Intervention de Florent Boudié

Réunion du 26 juin 2013 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorent Boudié, rapporteur pour avis :

Trente ans se sont écoulés depuis le premier acte de décentralisation et, depuis, avec des rythmes et des méthodes différents, tous les gouvernements, de droite comme de gauche, ont participé, à des degrés divers, à l'institutionnalisation des collectivités territoriales dans la République.

Il est en revanche une donnée qui différencie fondamentalement l'acte I de la décentralisation, engagé sous le gouvernement Mauroy au début des années quatre-vingt, de toutes les étapes qui ont pu lui succéder.

Les lois dites Defferre comportaient en effet un double mouvement.

Sur le plan institutionnel, le législateur des années quatre-vingt a procédé à un transfert massif de compétences au profit des collectivités territoriales. Or la décentralisation se caractérise avant tout par un tel transfert. L'acte I a en outre consacré l'autonomie des départements vis-à-vis de l'État et institutionnalisé les régions, qui n'étaient jusque-là que des établissements publics incarnant des territoires de projet.

Mais, sur le plan politique, cet acte I fut surtout pensé comme une modalité politique, au sens noble du terme, d'un profond processus de réforme de l'État, visant à constituer des contre-pouvoirs face à l'hégémonie étatique – qui s'incarnait dans la tutelle administrative de l'État sur les exécutifs locaux – et à adapter les services publics locaux aux besoins de chaque territoire et de chaque population.

Or l'esprit même de la décentralisation n'a cessé, depuis trente ans, de connaître des inflexions.

L'acte II des années 2000 a certes poursuivi les transferts de compétences, tout en accordant aux collectivités territoriales des prérogatives nouvelles. Il a ainsi favorisé l'émergence d'un véritable « droit constitutionnel local » et offert aux collectivités la reconnaissance et la protection constitutionnelles de plusieurs grands principes – lesquels, d'ailleurs, n'ont pas tous été appliqués à la hauteur des espérances qu'ils avaient suscitées, comme, par exemple, le principe de l'autonomie financière.

Mais l'acte II s'est également traduit par une première inflexion de l'esprit de la décentralisation en se consacrant principalement à une régulation des principes juridiques de celle-ci, sans redistribution majeure de l'équilibre des pouvoirs entre l'État et les collectivités territoriales, ni entre ces dernières.

Les transferts de compétences sont apparus davantage comme une volonté pragmatique d'externalisation de compétences étatiques vers la sphère territoriale que comme l'attribution aux collectivités de nouvelles politiques publiques structurantes pour les territoires.

De son côté, la réforme engagée en 2010 par les lois du 16 février – organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux – et celle du 16 décembre – de réforme des collectivités territoriales – a procédé à une rénovation institutionnelle de la carte politique, en révisant le périmètre des intercommunalités à fiscalité propre – ce qui était nécessaire. Selon la direction générale des collectivités locales (DGCL), près de 500 regroupements d'intercommunalités ont été engagés depuis ces deux dernières années, dont certains sont encore en cours.

Après les lois Defferre, le législateur a donc essentiellement conçu l'acte même de décentraliser comme un processus d'aménagement technique des compétences locales, un mécanisme de régulation juridique du socle posé au début des années 1980. L'esprit de la décentralisation s'est, d'une certaine façon, étiolé.

Celle-ci est même peu à peu devenue un objet de nouvelles polémiques. Trois critiques ont été formulées.

D'abord, une critique financière : la réforme de 2010 n'a pas purgé le débat sur les accusations de surcoûts. Et la crise financière a même, de façon accrue, posé la question des risques financiers à l'échelle locale, notamment des emprunts toxiques.

Deuxièmement, une critique institutionnelle avec la demande, justifiée, d'une répartition des compétences plus lisible et la revendication de transferts de compétences plus conformes à l'esprit du principe de subsidiarité.

Enfin, une critique en termes de justice, avec la demande, également justifiée, de transferts de compétences accompagnés de financements plus équitables de l'État, garantis, contractualisés, assortis d'une péréquation et d'une solidarité plus importantes entre les territoires, associant davantage les collectivités aux décisions ou aux normes les concernant.

Or ni le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale proposé par le Gouvernement, ni sa version adoptée par le Sénat n'ont d'ailleurs la prétention de constituer un nouveau grand soir de la décentralisation. Ils n'ont pas non plus l'ambition d'imposer une vision dogmatique des collectivités territoriales.

Il s'agit de proposer un saut qualitatif – en trois temps, puisque trois projets de loi seront successivement examinés d'ici à 2015 –, consistant à redistribuer, à réguler et à aménager en interne les pouvoirs entre les collectivités territoriales.

Tel est l'objet de la conférence territoriale de l'action publique et de la notion de chef de file définie à l'article 3 du texte, dont notre commission est saisie.

Il en est de même de la montée en puissance des fonctions métropolitaines, qui font l'objet du titre II. Ces fonctions doivent être affirmées, avec une certaine urgence, car elles sont en concurrence à l'échelle européenne et internationale, qu'il s'agisse des collectivités à statut particulier pour certaines zones géographiques – je pense à Lyon ou Marseille – ou des métropoles de droit commun qui maillent le territoire national.

S'agissant de la région Île-de-France, j'observe qu'elle ne fait l'objet d'aucun des 49 amendements déposés. J'y vois une preuve de sagesse. Le texte adopté par le Sénat a lessivé les propositions faites par le Gouvernement et les discussions se poursuivent.

Je me contenterai de faire deux observations, en attendant le débat qui aura lieu au sein de la Commission des lois.

D'abord, le Parlement ne peut se payer le luxe d'achever le débat sur ce premier texte sans affirmer une ambition métropolitaine forte pour cette région. Ce serait une erreur à la fois stratégique et historique.

Deuxièmement, les renoncements affichés au Sénat ont eu le mérite de provoquer une forme d'électrochoc salutaire : chacun a désormais pris conscience que le syndrome de la feuille blanche n'est pas acceptable pour la région-capitale.

Enfin, je rappelle que le texte que nous allons examiner s'intitule « projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ». Or nous avons été nombreux à souligner que la reconnaissance des fonctions métropolitaines exercées sur le territoire national ne saurait aller sans imaginer l'avenir des territoires ruraux. Non pas qu'il faille opposer l'urbain et le rural : cette opposition m'a toujours paru stérile. Mais le territoire de la République n'est solide que lorsqu'il marche sur ses deux pieds.

La logique polycentrique doit s'imposer. Non par principe, par conservatisme ou par une sorte de dérive défensive qui voudrait que l'on retienne le temps en évitant les grandes évolutions – qui font émerger des fonctions métropolitaines aux dimensions européennes. Mais le chapelet de villes moyennes, de territoires périurbains et de territoires ruraux fait partie des structures fondamentales et des dynamiques qui structurent le territoire national. Et rien ne serait pire que de ne pas offrir à ces dynamiques des outils à la dimension des initiatives qu'elles soutiennent et qu'elles devront continuer à soutenir à l'avenir.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement visant à créer des « pôles de développement et d'équilibre des territoires » – la brèche avait d'ailleurs été ouverte par le Sénat –, sans seuil de population, pour n'exclure personne. Et ce, sans qu'il soit question de créer une strate supplémentaire, puisqu'il s'agit d'inviter en particulier les petites et les moyennes intercommunalités à se fédérer pour accroître l'efficacité publique, dégager des solutions de mutualisation de services et identifier des périmètres de coopération aussi pertinents que possibles. Il ne s'agit donc pas de s'engager, à court terme tout au moins, dans un nouveau processus de rationalisation tous azimuts de la carte intercommunale, le dernier étant à peine achevé.

L'objectif est simple : donner à la dynamique des territoires des possibilités de s'affirmer, tout comme le projet de loi offre aux fonctions métropolitaines des outils pour se développer. C'est donc à l'écriture d'un nouveau titre III de ce projet que je vous inviterai dans le fil de nos débats. Encore une fois, le territoire de la République ne peut fonctionner qu'en s'appuyant sur ses deux pieds que sont les grandes métropoles d'un côté et les territoires de l'autre – lesquels structurent nos bassins de vie et forment un tissu, rural notamment, dont il faut sans cesse veiller à resserrer les liens.

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