Intervention de l'ingénieur en chef Cyril Crozes attaché de défense adjointattaché d'armement à Rome

Réunion du 23 mai 2013 à 11h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

l'ingénieur en chef Cyril Crozes attaché de défense adjointattaché d'armement à Rome :

Je traiterai plus spécifiquement de la coopération avec l'Italie en matière de d'armement. L'Italie mène la très grande majorité – 70 % – de ses programmes d'armement en « coopération », que ce soit sous la forme de véritables collaborations, d'achats « sur étagère » de matériel étranger, ou de fabrication sous licence en Italie de matériels conçus à l'étranger. La France est d'assez loin le premier partenaire de l'Italie en nombre de programmes. Cette relation étroite, qui date des années 1990-1991, est particulièrement soutenue dans les secteurs naval, avec les frégates Horizon et FREMM ; spatial, avec les systèmes d'observation Helios 2 et MUSIS, et, conformément à l'accord de Turin, au travers d'ORFEO ; et dans les systèmes d'armes, avec la famille de missiles Aster ou le programme Meteor. Mais cette coopération très large se traduit aussi dans d'autres domaines : les hélicoptères NH90 par exemple ou encore la radiologicielle Essor.

Ces coopérations reposent aussi sur des réalités industrielles. Il peut s'agir d'entreprises très intégrées comme MBDA, de joint-ventures telles que les filiales communes de Thales et de Finmeccanica dans le cadre de la Space Alliance, ou encore de GIE ad hoc comme par exemple pour les torpilles ou pour la famille des systèmes surface-air à base Aster.

Les autres partenaires privilégiés de l'Italie sont les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Que les liens de l'Italie avec les États-Unis – notamment pour les matériels relevant de l'armée de l'air – soient très affirmés n'a pas empêché, dernièrement, quelques déconvenues, les Américains ayant abandonné certains programmes ; cela peut être un élément important du dialogue franco-italien.

Le poids lourd industriel italien en matière de défense est Finmeccanica. Le groupe, qui a de nombreuses filiales – AgustaWestland pour les hélicoptères, AleniaAermacchi pour l'aéronautique, Selex Electronic systems dans l'électronique de défense… –, se place au huitième rang mondial des industries de défense. Son chiffre d'affaires est de l'ordre de 17 milliards d'euros, dont quelque 60 % sont réalisés dans le secteur de la défense, le reste relevant du secteur civil et de la sécurité. Finmeccanica a trois marchés « domestiques ». Le principal est l'Italie, mais il y a aussi le Royaume-Uni par le biais de sociétés créées en joint-ventures puis rachetées, et les États-Unis, depuis l'acquisition en 2008 de DRS Technologies, entreprise spécialiste des systèmes électroniques de défense. Pour financer cet investissement de 5,2 milliards de dollars, Finmeccanica s'est considérablement endettée, ce qui est à l'origine de problèmes endémiques. Le deuxième employeur industriel d'Italie après Fiat éprouve des difficultés de différents ordres. Elle connaît des difficultés sur ses marchés intérieurs parce que les budgets baissent ; elle en a aussi parce que sa compétitivité est insuffisante, le groupe ayant été beaucoup alimenté sans que l'on s'interroge réellement sur sa rentabilité. Outre cela, Finmeccanica est impliquée dans plusieurs affaires qui ont conduit au renouvellement de nombreux cadres. Le groupe s'en trouve fragilisé.

Les autres industriels de la défense notables en Italie sont Fincantieri pour la construction navale – la défense comptant pour 20 à 25 % de son chiffre d'affaires, le reste provenant des paquebots de croisière ; Avio, dont l'activité de moteurs pour l'aéronautique est en cours de rachat par General Electrics, et qui fabrique aussi des lanceurs, dont le lanceur européen Vega ; Iveco pour les véhicules terrestres, la défense ne représentant que 7 % de son chiffre d'affaires.

Le reste de la production est assuré par un millier de petites, voire très petites, entreprises essentiellement familiales, comme il en est pour le reste du tissu industriel de la deuxième puissance industrielle européenne.

Comme cela vous a été dit, l'Italie, se voit comme le quatrième membre du club des pays qui comptent en matière de défense dans l'Union européenne. Elle veut être tenue par ses pairs pour ce qu'elle est, et redoute d'être marginalisée. Alors même que l'Italie discutait avec le Royaume-Uni d'une coopération en matière de drones, elle a pris connaissance avec amertume de la conclusion du traité de Lancaster House, les Britanniques n'ayant pas donné suite aux discussions engagées. À côté du couple dominant franco-allemand en matière économique se constituait un couple dominant franco-britannique en matière de défense, et l'Italie s'est sentie isolée.

Or, avec un budget d'investissement en équipements de défense qui varie, selon les années de 4 à 6 milliards d'euros, Rome est un acteur important du paysage de défense européen, dont elle ne veut pas être exclue. Ce budget a une double source de financement : les crédits d'investissement du ministère de la défense, mais aussi les budgets spécifiques du ministère du développement économique qui alimentent toute la filière aéronautique et même les frégates FREMM italiennes. Ces lignes de crédit ad hoc sont parfois difficiles à retracer dans le budget de l'État.

L'Italie, membre fondateur de l'Union européenne, est un pays europhile et européiste qui a aussi, en permanence, un réflexe transatlantique très marqué, en matière de défense en particulier. Ses relations, ambiguës, avec la France vous ont été décrites : une certaine admiration pour la structuration de notre réflexion stratégique, assortie d'une suspicion latente qui peut compliquer le dialogue. À cela s'ajoute une rivalité à l'export, pour les hélicoptères, dans le domaine naval et dans l'électronique de défense. On peut aussi mentionner un certain pragmatisme parfois peu rationnel. Ainsi l'Italie a-t-elle investi dans deux systèmes de défense aérienne et antimissiles : le MEADS réalisé en coopération avec l'Allemagne et les États-Unis, et le SAMPT avec la France. L'un équipe l'armée de l'air, l'autre l'armée de terre. Dans un contexte de budget contraint, on peut s'interroger sur la pertinence de ces financements parallèles, mais ils permettent à l'Italie de participer à deux programmes de défense et d'être présente auprès de grands partenaires.

J'en viens aux perspectives de coopération entre l'Italie et la France. Les programmes existants sont nombreux ; que faire de plus ? La question des drones est perçue de manière particulièrement critique par nos partenaires italiens, très perturbés par le traité de Lancaster House. Fin 2011, l'Italie a en réaction signé une lettre d'intention avec l'Allemagne, mais cela n'a pas abouti à ce stade à de grandes réalisations. L'Italie craint que son industrie aéronautique ne risque un déclassement si elle ne participe pas à un programme européen. Le pays disposant de drones Predator et Reaper, il s'agit d'une priorité industrielle plus que d'une priorité capacitaire : derrière les drones, il y a les avions de combat, et l'Italie souhaite conserver sa capacité de maîtrise d'oeuvre en construction d'aéronautique de défense.

Nous avons l'opportunité de poursuivre une coopération en matière de défense antibalistique, notamment en faisant évoluer le programme SAMPT B1 vers le B1 NT ; un dialogue soutenu et positif est en cours à ce sujet. On peut également envisager une coopération dans le domaine de la surveillance maritime, particulièrement en Méditerranée, ainsi que la poursuite de la coopération dans le domaine de la radiologicielle.

Nous avons aussi exploré la piste des pétroliers ravitailleurs, soutien logistique pour la marine, sans succès à ce stade.

En résumé, l'Italie est pour la France un partenaire majeur et fiable – exception faite de l'Airbus A400 M duquel l'Italie s'est désengagée –, avec lequel les programmes parviennent à bonne fin. En dépit d'un contexte économique difficile, le pays cherche à maintenir un haut niveau d'investissement dans la défense. Il dispose pour cela d'un tissu industriel de qualité, capable de productions de très haute technologie. Ainsi, le deuxième tir du lanceur Vega, dont le financement est pour 65 % italien et la maîtrise d'oeuvre assurée par ELV Spa, a été parfait, comme l'avait été le tir inaugural – et bien peu nombreux sont les lanceurs dont les deux premiers tirs sont réussis.

L'Italie, qui a découvert cette éventualité au dernier moment, a très mal perçu les discussions relatives à une fusion entre BAE et EADS, redoutant de se trouver complètement isolée dans un paysage européen de la défense en recomposition. Cela explique les contacts soutenus noués avec plusieurs industriels pour ne pas subir un déclassement industriel redouté.

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