Intervention de Yves-Marie Gourlin

Réunion du 23 mai 2013 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Yves-Marie Gourlin, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Berli :

La coopération européenne est un élément central de la politique allemande d'acquisition d'armement. Il existe cependant une grande différence en Allemagne entre le domaine des systèmes aériens et des missiles, où la quasi-totalité des programmes font l'objet de coopérations, et les domaines terrestre et naval, dans lesquels les coopérations sont plutôt l'exception.

EADS est le réceptacle principal des coopérations européennes menées par l'Allemagne – Eurofighter, A400M, Tigre, NH90, Meteor, Taurus, Trigat, etc. Les contrats conclus par l'intermédiaire des différentes branches d'EADS représentent environ 70 % de la dépense d'armement allemande. L'Allemagne mène également certains programmes en coopération transatlantique, mais les deux les plus emblématiques sont en passe d'être arrêtés : il s'agit du système de défense anti-aérienne MEADS, qui devrait être stoppé à la fin de son développement, et du programme de drones de renseignement Eurohawk, qui fait actuellement les gros titres de la presse allemande.

J'aborderai brièvement les trois questions suivantes : l'Allemagne veut-elle coopérer ? Pour quels futurs grands programmes d'armement ? Avec quels partenaires ?

L'Allemagne se perçoit comme l'une des trois grandes nations de l'armement en Europe, au même titre que la France et que le Royaume-Uni, et elle entend conserver ce rang. Conscience de ne pas être présente dans certains secteurs – nucléaire, capacités aéronavales –, elle occupe, grâce au niveau technologique élevé et à la diversité de son industrie, une position de force dans d'autres secteurs – matériaux, composants, sous-ensembles – qui contribuent à ses performances à l'exportation.

L'Allemagne se conçoit en outre comme un pilier de la coopération européenne en matière d'armement. Nation fondatrice de l'OCCAr, l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, elle est habituée à inscrire son action dans un cadre multilatéral. Elle ne dispose pas d'un véritable domaine de souveraineté comparable au nucléaire pour la France, mais exprime des préoccupations stratégiques à propos, par exemple, de la cryptologie, craignant de tomber dans une dépendance unilatérale vis-à-vis de pays dotés en ce domaine. Toutefois, l'Allemagne reste solidement positionnée dans certains secteurs, en particulier le terrestre et les sous-marins classiques, qu'elle exporte avec succès sous couvert de coopération – en Espagne pour les chars ou en Italie pour les sous-marins.

Par ailleurs, en Allemagne, une large part de l'innovation et de l'initiative est directement portée par l'industrie, qui perçoit les logiques de coopération différemment des administrations. Ceci explique que les autorités soient souvent en retrait vis-à-vis des nouveaux programmes en coopération.

En somme, l'Allemagne est une nation très ouverte à la coopération, qui entend la mener au plus haut niveau en Europe, avec la France et les États-Unis, mais conserve certaines préventions vis-à-vis de certains de ses aspects.

Quels pourront être les futurs grands programmes d'armement en Allemagne ? L'Allemagne cherche aujourd'hui à nouer des partenariats avec ses voisins à l'Est, en particulier avec la Russie ; en d'autres termes, elle ne se voit plus d'ennemi manifeste. En outre, elle ne possède aucune culture expéditionnaire. Ceci rejaillit directement sur son appétence envers de nouveaux programmes d'armement coûteux – à l'image de ceux qui concernent les drones de combat en France –, lesquels ne sont pas toujours suffisamment consensuels au sein de la société allemande.

Toutefois, les industriels qui vendent bien leurs produits – sous-marins, chars – à l'export veilleront à renouveler leurs gammes et chercheront pour cela le soutien du gouvernement. Ils pourront accorder de l'importance aux perspectives de coopération afin d'assurer un soutien politique plus large à de tels programmes et de conserver des séries significatives. Dans le domaine terrestre, le business case est tombé de plusieurs milliers de blindés à plusieurs centaines. Les ventes allemandes de matériel d'occasion, notamment de Léopard 2, restent significatives mais les ventes de matériel neuf sont rares.

L'Allemagne semble veiller à maintenir son budget de défense à un niveau comparable – hors nucléaire – à ceux de la France et du Royaume-Uni : ni supérieur, car elle ne veut pas s'afficher comme la première puissance militaire européenne, ni sensiblement inférieur, car elle n'entend pas être reléguée dans le deuxième peloton alors que sa force économique est éclatante. Elle devrait donc conserver la capacité de financer des programmes d'armement ambitieux aux côtés des partenaires européens qu'elle aura choisis.

Aujourd'hui, Berlin identifie deux grands domaines susceptibles de donner le jour à des coopérations industrielles majeures en Europe : les drones MALE et la défense anti-missiles. L'observation satellitaire est également importante, mais, dans ce domaine, la coopération est considérée comme capacitaire plutôt que comme véritablement industrielle.

Quels seront les partenaires de l'Allemagne à l'avenir ? Dans son histoire, le pays en a eu principalement quatre : la France, les États-Unis et le couple formé par le Royaume-Uni et l'Italie, essentiellement dans le cadre des programmes Tornado et Eurofighter. Or la coopération avec les États-Unis est actuellement ternie par la décision américaine d'arrêt du MEADS et par l'impossibilité de certifier en Europe le drone Eurohawk, qui a conduit à stopper le programme éponyme. L'Allemagne pourrait donc avoir quelques réticences à travailler avec ce partenaire au cours des années à venir. Par ailleurs, ayant perçu le traité de Lancaster House comme potentiellement exclusif, elle a veillé courant 2012 à relancer les perspectives de coopération franco-allemande.

La nouvelle place, centrale, que prend l'Allemagne dans une Europe élargie se traduit également par la conclusion de partenariats avec les pays qui l'entourent, dont les Pays-Bas pour les systèmes terrestre et naval ou la Suède pour les missiles. La Pologne et la Turquie semblent également considérées par Berlin comme des partenaires potentiels, mais, dans les deux cas, les frontières entre coopération et export sont floues.

En conclusion, l'Allemagne conserve les moyens financiers de nourrir une industrie d'armement au plus haut niveau. Son tissu industriel très riche contribue à en faire un partenaire de premier plan. Elle persistera à lancer de grands programmes d'armement qu'elle cherchera le plus souvent à mener en coopération, pour des raisons tant politiques que financières et industrielles. Elle continuera de veiller à bâtir des coopérations avec la France, notamment dans le domaine aérospatial, où nous sommes son partenaire naturel par l'intermédiaire du groupe EADS. La coopération franco-allemande peut aussi s'étendre à d'autres domaines – terrestre, naval –, dans la mesure où ils permettront des partenariats « équilibrés » bâtis sur une « confiance réciproque », deux concepts essentiels, notamment pour Berlin.

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