Intervention de Olli Rehn

Réunion du 18 juin 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Olli Rehn, vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé des affaires économiques et monétaires et de l'euro :

Initiative très importante actuellement en cours d'élaboration, l'union bancaire est, grâce à un travail considérable et au soutien de la France, sur le point de devenir une réalité. Elle reposera sur deux piliers : la supervision unique et la résolution bancaire. Nous avons ainsi franchi une étape essentielle avec l'accord prévoyant un mécanisme unique de supervision – qui contribuera à rétablir la solidité et la confiance dans les banques de la zone euro, à renforcer le Marché unique et à garantir la stabilité financière de la zone, là où l'on n'observe aujourd'hui que fragmentation du crédit et incertitude. Nous présenterons au début du mois de juillet notre proposition de mécanisme unique pour la résolution des banques de la zone euro, doté d'un fonds commun de résolution préfinancé par les banques et qui deviendra autorité de résolution. C'est d'ailleurs mon collègue et ami Michel Barnier qui travaille désormais sur ce projet. La supervision unique et le mécanisme de résolution bancaire assorti d'un fonds propre nous permettront enfin de supprimer le lien entre les difficultés des banques et la dette des États, problème important dans la zone euro pendant la crise.

Quant à la différence entre obligations de moyens et de résultat, il importe que la France soit en mesure d'atteindre le résultat escompté. Sur la base d'un dialogue avec le Parlement et les partenaires sociaux, et à condition qu'elle se fixe des ambitions élevées, la France pourra parvenir à réformer son système de retraite – ce qui est capital pour la soutenabilité des finances publiques françaises à moyen-long terme.

Vous avez fait référence au multiplicateur budgétaire et à la célèbre étude de M. Rogoff établissant une relation entre le niveau de la dette publique et son impact sur la croissance économique. Je répondrai de manière groupée à ces deux questions importantes pour la France, pays dans lequel il convient de travailler sur une base cartésienne, c'est-à-dire de commencer par tirer des conclusions de notre analyse économique des politiques-clefs pour ensuite essayer d'appliquer ces conclusions de façon sensée et efficace à nos politiques économiques et budgétaires. Nous ne sommes en effet pas doctrinaires à la Commission européenne puisque nous suivons différents types d'études économiques et écoles de pensée afin d'en tirer le meilleur profit et d'appliquer ces idées à nos analyses des circonstances économiques européennes actuelles. Il existe selon moi une convergence de vues entre les économistes et les politiques sur plusieurs points – le dialogue se poursuivant d'ailleurs continuellement entre la Banque centrale européenne et le FMI. Olivier Blanchard, économiste très respecté du FMI, y participe notamment, de même que d'autres économistes.

Premièrement, ces multiplicateurs budgétaires produisent des effets plus importants en période de crise qu'en période normale, phénomène qui s'explique essentiellement par le fait que les politiques monétaires sont très accommodantes à l'heure actuelle et qu'elles ne peuvent donc compenser facilement les effets de la consolidation budgétaire sur la croissance économique à court terme. En période de crise, il importe donc de tenir compte de ces multiplicateurs. En France, cet effet multiplicateur est relativement élevé du fait que le secteur public y occupe une place importante. Il existe toutefois des différences entre les États membres, c'est pourquoi nous ne disposons pas d'un multiplicateur fiscal spécifique et unique pour tous les pays à tout moment. Nos économistes, lorsqu'ils présentent leurs études, essaient d'ailleurs de prendre ces éléments en compte avant que nous ne formulions nos recommandations politiques. J'en conclus donc qu'il est sensé, si possible, de proposer aux États un rythme d'ajustement fiscal plus lent afin de leur assurer une soutenabilité de leur économie à moyen terme au lieu de les voir appliquer des mesures budgétaires et fiscales drastiques à court terme. Il est en effet préférable d'adopter une stratégie fiscale à moyen terme que des baisses d'impôt et des mesures fiscales aléatoires à court terme.

Deuxièmement, M. Rogoff et sa collègue ont peut-être omis certains éléments dans leur analyse mais il reste que la profession dans son ensemble reconnaît l'existence effective d'une corrélation entre un niveau élevé de dette publique et son impact négatif sur la croissance économique, du fait du coût plus élevé du service de la dette. Il ne s'agit pas nécessairement d'un pic drastique – comme celui de 90 % décrit par Kenneth Rogoff –, le graphique pouvant s'avérer plus linéaire ou plus recourbé, en forme de parabole. Il reste que la corrélation existe. Ainsi, même si, dans certaines circonstances, le rythme de consolidation fiscale et budgétaire d'un État peut être plus lent, il convient également qu'il évite d'augmenter son endettement à court ou à moyen terme, afin de ne pas handicaper sa politique à long terme. C'est pourquoi nous avons accordé à la France un délai de deux ans pour revenir à l'équilibre tout en espérant qu'elle mettra cet oxygène supplémentaire à profit pour adopter des réformes économiques favorables à la compétitivité, à la croissance et la création d'emplois – dont elle a extrêmement besoin.

Pourquoi avoir fait cela maintenant et non il y a deux ans ? L'ancien président américain John Quincy Adams a affirmé un jour que les changements politiques ne surviennent que lorsque les circonstances le permettent. Or, en 2010-2011, lorsque la crise de la dette frappa très durement l'Europe, nous ne bénéficiions pas de la même crédibilité budgétaire qu'aujourd'hui. Son amélioration dans les États membres ainsi que dans d'autres pays a permis à la Banque centrale européenne de prendre des mesures décisives, en particulier depuis le début de l'année 2012, afin de stabiliser les marchés financiers et les marchés obligataires. Cela a diminué les coûts d'emprunt dans tous les États européens, et a en retour créé un espace favorable à un ajustement fiscal.

Troisièmement, la crédibilité des finances publiques des États membres à moyen terme ainsi que l'avancement des réformes structurelles dans ces pays nous ont conduit l'été dernier – avant même qu'Olivier Blanchard et Daniel Leigh ne présentent leur célèbre article sur le budget en octobre 2012 – à accorder un délai supplémentaire à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce. Cette année, nous l'avons également proposé à sept ou huit pays, y compris à la France.

La construction de la zone euro revêtant une grande importance, la relation entre l'enjeu monétaire et l'union politique est tout à fait fascinante, tant sur le plan intellectuel que sur le plan concret. C'est pourquoi il nous faut commencer dans les mois à venir, et avant les élections européennes, à traiter ce sujet dans le dur. Il conviendrait que la Commission européenne consacre davantage de son temps à la reconstruction d'une union politique et monétaire afin d'évaluer quels progrès nous pourrions accomplir ensemble en ces domaines. Si je ne suis pas orthodoxe sur quelque question que ce soit, je pense cependant que la méthodologie que nous avons adoptée, qui implique toute la communauté, est beaucoup plus efficace et performante car elle nous assure que l'Union européenne atteindra ses objectifs et que tous les États, y compris les moins importants par leur taille pourront profiter des bienfaits de cette politique. C'est pourquoi nous poursuivrons dans la voie de la méthodologie communautaire, au détriment de la méthode intergouvernementale franco-allemande, souvent jugée moins efficace et moins performante par les observateurs. Comment d'ailleurs améliorer notre image à l'extérieur de l'Europe lorsque l'on utilise cette méthode ? Le travail que nous effectuons avec le FMI relève de ces domaines et est primordial pour notre efficacité sur le plan international.

Je souhaiterais aussi vous exposer le raisonnement que nous avons tenu lorsque nous avons rédigé nos recommandations à l'attention de la France. Nous savons que les déficits de la sécurité sociale demeureront importants jusqu'en 2020 – représentant 1 % du PIB français – malgré les résultats que permettront d'obtenir les différentes réformes qui ont été appliquées. Dans d'autres pays membres de l'Union européenne, et en particulier dans celui que je connais le mieux, nous avons poursuivi le dialogue social afin d'atteindre nos objectifs en matière de sécurité sociale et de pensions de retraite.

Les marges d'interprétation de nos recommandations sont assez larges, la Commission n'ayant pas adressé d'instructions ni imposé de mesures particulières, laissant au lieu de cela le choix entre plusieurs voies de développement. Je suis tout à fait conscient que les partenaires sociaux doivent partager pleinement ce débat qui relève de la responsabilité du Gouvernement et de son Parlement national. Nos propositions sont d'ailleurs tout à fait sur la même ligne que celles du rapport de Yannick Moreau qui vient d'être publié.

Quant aux cotisations sociales, la Commission européenne estime que dans la mesure où il convient de réduire le coût du travail, surtout en France où il pose des problèmes de compétitivité, un accroissement de leur niveau pour financer le déficit des retraites serait susceptible d'avoir un impact négatif sur la compétitivité et le marché du travail du pays: il doit donc être évité si possible.

Concernant le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), même si nous l'avons pris en compte parmi les mesures fiscales ayant un impact sur les entreprises, nous avons constaté depuis 2010 que l'accroissement du niveau des impôts pesant sur celles-ci en a annihilé les effets. Une telle situation nous paraît relativement inquiétante car c'est cet alourdissement qui explique que, depuis 2000, les entreprises aient perdu de leurs marges et donc réduit leurs investissements en faveur de la compétitivité et de la recherche et le développement.

S'agissant des flux de capitaux servant au financement du football, s'il est vrai que j'ai pris part à la gestion de certaines équipes, je ne suis plus un expert en ces domaines. Il me semble néanmoins que l'UEFA et la FIFA prennent les mesures nécessaires pour assurer que ce type d'investissements ne crée pas de déséquilibres parmi les membres de la famille du football européen. Nous souhaiterions d'ailleurs que cette activité demeure davantage un sport qu'un spectacle. C'est pourquoi j'espère que ce parfum de sport et cet esprit d'équipe seront soutenus à l'avenir. M'étant trouvé en France en juillet 1998 lorsque M. Zinédine Zidane a marqué deux fois contre le Brésil au Stade de France, je ne puis qu'espérer que ce grand événement que je garde en mémoire se répétera dans l'avenir.

Enfin, je pense que les propos de M. le président Barroso ont été mal interprétés et suis témoin de son attachement à la culture française. La Commission européenne travaillera sur la base – et dans le respect – du mandat défini par le Conseil européen la semaine dernière concernant la négociation de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. Ces négociations pourraient en effet apporter beaucoup de potentiel économique à l'Europe et à la France, qui disposent d'un grand potentiel culturel et audiovisuel.

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