Intervention de Marc Mortureux

Réunion du 25 juin 2013 à 17h30
Commission des affaires sociales

Marc Mortureux, directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail :

Je me réjouis que ma candidature à un nouveau mandat à la tête de l'ANSES, agréée par les cinq ministères de tutelle – santé, agriculture, environnement, travail et consommation – me donne l'occasion d'être entendu par votre Commission, d'autant que les agences de sécurité sanitaire ont été créées par la volonté du Parlement. J'ai du reste déjà été auditionné par votre commission ainsi que par celle du développement durable.

Ingénieur du corps des mines, j'ai connu jusqu'à présent un parcours professionnel diversifié. J'ai commencé ma carrière comme chef de la division « Environnement » à la direction régionale de l'industrie et de la recherche d'Ile-de-France et comme secrétaire général d'Airparif, organisme gestionnaire du réseau de surveillance de la pollution atmosphérique en Ile-de-France. J'ai travaillé ensuite au ministère de l'industrie, puis comme directeur de la recherche et du développement à la Compagnie générale de géophysique, entreprise privée à vocation internationale. J'ai dirigé ensuite le Laboratoire national de métrologie et d'essais, établissement public à caractère industriel et commercial, avant de devenir directeur général adjoint de l'institut Pasteur. Puis j'ai été directeur du cabinet du secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, avant d'être nommé, en août 2009, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et préfigurateur de l'établissement public qui devait, aux termes de la « loi Hôpital, patients, santé, territoires », ou « loi HPST », reprendre les missions de l'AFSSA et de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET. En juillet 2010, je suis devenu directeur général de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, l'ANSES, créée par ordonnance.

La fusion de l'AFSSA, chargée de contrôler l'ensemble de la chaîne alimentaire, « de la fourche à la fourchette », et de l'AFSSET, chargée depuis sa création en 2006 des questions de santé environnementale et de santé au travail, n'a pas manqué de rencontrer des résistances, en raison notamment de l'hétérogénéité des problématiques traitées par les deux agences. Beaucoup craignaient que les missions spécifiques des deux agences ne se diluent dans un ensemble trop vaste, et que l'AFSSET, qui ne comptait que 150 agents, ne soit absorbée par l'AFSSA, ses 1 200 agents et son réseau de laboratoires couvrant tout le territoire.

Ma conviction était que la fusion ne réussirait que si l'on engageait la concertation la plus large et la plus approfondie de l'ensemble des acteurs concernés par ces sujets – partenaires sociaux, organisations professionnelles, organisations non gouvernementales, associations de consommateurs, ainsi que les ministères. Une quinzaine de réunions rassemblant chacune plus d'une quarantaine de partenaires nous ont permis de poser les fondations de cette nouvelle agence. Cet espace de concertation a été pour moi le laboratoire de l'ANSES, qui reste porteuse de cet esprit de grande ouverture.

Ma deuxième préoccupation a été de créer de la valeur ajoutée à partir du meilleur des deux cultures. Certaines synergies étaient évidentes, par exemple entre la mission d'évaluation des produits phytosanitaires qui était celle de l'AFSSA et l'évaluation des produits biocides, qui relevait de l'AFSSET, ou encore entre la surveillance de la qualité sanitaire de l'eau à destination de la consommation humaine, mission de l'AFSSA, et celle de la qualité des eaux de baignade, qui relevait de l'AFSSET.

La troisième condition de réussite était la capacité de lancer une dynamique interne susceptible de mobiliser les salariés des deux agences dans un projet commun.

Au bout d'un processus de onze mois et à l'échéance prévue, l'ANSES a vu le jour le 1er juillet 2010, les équipes se regroupant dès les jours suivants.

Aujourd'hui, l'ANSES, c'est 1 350 personnes et onze laboratoires répartis sur tout le territoire, au plus près des activités de terrain, des lieux d'élevage ou de culture par exemple. Cette proximité avec le terrain est essentielle pour une agence comme la nôtre. En effet notre rôle ne se limite pas à dresser l'état des connaissances scientifiques existantes sur un sujet donné ; nous devons également confronter celles-ci aux données les plus précises et les plus concrètes recueillies sur le terrain.

Avec trois ans de recul, je crois pouvoir dire objectivement que la création de l'ANSES a marqué un progrès en matière de sécurité sanitaire, notamment grâce à trois éléments qui font son originalité sur le plan international.

Premièrement, l'ampleur de son champ de compétence lui permet une approche transversale des risques, tenant compte pour chaque type de risque de l'ensemble des sources d'exposition auxquelles un même individu peut être soumis, que ce soit en tant que consommateur, comme travailleur ou comme citoyen. Cette spécificité rend notre dispositif particulièrement apte à saisir et décrire la réalité des expositions et de leur cumul, et c'est la raison pour laquelle ce dispositif intégré de vigilance sanitaire suscite un intérêt marqué à l'étranger.

Deuxième originalité, la gouvernance de l'agence est marquée par une grande ouverture à la société civile. Cela nous permet d'intégrer à notre travail les préoccupations des acteurs sociaux, limitant ainsi la probabilité de passer à côté de risques qui mériteraient d'être évalués.

Troisièmement, l'agence bénéficie d'un cadre déontologique renouvelé. La nécessité d'une expertise indépendante est depuis le début une préoccupation constante, et des procédures extrêmement strictes ont été établies afin de prévenir les conflits d'intérêts qui pourraient mettre en péril cette indépendance. Ainsi nos experts sont-ils sélectionnés à l'issue d'un appel public à candidature le plus large possible. En outre, tout expert travaillant à l'agence doit fournir une déclaration publique d'intérêt et se conformer à des règles déontologiques extrêmement exigeantes. Enfin, elle dispose d'une instance spécifique, le comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêt.

L'agence peut être saisie par l'État, mais également par des acteurs de la société civile – ONG, associations, partenaires sociaux. Elle assure l'évaluation des risques sanitaires via des procédures d'expertise collectives et contradictoires, dont l'indépendance est très strictement protégée de tout risque d'influence d'intérêts particuliers.

L'agence émet des avis et des recommandations à l'adresse des pouvoirs publics, dans le respect du principe de séparation entre l'évaluation et la gestion des risques : son rôle est non pas de prendre des décisions, mais d'éclairer la décision des pouvoirs publics en les instruisant du dernier état des connaissances scientifiques. Cela signifie les tenir informés, non seulement de ce que l'on sait, mais également des limites de la certitude scientifique, dont la connaissance est également nécessaire à la décision publique.

L'ANSES est la plus grande agence de sécurité sanitaire en Europe par son champ de compétence, qui couvre celui de quatre agences européennes : l'Autorité européenne de sécurité des aliments – l'EFSA –, l'Agence européenne des produits chimiques – l'ECHA –, qui a pour mission d'assurer la mise en oeuvre de la directive REACH, l'Agence européenne des médicaments – l'EMA – et l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail – EU-OSHA. Si les réglementations européennes ont mis fin à la compétence nationale d'évaluation en certaines matières – c'est le cas, par exemple, de l'évaluation du bien-fondé des allégations nutritionnelles et de santé –, d'autres font l'objet de compétences partagées entre les agences européennes et l'échelon national : c'est le cas de l'évaluation des produits phytosanitaires, dont les substances actives sont évaluées au niveau européen, alors que les produits eux-mêmes sont évalués au niveau national, afin de tenir compte des spécificités du territoire.

Nous sommes également très présents au niveau international. Sur certains sujets, tels les perturbateurs endocriniens ou le bisphénol A, l'agence s'est distinguée par une approche à la fois très structurée et très ouverte, qui nous a permis de faire avancer ces dossiers.

L'ANSES assure ses missions dans un contexte budgétaire contraint, puisque nous nous inscrivons pour la troisième année dans une logique de réduction d'emplois. La fusion a permis des optimisations.

Je voudrais, pour finir, évoquer le futur de l'agence. Celle-ci est désormais en ordre de marche : elle l'a prouvé par sa capacité à se mobiliser sur des questions urgentes comme celle de l'Escherichia coli ou de l'insecticide Cruiser OSR. D'une façon générale, elle a fait preuve de sa capacité à s'investir sur des sujets sensibles tels que celui de l'exposition des travailleurs agricoles aux pesticides, qui fait l'objet de travaux dédiés, ou de l'antibiorésistance.

Mon objectif pour les trois ans à venir est que l'agence garde toujours une avance en matière d'anticipation des risques émergents, dans le souci de protéger toujours mieux nos concitoyens. Cela suppose que nous soyons capables, au-delà de l'urgence, de nous projeter dans le moyen terme. Nous avons ainsi engagé un travail de prospective scientifique afin d'identifier les thématiques qui vont monter en puissance dans les années à venir et nous finançons des travaux de recherche scientifique dans cette perspective. Nous ne disposons cependant pas des moyens suffisants pour évaluer les études conduites par les industriels eux-mêmes ou sur des sujets suscitant des inquiétudes tels que la question des effets à long terme des organismes génétiquement modifiés (OGM), qui mériterait pourtant de mobiliser des financements publics. Il n'existe pas d'équivalent européen du NTP américain, le National Toxicology Program.

Il faudra également renforcer notre capacité à prendre en compte tous les signaux d'alerte que nous recevons quotidiennement. C'est l'un des objectifs poursuivis par la loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, qui vient d'être adoptée. Celle-ci impose aux organismes tels que l'ANSES de tenir un registre des alertes qui leur sont transmises. Dans cette perspective, nous souhaiterions engager avec les organismes concernés, dans le cadre de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement créée par la loi, un travail de définition de ce qu'est une alerte et de ce que doit être le rôle de chacun. Les pouvoirs publics envisagent par ailleurs une réorganisation des dispositifs de vigilance et de suivi des produits ayant bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché. Ce sont là des domaines où nous devons encore progresser.

Troisièmement, l'agence doit poursuivre ses travaux de méthodologie sur des phénomènes complexes comme les effets cocktails des substances chimiques ou les effets sanitaires des faibles doses, que l'amélioration des capacités d'investigation scientifique a permis de mettre à jour. Il faut savoir cependant qu'entre l'identification de nouveaux risques et la mise en place de protocoles permettant d'y parer, il s'écoule toujours un laps de temps relativement long.

Pour assurer au mieux ces missions, l'ANSES devra faire face à quatre défis.

Premièrement un contexte budgétaire toujours extrêmement contraint nous impose de faire des choix, ce qui est particulièrement compliqué en matière de sécurité sanitaire. En effet, même en hiérarchisant ses priorités de la façon la plus rationnelle, on n'est jamais à l'abri de voir émerger un risque dont la probabilité de survenue était pourtant faible.

Deuxièmement, l'agence doit continuer de se renforcer à l'international. Nous souhaitons par exemple développer des coopérations avec la toute nouvelle agence chinoise de sécurité sanitaire des aliments. Nous pouvons pour cela nous appuyer sur l'expertise que nous avons acquise, la France étant réputée pour la qualité de son dispositif.

Troisièmement, l'agence devra continuer à attirer les meilleurs experts et les meilleurs chercheurs, dans le respect des règles extrêmement strictes que nous avons mises en place pour prévenir les conflits d'intérêts et assurer l'indépendance de notre expertise. Ce ne sera pas simple à un moment où les partenariats entre la recherche et l'industrie se multiplient.

Enfin nous devrons poursuivre notre travail de restauration de la confiance de nos concitoyens via l'excellence scientifique, l'indépendance de l'expertise, la transparence et l'ouverture. De ce point de vue, l'agence bénéficie des compétences d'acteurs sociaux très mobilisés dans des domaines particuliers. Ces interlocuteurs nous permettent de nourrir notre réflexion, d'ouvrir le champ de nos sources d'information et de contribuer au débat public sur la base du travail scientifique de l'agence.

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