Pour nous, l'essentiel réside dans le lien entre qualité de vie au travail et égalité, cette dernière devant être une préoccupation dans tous les aspects de la qualité de vie au travail, qu'il s'agisse de l'égalité d'accès à un travail valorisant, à des conditions de travail de qualité, intégrant la pénibilité de l'activité, à la prévention des risques, par exemple.
Nous souhaitons mettre l'accent sur l'articulation entre santé et égalité. Le travail a un impact différent sur la santé des hommes et sur celle des femmes, et ce même dans les entreprises où l'égalité, notamment salariale, est respectée.
Nous nous heurtons à la difficulté qu'il y a à produire des statistiques sexuées, les informations publiées ne distinguant pas les femmes des hommes. À partir des dernières données provenant de la CNAMTS, qui couvrent 18 millions de salariés, nous sommes parvenus à retracer certaines évolutions au cours des dix dernières années. En 2011, les accidents de travail concernant des femmes représentent le tiers des 650 000 accidents de travail : depuis 2000, le nombre de ces accidents à diminué de 20 % pour les hommes, mais a augmenté de 27 % pour les femmes. Pour avoir une vision exacte de cette évolution, il faut corréler ces données à l'augmentation des effectifs d'hommes et de femmes, dont la CNAMTS ne dispose pas. D'autres sources permettent néanmoins de dire que le nombre d'hommes actifs a progressé de 1 % en dix ans, contre 11 % pour celui des femmes. L'écart entre les hommes et les femmes s'est donc bel et bien creusé en matière d'accidents du travail au cours des dix dernières années. Nous disposons de l'indice de fréquence des accidents dans le secteur de l'hôtellerie-restauration : il a diminué de 15 % pour les hommes et augmenté de 36 % pour les femmes. Faute de recherches dans ce domaine, il est difficile de connaître les causes de ces évolutions contrastées. On peut formuler l'hypothèse selon laquelle les femmes qui commencent une activité ont souvent un travail exposé et pour lequel la prévention n'est pas suffisante. Par exemple, les accidents de trajet ont augmenté de 30 à 40 % pour les services à la personne, souvent assurés par des femmes.
Pour ce qui est des maladies professionnelles, elles sont aussi fréquentes pour les hommes que pour les femmes, mais elles sont en hausse de 160 % pour ces dernières, soit deux fois plus que pour les hommes.
Une autre illustration nous est fournie par le programme Samothrace sur la santé mentale. En 2007, 24 % des hommes et 37 % des femmes éprouvaient une souffrance psychologique au travail, les femmes cadres et employées étant les plus touchées alors qu'il y a peu de différences entre catégories socio-professionnelles pour les hommes. La comparaison de deux études « Summer », celle de 2003 et celle de 2010, montre que la tension au travail touche 29,2 % des femmes en 2010, contre 28,2 % en 2003, pour, respectivement 23,8 % des hommes et 19,6 % des hommes. On observe donc une augmentation générale, mais plus marquée pour les hommes : l'écart entre les sexes se réduit donc. Une étude sur l'absentéisme au travail conclut à un niveau nettement plus élevé pour les femmes, mais elle n'a pas pris en compte les différences dans les conditions de travail parmi les causes de cette situation. Elle a en revanche mis en évidence une corrélation forte avec la situation personnelle du salarié, bien plus qu'avec le nombre d'enfants, et ce, pour les hommes comme pour les femmes.
Si les inégalités sont indéniables, nous manquons de travaux de recherche, ce qui risque de conduire à des interprétations essentialistes, négligeant le lien avec les activités domestiques et les conditions de travail.
La plupart des études sociologiques sont faites « toutes choses égales par ailleurs », sans intégrer les facteurs liés au genre. Par exemple, pour expliquer pourquoi les femmes souffrent davantage de troubles musculo-squelettiques, il faut prendre en compte le fait qu'elles font des travaux plus répétitifs. Dans la réalité, les situations sont inégales : les conditions d'emploi, de vie, de conciliation entre vie professionnelle et vie privée sont différentes. Il faut faire le lien entre les indicateurs de santé et les conditions de travail. De même, dans les entreprises, les rapports annuels de situation comparée ne remontent pas aux causes structurelles ; les conditions de travail restent appréhendées à partir de la norme de l'homme moyen.
Nous avons donc développé une méthodologie organisée autour de quatre grands facteurs de causes :
– la répartition sexuée des emplois et des activités, qui est sensible partout, même entre des personnes occupant des postes identiques : par exemple, une serveuse dans l'hôtellerie ou la restauration ne fait pas le même nombre de pas, ne rend pas le même service que son collègue masculin ;
– les risques, les violences, les incivilités auxquels les femmes sont exposées ;
– les pratiques pénalisantes dans la gestion des ressources humaines : par exemple, dans le secteur de l'imprimerie, entrés au même poste, un homme évoluera rapidement ou quittera l'entreprise tandis qu'une femme assurera le même travail de base jusqu'à son départ en retraite ou son licenciement pour inadaptation au poste ;
– l'exposition aux conditions d'emploi et de conciliation.
Nous avons pu repérer quatre types d'emplois qui sont très exposés :
– les emplois répétitifs et pénibles, le caractère répétitif étant l'une des caractéristiques de l'emploi des femmes – ce que démontrent les enquêtes relatives aux à leurs conditions de travail ;
– les emplois émotionnellement exigeants (par exemple, les emplois des secteurs de la santé, du soin) ;
– les emplois aux horaires atypiques, avec des horaires de travail le soir ou très tôt le matin (par exemple dans le secteur de la propreté), avec également des horaires de travail fragmentés et le travail de nuit (dont la part progresse dans l'activité des femmes) ;
– les emplois sans perspectives d'évolution professionnelle, emplois qui ne permettent pas des parcours partout dans une entreprise et pour tout le monde.
Nous avons également recueilli des éléments intéressants parmi les données du Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNVPPP). Ces données mettent en évidence des différences importantes entre les hommes et les femmes dans l'exposition aux risques, au terme d'une analyse portant sur 50 000 pathologies en rapport avec le travail, réalisée entre 2001 et 2009. On constate ainsi que les hommes objet de cette étude ont consulté pour des problèmes de santé liés à l'amiante, au port de charges, au bruit, aux solvants diluants. Les femmes ayant consulté ont, quant à elle, été exposées :
– aux violences psychiques ;
– au port de charges – que l'on songe à l'activité des infirmières, des caissières mais également à de nombreux postes de l'industrie et des services, le port de charge pouvant dépasser dans certaines entreprises la norme du code du travail, soit vingt-cinq kilos ;
– aux mouvements répétitifs ;
– aux « facteurs managériaux », facteurs de risque encore relativement occultés aujourd'hui mais qui peuvent porter atteinte à la santé des femmes.
Les premiers résultats de l'enquête Sumer (réalisée par la DARES en 2010) montrent par ailleurs que dans leur emploi, les femmes subissent toujours des contraintes spécifiques. Parmi ces contraintes, il convient de citer :
– tout d'abord, celles inhérentes au travail en contact avec le public, lequel expose les femmes à des situations de tension et à des agressions verbales ;
– ensuite, celles qui résultent de la répétition d'un même geste ou d'une série de gestes à cadence élevée pendant vingt heures ou plus pendant la semaine ;
– celles liées au travail sur écran vingt heures ou plus par semaine et auxquelles les femmes sont plus exposées que les hommes ;
– celles en rapport avec l'exposition aux agents biologiques ;
– celles qui procèdent de rythmes de travail impliquant l'interruption fréquente d'une tache, l'obligation de se dépêcher pour l'accomplir, l'impossibilité de faire varier les délais fixés ou d'interrompre momentanément son travail quand on le souhaite ;
– celle enfin que constitue le fait de ne pas disposer de 48 heures consécutives de repos au cours d'une semaine.
S'agissant du temps partiel et de son impact en matière de santé au travail pour les femmes – qui représentent 80 % des salariés dans cette situation –, nos analyses ont confirmé les résultats des travaux de l'Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) : la durée d'arrêt des salariés à temps partiel est plus longue que pour les salariés à temps plein. Cette conclusion semble a priori contre-intuitive dans la mesure où généralement, le travail à temps partiel donne une possibilité de prendre des repos et des temps de récupération, ce qui devrait susciter moins d'absences. De fait, les salariés à temps partiel sont moins absents en fréquence. Cependant, ils cumulent plusieurs arrêts si bien que leur absence apparaît d'un niveau supérieur à celui des salariés à temps plein. Ainsi, d'après l'analyse des chiffres d'absentéisme d'une mutuelle couvrant plusieurs millions de salariés que nous avons réalisée, les salariés à temps partiel ont 24 % de jours d'arrêt au total.
Si l'on examine la situation plus finement à l'échelle des secteurs d'activité, on observe que les salariés à temps partiel sont plus absents que les salariés à temps complet (en nombre de jours d'absence par an et par salarié). Ce constat vaut pour les activités financières et d'assurance, les secteurs de l'information communication, les activités spécialisées scientifiques et techniques ainsi que pour les administrations publiques. Ceci peut s'expliquer par le fait que les salariés à temps partiel tendent à être pénalisés ou marginalisés en étant cantonnés dans des parcours moins intéressants et qui exposent à une usure professionnelle favorisant des absences suivies. Une explication de même nature peut être fournie en ce qui concerne le haut niveau d'absentéisme dans des secteurs tels que l'industrie manufacturière, les industries extractives, la construction, la production d'eau et d'assainissement et la production d'électricité. En effet, il s'agit de métiers comportant une certaine pénibilité physique et l'on peut penser que le passage au temps partiel tient à une dégradation de la santé des salariés qui, elle-même, est la cause d'absences répétées.
En revanche, dans des secteurs comme ceux de l'enseignement, des arts et spectacles, de certaines activités administratives et de soutien, d'autres activités de service, de la santé et de l'action sociale, il s'avère que le nombre de jours d'absence par an pour les salariés à temps partiel est inférieur à celui observé pour les salariés à temps plein. On peut faire l'hypothèse, pour expliquer ce constat, que dans ces secteurs fortement féminisés, l'organisation du travail a su s'adapter à la présence de nombreux salariés à temps partiel.
Sur ce point, des analyses plus précises devraient sans doute être menées afin de mieux mesurer l'impact des conditions de travail des salariés à temps partiel sur l'absentéisme. Cela étant, nous pouvons d'ores et déjà avancer l'idée que l'absentéisme, parmi les personnes ayant un emploi à temps partiel, constitue une conséquence du cumul des effets sur la santé de conditions de travail pénibles et d'un état de santé déjà dégradé du salarié – qui l'a conduit à occuper à un emploi précaire atypique ou à demander un temps partiel – auxquels s'ajoutent sans doute les effets sur la santé des conditions de vie précaires liées à un niveau de rémunération moindre.
Par ailleurs, les premiers résultats de l'enquête Sumer 2010 mettent aussi en évidence le fait que le temps partiel subi comporte, tant pour les hommes que pour les femmes, nettement plus de contraintes au travail que le temps partiel choisi ou qu'un travail à temps complet. Dans le cadre d'un temps partiel non choisi, ces contraintes consistent pour un salarié à avoir à travailler plus de dix-huit samedis par an et à devoir accomplir plus de deux périodes de travail dans la même journée. Dans cette situation, il y a également davantage de probabilité qu'un salarié dispose de moins de 48 heures de repos consécutif au cours d'une semaine, bénéficie d'une latitude décisionnelle plus faible, que son poste fasse l'objet d'au moins un jugement négatif du médecin du travail et donne lieu à une surveillance médicale renforcée.
Tous ces éléments corroborent le fait que dans le cadre d'un temps partiel non choisi, les salariés sont exposés à des contraintes fortes dans leur travail.
Dès lors, la problématique du temps partiel ne peut être appréhendée sous le seul angle du nombre d'heures travaillées ou de son augmentation. Elle doit être analysée en prenant en considération les conditions et l'organisation du système productif – qui lui-même procède de compromis sociaux. Pour les politiques publiques et les entreprises, le défi est double : il s'agit à la fois d'augmenter le nombre d'heures travaillées et de diminuer la pénibilité ou de ne pas dégrader les conditions de travail. Dans certains métiers, tels que ceux du secteur des services à la personne, on constate ainsi qu'une durée du travail raisonnable est un ¾ temps. Un temps plein ne serait pas « tenable ».
Je conclurai mon intervention par deux points.
Le premier porte sur la prise en compte des questions de genre et d'égalité au plan réglementaire, conventionnel et institutionnel.
De ce point de vue, les règles relatives à la santé au travail n'appréhendent pas suffisamment la question du genre, mises à part quelques restrictions concernant le port de charge, l'exposition au plomb et au radium ou les dispositions protégeant la femme enceinte. Souvent, les accords sur les risques psychosociaux ne traitent pas des facteurs de risques spécifiques auxquels sont confrontés les hommes et les femmes dans leur emploi et ne développent pas d'analyse de leurs données ou résultats en rapport avec le genre ou le sexe. De même, les accords ou les plans séniors ne prennent absolument pas en compte les différences dans les conditions du vieillissement au travail observées entre les femmes et les hommes. Les accords sur l'égalité professionnelle n'abordent pas la question des conditions de travail ou de la santé au travail puisque les indicateurs santé n'y sont pas directement intégrés.
Le second et dernier point que je développerai rapidement porte sur les propositions que nous souhaitons vous présenter afin de progresser.
En premier lieu, nous estimons que pour progresser dans un certain nombre de domaines, les politiques et actions visant la prévention de la santé et de la sécurité au travail ainsi que la qualité de vie au travail doivent – qu'elles soient le fait des entreprises ou des pouvoirs publics – faire appel à une analyse fondée sur la prise en compte du sexe afin d'améliorer la prévention de la « sinistralité » des hommes et des femmes, en particulier dans les secteurs mixtes ou à prédominances féminine. À cette fin, nous recommandons :
– la production de statistiques « sexuées » de santé au travail, qui soient rendues obligatoires dans les bilans des organismes de sécurité sociale, dans le bilan social des entreprises ou dans les grandes enquêtes nationales menées par les ministères du Travail et de la Santé ; il importe également de promouvoir des recherches afin d'expliquer les écarts observés entre hommes et femmes dans ces différents indicateurs ;
– l'établissement d'un dispositif de prévention des risques adéquat dans les secteurs à prédominance féminine : il nous semble que dans les emplois à prédominance masculine, la prévention permet aujourd'hui d'appréhender la spécificité des risques qui s'attachent aux métiers exercés par les hommes et par les femmes, ce qui n'est pas le cas dans les secteurs à prédominance féminine ;
– l'intégration dans le document unique d'évaluation des risques de ceux relatifs à la santé reproductive des femmes mais aussi des hommes et de ceux des emplois à prédominance féminine ;
– l'intégration de la problématique du genre dans les démarches des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ;
– l'intégration de la prévention des violences et harcèlement à caractère sexiste et sexuel dans les approches sur les risques psycho-sociaux ;
– l'intégration de la dimension du genre dans les accords et plans d'action sur les risques psycho-sociaux, la pénibilité, les séniors et la qualité de vie au travail.
En ce qui concerne les politiques et actions ayant pour objectif l'égalité professionnelle, nous considérons qu'il ne faut pas se borner à la question des « discriminations directes », des inégalités salariales ou à celle de l'emploi. Il importe que les actions en faveur de l'égalité professionnelle prennent en compte les conditions et l'organisation du travail, la santé et la qualité de vie au travail. Aussi, nous recommandons :
– d'intégrer un certain nombre d'indicateurs de santé dans le rapport de situation comparée : a minima, des indicateurs relatifs à l'absentéisme, aux accidents du travail, aux accidents de trajet, la maladie professionnelle, ainsi que le font déjà certaines entreprises ;
– d'assurer la mixité des emplois et des activités en revoyant l'ergonomie des postes de travail de sorte qu'elle intègre la différence des sexes ;
– d'inclure, dans l'organisation du temps de travail, les critères d'articulation des temps et de santé en sorte de limiter les horaires atypiques, le temps partiel contraint et d'accorder plus de flexibilité aux salariés dans la gestion de leur temps de travail ;
– de revoir, dans les entreprises, les critères de mobilité et de promotion qui, trop souvent, reposent sur la disponibilité et l'ancienneté ;
– d'augmenter le nombre d'heures de travail des emplois à temps partiel mais également de repenser l'organisation du travail afin de diminuer la pénibilité et d'améliorer les conditions de travail ;
– de revaloriser les emplois à prédominance féminine dans les classifications en prenant en compte les exigences réelles de l'activité et de la pénibilité.