L'année France-Vietnam a été inaugurée à l'Ambassade de France à Hanoï le 9 avril dernier, en présence de la Ministre du Commerce extérieur, Mme Nicole Bricq. Jusqu'à la mi-2014, comme pour toutes les années croisées, un large éventail d'évènements culturels, artistiques, sportifs, touristiques mais aussi économiques qui vont rythmer les relations entre nos deux pays.
C'est précisément en vue de renforcer la coopération franco-vietnamienne que notre Assemblée est saisie du présent projet de loi autorisant l'approbation d'un accord relatif aux centres culturels. Cet accord a été conclu le 12 novembre 2009 et se substituera à la Convention du 26 avril 1991 relative au Centre de la langue et de la civilisation française à Hanoï – devenue obsolète. Il vise à donner une base juridique solide à l'Institut français de Hanoï et au centre culturel vietnamien qui a ouvert à Paris en 2009 dans le 13ème arrondissement. Plus généralement, la conclusion de cet accord s'inscrit dans le cadre d'un ensemble d'actions visant à donner un nouveau souffle à notre relation avec le Vietnam, qui connaît une phase de développement significatif. A cet égard, il faut souligner le souhait des deux Etats d'élever leurs relations diplomatiques au niveau de partenariat stratégique en cette année du quarantième anniversaire de nos relations diplomatiques.
Le Vietnam est un pays en pleine mutation qui joue un rôle international croissant. Son émergence sur le plan économique, dans un contexte de fort dynamisme démographique (près de 90 millions d'habitants), se traduit aujourd'hui par un PIB de 138 milliards de dollars en 2012, soit 1500 dollars par habitant, et un taux de croissance de 5 %. Le Vietnam a accédé à l'OMC en 2007, il est depuis 2010 un pays à revenus intermédiaires et se fixe comme horizon 2020 pour devenir une économie industrialisée.
Le Vietnam mène en outre une politique étrangère de plus en plus affirmée et active. Il est membre de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) et participe actuellement aux négociations de Partenariat trans-pacifique (TPP). Notre pays devrait y voir un acteur-clef en Asie du Sud-Est, notamment dans le dossier sensible des litiges en mer de Chine du Sud.
Les défis auxquels le Vietnam fait face sont nombreux. Il doit consolider son développement, résorber les déséquilibres macro-économiques, avec une part aujourd'hui importante des investissements étrangers et des exportations, mieux répartir les fruits de la croissance et développer les infrastructures. Mais il faut aussi voir dans sa jeunesse des opportunités : 56 % de sa population a moins de 30 ans et un million de jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail.
La France a été l'un des premiers pays à soutenir l'ouverture du Vietnam à l'orée des années 1990. Notre lien bilatéral est nourri de nombreuses visites de haut niveau. La France est par ailleurs le deuxième donateur au Vietnam après le Japon. Mais si les relations franco-vietnamiennes sont dynamiques, elles restent en deçà de leur potentiel, notamment sur le plan économique. La place de la France recule en effet avec la montée en puissance d'autres acteurs. Si nos échanges commerciaux sont en croissance, ils restent encore limités à 3,3 milliards d'euros. Notre pays ne se classe désormais qu'au deuxième rang des investisseurs européens au Vietnam, derrière les Pays-Bas, et le quinzième mondial, nettement derrière les Etats-Unis (5ème), ce qui est significatif. La part de marché française est de l'ordre de 1 %, avec près de 300 entreprises implantées employant quelque 26 000 personnes. Tout l'enjeu pour notre pays consiste à passer d'une logique d'aide au développement à une logique de partenariat, pour déployer au Vietnam une véritable diplomatie économique.
Pour renforcer nos liens, la richesse de ces échanges humains constitue un socle particulièrement favorable. La communauté française au Vietnam comprend 5 672 inscrits, tandis que la communauté vietnamienne en France atteindrait 19 500 personnes. Mais je souhaite surtout attirer votre attention sur l'importance de la communauté d'origine vietnamienne en France, qui pourrait constituer un point d'appui fortement négligé. On avance le nombre de 250 000 personnes, soit la deuxième communauté d'origine vietnamienne de l'étranger, au même niveau que l'Australie. Ce tissu affectif, forgé par l'histoire et des relations familiales, est un véritable atout notamment pour le développement des échanges. Les pays asiatiques l'ont bien compris et eux-mêmes sont très intéressés par le rôle de trait d'union entre les industries et les consommateurs occidentaux que peuvent jouer les étrangers issus de l'immigration. Le Vietnam leur a donné un nom, celui de « Viet kieu » ou « Vietnamiens de l'outre-mer » en qui ils voient un facteur de développement stratégique comme pour le Vietnam. Une plus grande attention devrait être portée à cette question.
J'ajouterai que la proximité à cultiver avec les Vietnamiens implique aussi de se préoccuper du développement du tourisme entre nos deux pays. Il est évident que le flux de touristes vietnamien est appelé à progresser à mesure que la classe moyenne se développe. J'attire l'attention sur ce point car nous n'avons pas su avec un pays comme la Chine mettre en place des outils et mettre en valeur les différents territoires comme nous l'aurions dû. Il serait utile de réfléchir dès aujourd'hui aux moyens, d'une part, de valoriser la France comme destination touristique, notamment en assurant au Vietnam la présentation et la promotion de notre patrimoine, d'autre part, de créer de bonnes conditions d'accueil de ces touristes en France.
Dans les domaines culturels et éducatifs, pour lesquels l'Institut français de Hanoï visé par l'accord qui nous est soumis est appelé à jouer un rôle important, nos échanges apparaissent à la fois anciens et diversifiés. Un accord de coopération culturelle, scientifique et technique a été signé dès 1977. Il est à signaler que le Vietnam est revenu à l'Organisation mondiale de la francophonie en 1997 et qu'il compte environ 450 000 locuteurs francophones (150 000 locuteurs francophones réels, 200 000 francophones occasionnels et 100 000 apprenants de français). Comme vous le savez, notre langue y est en perte de vitesse et il nous faut renouer avec un plus grand volontarisme dans ce domaine.
Cela passe par une coopération éducative franco-vietnamienne qui se caractérise par un grand nombre d'accords interuniversitaires – plus d'une centaine. Je me contenterai ici de citer, à titre d'illustration, le programme de formation d'ingénieurs d'excellence qui, appuyé par un consortium de grands établissements français, se déroule dans des instituts de Hanoï, Danang et Ho Chi Minh Ville. Le diplôme d'ingénieur est le premier diplôme délivré par un pays du Sud à être admis par la France sur proposition de la Commission française des titres d'ingénieur et le programme accueille actuellement plus de 1 200 étudiants. Concernant la mobilité des étudiants, la France se situe au troisième rang des destinations des étudiants vietnamiens à l'étranger (5 000 étudiants vietnamiens, soit une évolution de près de 40 % sur trois ans) et notre Ambassade à Hanoï prévoit un budget de près d'1,2 millions d'euros destinés à financer ou cofinancer quelque 500 bourses de mobilité étudiante.
L'accord relatif aux centres culturels que nous examinons ce matin couvre à la fois l'Institut français de Hanoï et le centre culturel vietnamien de Paris. Son intérêt premier est de clarifier le statut et de consolider le développement de l'Institut français. Je précise que l'Institut français de Hanoï regroupe les services de coopération, de diffusion du français et de projection de films, ainsi qu'une médiathèque et un espace Campus France. Il dispose de trois antennes à Ho Chi Minh, Hué et Danang, et emploie 94 personnes.
Cet accord remédie tout d'abord à la situation juridique incertaine dans laquelle se trouve aujourd'hui, sous l'empire de la Convention bilatérale du 26 avril 1991, l'Institut français de Hanoï. En effet, l'Institut français a hérité du statut de l'ancienne Alliance française de Hanoï, qui a fermé en 1995, et dont le statut était celui d'une association de droit privé local. Ce régime juridique suranné autorise le comité populaire de la province, c'est-à-dire les autorités vietnamiennes, à exercer la codirection de l'établissement.
Même si en tant qu'institution étrangère l'Institut français a toujours joui d'une véritable autonomie, les autorités du ministère de la culture vietnamien se montrant bienveillantes dans l'accord qu'elles donnent aux activités qu'il organise, le présent accord, à son article 2, octroie un statut officiel à l'Institut et assoit ainsi sa capacité d'action pour faciliter l'organisation de manifestations et d'échanges, ainsi que la publication et diffusion de supports culturels. Particulièrement, l'accord lui octroie la liberté d'opérer à l'extérieur de ses locaux sur tout le territoire du Vietnam et d'ouvrir des antennes dans d'autres villes sur simple échange de lettres.
L'article 3 définit la mission des centres culturels, qui est « de contribuer au développement des relations entre la France et le Vietnam dans les domaines de la culture, de l'art, de l'éducation, de la communication, de la science et de la technique, et de faire connaître directement au public les richesses et les réalisations des deux pays dans ces différents domaines. » On notera le caractère opportunément très général de la formulation, qui permet de faire beaucoup de choses.
L'article 4 de l'accord permet de clarifier les tutelles institutionnelles des établissements : Ministère français des Affaires étrangères pour notre Institut à Hanoï, Ministère vietnamien de la Culture, des Sports et du Tourisme pour l'institut culturel vietnamien de Paris. Ce même article reconnaît l'autorité de l'ambassadeur sur les services de chaque centre culturel.
Les articles 5 et 6 dressent la liste des activités des centres et prévoient le libre accès du public à leurs activités, qu'elles aient lieu dans leurs bâtiments ou à l'extérieur, et veillent à ce que les Centres puissent faire usage de tous les moyens disponibles pour informer le public de leurs activités. La mention de la conformité au droit national de l'Etat d'accueil, classique en droit, suscite cependant quelques interrogations eu égard au régime politique vietnamien, mais c'est évidemment un progrès par rapport à la situation actuelle où à tout moment les autorités locales pourraient décider d'exercer une véritable cotutelle.
L'article 7 de l'accord prévoit que les centres culturels de nos deux pays peuvent facturer des prestations, vendre des produits culturels liés aux manifestations qu'ils organisent, bénéficier de dons et de legs, ainsi que conclure des contrats de concession commerciale. Il s'agit d'un point essentiel pour notre Institut, qui jouit jusqu'à présent d'une simple tolérance dans ces matières, et dont le taux d'autofinancement est appelé à augmenter. Déjà, dans un contexte de réévaluation de ses dépenses, notamment de loyer et de masse salariale, l'Institut a accru son taux d'autofinancement, qui se portait en 2012 à 49,4 %.
Les articles 9 et 12 prévoient le bénéfice de certaines exonérations de droits et taxes. Le centre culturel français ne bénéficie pas à ce jour d'avantages fonciers ou fiscaux à caractère régulier. On notera néanmoins qu'il est l'objet d'une certaine tolérance de la part des autorités vietnamiennes, dans la mesure où il ne verse pas la taxe sur les recettes de cours qui pourrait être demandée.
Les articles 10, 11, 13 et 14 traitent des questions de personnels et de visas.
L'article 16 prévoit que le règlement d'éventuels différends se fera par la voie diplomatique. L'article 17 prévoit l'entrée en vigueur de l'accord le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la dernière notification. L'article 18 fixe à dix ans la durée de validité de l'accord, reconductible tacitement pour des mêmes durées. La partie vietnamienne a d'ores et déjà, par note verbale en date du 7 mai 2010, notifié aux autorités françaises l'accomplissement des formalités prévues par sa législation nationale pour l'entrée en vigueur de l'accord. Côté français, le Sénat a adopté le projet de loi au cours de sa séance du 17 avril dernier.
En conclusion, cet accord vient sécuriser le régime juridique de nos instituts culturels respectifs, consolider la coopération culturelle déjà diversifiée que la France cultive avec le Vietnam et – il faut l'espérer – s'inscrit dans une démarche partagée d'intensification de nos relations. L'Année France-Vietnam ayant déjà commencé, il est plus que temps de procéder à sa ratification pour être en conformité avec la volonté des deux Etats de conforter leurs relations.