en créer de nouveaux avec des caractéristiques optimisées, ce qui offre un grand intérêt dans le domaine de l'électronique. Le XFEL européen devrait aussi permettre d'explorer la structure spatiale des nanostructures et d'étudier leur comportement temporel. Dans le domaine de la chimie, XFEL devrait permettre de suivre des réactions extrêmement rapides et de mieux comprendre les réactions de catalyse, ce qui pourrait ouvrir la voie à la fabrication de nouveaux médicaments.

Le second projet, relatif à la construction et à l'exploitation d'une infrastructure de recherche sur les antiprotons et les ions, dite FAIR (« Facility for Antiproton and Ion Reseach »), sera constitué d'un ensemble d'accélérateurs de particules unique au monde. Cette installation fournira des faisceaux d'ions d'une précision et d'une intensité incomparables, ainsi que des faisceaux d'antiprotons.

Son principe de base est de porter des faisceaux de particules à des vitesses proches de celle de la lumière pour les faire entrer en collision avec des cibles et d'étudier les particules générées à cette occasion. Des spectromètres séparateurs permettent de séparer ces particules selon leur type et leurs propriétés, afin de les analyser.

Par rapport aux installations similaires, FAIR devrait être unique par le nombre et la diversité des thématiques scientifiques qui pourront être abordées. Sur ce point, je me permets de renvoyer au rapport écrit. FAIR devrait être complémentaire du projet SPIRAL2, le nouvel accélérateur de particules en construction à Caen. SPIRAL2 devrait permettre de réaliser des recherches à basse énergie, quand FAIR couvrira des énergies plus élevées. Ces deux types de machines permettront d'utiliser des méthodes expérimentales différentes.

Là encore, les perspectives d'application des recherches sont multiples. Les faisceaux de particules accélérées pourraient être utilisés comme « sondes » afin d'étudier les processus et les propriétés des matériaux. Des expériences pourraient notamment être menées pour étudier les matériaux dans des conditions extrêmes. De même, FAIR pourrait être utilisé pour étudier les conséquences du rayonnement cosmique auxquels les astronautes, les satellites et les vaisseaux spatiaux sont exposés au cours de leurs missions.

J'en viens au contenu des deux conventions, de leurs annexes et des documents techniques, dont l'objet est d'établir les modalités de construction et d'exploitation de ces deux très grandes infrastructures de recherche que sont XFEL et FAIR.

Elles seront implantées en Allemagne, la première (XFEL) à cheval sur deux Länder, celui de Hambourg et celui du Schleswig-Holstein, la seconde (FAIR) à Darmstadt, dans le Land de Hesse. Le choix de l'Allemagne s'explique par la présence de sites de recherche pionniers dans les domaines concernés : d'une part, le centre de rayonnement synchrotron de Hambourg, connu sous son acronyme DESY, qui est spécialisé dans les accélérateurs de particules et les recherches en physique des particules et des hautes énergie ; d'autre part, le centre de recherche sur les ions lourds de Darmstadt, GSI, qui est le plus grand centre de recherche allemand en physique nucléaire.

L'idée d'une collaboration avec DESY et GSI pour la construction et l'exploitation des infrastructures s'imposait d'elle-même : elle permet de mobiliser des compétences acquises depuis des années dans ces centres de recherche, notamment pour la construction d'accélérateurs de particules. C'est au sein du centre allemand DESY qu'a eu lieu la première démonstration expérimentale du phénomène dit « SASE » d'amplification de la lumière produite qui sera utilisé par XFEL. DESY et GSI seront responsables des appels d'offres de génie civil et de la construction des accélérateurs, et leurs services administratifs contribueront à la gestion des infrastructures.

Sur le plan juridique, les infrastructures seront gérées par deux sociétés à responsabilité limitée, à but non lucratif et de droit allemand, dont les statuts sont fixés par les annexes aux deux conventions. Il ne s'agit donc pas d'organisations de droit international disposant de privilèges et d'immunités. Leur personnel sera régi par le droit allemand, en particulier les conventions collectives applicables aux personnels de la recherche publique.

A terme, environ 300 personnes devraient être employées sur place dans chacune des installations. Il faut ajouter à cela les chercheurs qui viendront y préparer et y réaliser des expériences – environ 4 000 pour XFEL et 1 500 pour FAIR. Comme il est d'usage pour ce type d'infrastructures de recherche, les propositions d'expériences seront étudiées par un comité scientifique.

Au plan financier, l'Allemagne doit apporter une contribution de 580 millions d'euros en valeur 2005 pour la construction de XFEL et de 705 millions d'euros pour celle de FAIR. La partie contractante allemande doit aussi mettre à disposition, gratuitement et prêts à la construction, les sites concernés. Dans les deux cas, la contribution allemande aux frais de construction est de très loin la plus élevée. La Russie, seconde contributrice, s'est engagée à apporter 250 millions d'euros en valeur 2005 pour XFEL, soit presque trois fois moins que l'Allemagne, et 178 millions d'euros pour FAIR, soit environ quatre fois moins. Pour sa part, la France s'est engagée à apporter respectivement 36 et 27 millions d'euros en valeur 2005.

Ces engagements de financement permettront de réaliser une première étape de la construction de chacune des infrastructures. Cette première étape sera pleinement fonctionnelle, mais la convention incite les parties contractantes à mobiliser ultérieurement des financements supplémentaires pour permettre la construction complète de XFEL et de FAIR. Les conventions ne fixent toutefois pas d'obligation en la matière.

Par ailleurs, afin de prévenir d'éventuels dérapages financiers, des plafonds sont prévus pour les coûts de construction, et des mesures destinées à les restreindre doivent être adoptées si nécessaire. Les plafonds ne pourront être révisés que par le Conseil de chacune des deux sociétés, réunissant les associés et statuant à l'unanimité. Ils sont fixés à 1 027 millions d'euros en valeur 2005 pour le « scénario modulaire de lancement » de FAIR, le coût total étant estimé à 1 493 millions d'euros, et à 1 082 millions d'euros en valeur 2005 pour la construction complète de XFEL, dont un montant estimé à 850 millions d'euros pour la première phase.

La participation française aux coûts de construction prendra exclusivement la forme de contributions en nature, lesquelles sont décrites dans le rapport écrit. Il s'agit d'opérations présentant une forte valeur innovante, avec un effort de R&D à la limite des capacités technologiques actuelles. Elles mobiliseront les ingénieurs et les techniciens du CNRS et du CEA qui y participeront, et elles devraient aussi se traduire par des contrats pour des entreprises françaises, telles que Thalès, Alsthom, Sigmaphi et différentes entreprises de sous-traitance mécanique.

En ce qui concerne les coûts de fonctionnement, les contributions doivent être réparties selon un schéma approuvé à l'unanimité par le Conseil de chacune des deux sociétés, au plus tard trois ans après le début de la phase de construction. Il est stipulé que ces contributions doivent être ajustées, si nécessaire, pour tenir compte de l'utilisation effective des installations.

En ce qui concerne XFEL, les principes adoptés sont les suivants : pendant les trois premières années d'exploitation, un partage au prorata de la contribution aux coûts de construction ; ensuite, un partage au prorata de la moyenne de l'utilisation effective constatée les trois années précédentes.

Les coûts d'exploitation ont été estimés à 120 millions d'euros en valeur 2005 pour l'installation FAIR et à 64 millions d'euros en valeur pour XFEL lors de son démarrage, puis à 83,6 millions d'euros en plein régime. Dans des déclarations annexées aux deux conventions, la France a précisé que sa contribution serait limitée à 2 % du total des coûts d'exploitation, étant entendu que ce pourcentage pourrait être révisé si l'utilisation par la communauté scientifique française était en réalité durablement et notablement supérieure. En l'état, cette contribution sera limitée à environ 2 millions d'euros pour XFEL en valeur 2013, et à environ 3 millions d'euros pour FAIR.

Ces différents mécanismes garantissent que la participation de la France au financement des coûts de construction et d'exploitation de XFEL et de FAIR ne représentera qu'une charge limitée et maîtrisée pour les finances publiques.

Ces deux conventions permettront à la communauté scientifique française d'accéder à deux grandes infrastructures de recherche aujourd'hui sans équivalent. Il devrait en résulter d'importants bénéfices tant en matière de recherche fondamentale que d'applications potentielles, avec un impact contrôlé sur les finances publiques.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter les deux projets de loi, en précisant que la construction des infrastructures a déjà commencé à titre provisoire, comme les conventions l'autorisent. En raison de ses contraintes constitutionnelles, la France n'y participe pas pour le moment. Il est plus que temps de le permettre.

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