La nutrivigilance est un dispositif récent qui organise la remontée d'informations sur la base du signalement par les professionnels de santé des problèmes de santé de leurs patients liés à la consommation de certains produits.
À cet égard, nous sommes préoccupés par la rapide expansion du marché des compléments alimentaires qui ont été les premiers à entrer, à titre expérimental, dans le dispositif de nutrivigilance. Ces produits sont souvent vantés pour leur origine naturelle alors que celle-ci n'est pas une garantie de leur innocuité – dans certains cas qui nous ont été signalés, ils contiennent des extraits de plantes qui ne sont pas comestibles et dont la traçabilité est insuffisante. En outre, la réglementation impose une simple déclaration auprès de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) des compléments alimentaires qui, pour certains, s'apparentent pourtant à des médicaments.
Le dispositif de nutrivigilance est très intéressant, car les signalements effectués constituent un filet de sécurité qui s'ajoute à la réglementation. Il n'est en revanche pas adapté aux problèmes rencontrés par le grand public qui doit plutôt s'adresser aux centres antipoison et de toxicovigilance. Les informations recueillies alimentent le dispositif de toxicovigilance qui nécessite d'être amélioré.
S'agissant des boissons énergisantes, nous avons publié un communiqué de presse encourageant les signalements afin de documenter une étude dont les résultats devraient être connus à l'automne. Il est très difficile d'établir le lien entre la consommation de ces boissons et les effets sur la santé, car de nombreux autres paramètres complexes doivent être pris en compte, notamment la consommation associée d'alcool. Nous menons parallèlement une étude sur l'évolution des habitudes de consommation qui fait apparaître une croissance de la consommation et des pratiques de consommation extrême. Notre rôle est de faire passer des messages qui s'appuient sur les travaux scientifiques réalisés : le premier d'entre eux est qu'il convient de distinguer boissons énergétiques et énergisantes, ces dernières étant contre-indiquées avec l'effort physique en raison de leurs effets sur le coeur, alors même que les publicités les associent à la pratique du sport.
La radiofréquence et les antennes-relais sont au coeur des préoccupations de l'agence. Un groupe d'experts permanent dédié a ainsi été mis en place, il y a un an et demi, afin d'étudier leur impact. Ce groupe, dont les premiers travaux devraient être restitués en septembre, a vocation à travailler chaque année à l'actualisation des connaissances sur les différents aspects du sujet.
L'électrosensibilité sera le thème central des travaux du groupe d'experts l'année prochaine. Nous devons prendre en charge la souffrance des personnes concernées – nous échangeons régulièrement avec les collectifs mobilisés sur cette question – et progresser dans la compréhension de ce phénomène complexe à appréhender sur le plan scientifique.
Parallèlement, un comité de dialogue réunissant les responsables du groupe d'experts, les associations et les opérateurs de téléphonie a été institué afin d'expliquer la méthodologie de notre expertise sur laquelle les attentes en matière de transparence sont fortes. Ainsi, nous communiquons aux membres du comité la liste des études scientifiques répertoriées par nos soins sur le sujet et les encourageons à nous faire part de sources complémentaires afin que notre démarche soit la plus complète et la plus ouverte possible.
Nous sommes complètement indépendants de l'EFSA européenne puisque nous avons nos propres procédures et groupes d'experts. Nous évitons de travailler sur les mêmes sujets. L'ANSES se met ainsi en retrait sur les questions examinées au niveau européen – c'est le cas pour les colorants par exemple.
Il est vrai que certains sujets font apparaître des divergences entre les deux agences, qui tiennent au périmètre plus large et à la méthodologie différente de l'ANSES. Dans le cas du bisphénol A, nous avons déployé d'importants efforts pour développer la concertation avec le groupe d'experts européen. Celui-ci a d'ailleurs choisi de retarder la publication de ses travaux pour prendre pleinement en compte l'étude que nous lui avons présentée de manière très détaillée. Dans le cas de l'aspartame, nous avons apporté une contribution dans le cadre de la consultation publique lancée par l'EFSA. Je suis convaincu que l'ANSES pèse dans l'évolution de l'approche des questions sanitaires au niveau européen et international. Il est important d'être présent et influent à l'échelle européenne pour que l'originalité de notre approche soit prise en compte dans l'élaboration de la réglementation.
Quant aux perturbateurs endocriniens, l'ANSES avait émis, il y a un an, un avis sur de possibles définitions de ceux-ci. Actuellement, des discussions complexes sont en cours au niveau européen. Nous sommes dans l'attente d'une définition claire du perturbateur endocrinien et de ses modalités de caractérisation, qui nous permettrait de réévaluer certaines substances. Nous poursuivons nos travaux sur ce sujet très prioritaire puisque nous avons été saisis par les ministères de l'environnement et de la santé au sujet de plusieurs substances, mais un cadre européen précis et stable est nécessaire.
S'agissant de nos relations avec d'autres institutions de recherche, nous animons le réseau « R 31 » qui rassemble les principaux organismes de recherche afin de coordonner les travaux de recherche dont nous avons besoin dans les domaines d'expertise de l'ANSES.
Nous avons été saisis pour examiner les conséquences sur la réglementation de l'étude de l'INSERM sur le lien entre l'exposition aux pesticides et certaines maladies. Cette étude montre heureusement que les produits les plus nocifs pour la santé ont été interdits, mais certaines substances en cours d'évaluation sont encore utilisées.
Après un important rapport sur les nanoparticules, il y a plus d'un an, qui avait mis en évidence la difficulté à les identifier, celles-ci sont désormais étudiées dans le cadre d'un groupe d'experts dédié. Depuis la loi Grenelle 2, les industriels ont l'obligation de déclarer l'incorporation de nanoparticules dans leurs produits. Les déclarations, qui seront collectées jusqu'à la fin juin, alimentent une base de données gérée par l'ANSES dont un premier bilan sera dressé à l'automne. Il pourra alors éventuellement être décidé d'évaluer les risques liés à certaines particules. Des travaux sont déjà menés sur les nanotubes de carbone et sur le nanoargent. Parallèlement, un comité de dialogue avec tous les secteurs a été mis en place, qui nous aide notamment à orienter les appels à projets de recherche aux fins de documenter la question.
L'ANSES n'a pas été impliquée directement dans le scandale de la viande de cheval qui posait d'abord des problèmes de contrôle. En revanche, nous sommes concernés par le défaut de maîtrise de l'ensemble de la chaîne alimentaire que cette affaire a mis en évidence et par ses conséquences sanitaires. Face à la complexité des chaînes alimentaires et aux contraintes budgétaires, notre rôle est de mettre au point, en s'appuyant sur les meilleures technologies, les outils d'analyse les plus performants et d'en faire bénéficier les laboratoires sur le terrain afin de doter les pouvoirs publics d'une capacité de détection et de contrôle fiable et efficace. Nous développons ainsi une méthode permettant d'identifier 150 contaminants chimiques potentiels en une seule analyse. Mais nous devons aussi être en mesure de rechercher des agents inconnus ou inattendus en élargissant le spectre d'analyse. Dans le domaine de la microbiologie, nous utilisons les capacités de séquençage à haut débit pour identifier, dans les gènes des microorganismes, les facteurs de virulence qui sont responsables de leur caractère particulièrement pathogène, comme dans le cas de la bactérie Escherichia coli en Allemagne. Il s'agit de pouvoir gagner la course de vitesse, en cas d'intoxication alimentaire par exemple.
Nous publierons très prochainement un avis sur la levure de riz rouge.
En matière de pollution de l'air, nous menons des études sur le pollen. Dans la plupart des cas, nos travaux consistent à évaluer les risques lorsque la source de danger est connue. Mais, afin d'améliorer notre capacité d'anticipation, nous développons aussi des recherches à partir d'une pathologie – le développement des allergies est ainsi l'un des premiers sujets que nous traitons de manière globale.
L'ANSES s'intéresse aussi à la santé au travail. Nous conduisons des études sur les travailleurs exposés au bitume, à la suite d'une saisine par une organisation syndicale, sur les égoutiers et sur le travail en horaires décalés. L'agence anime, en outre, le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P) qui permet de recueillir auprès des centres hospitaliers des informations sur certains risques professionnels sur lesquels l'agence peut ensuite décider d'engager des travaux spécifiques.
Le Parlement ne peut pas formellement saisir l'ANSES. Je le regrette. À titre personnel, il me semble légitime, et même souhaitable au regard de notre indépendance, que le Parlement puisse solliciter l'expertise de l'agence. Sans attendre une éventuelle évolution en ce sens, qui vous appartient, l'ANSES répondra à toute demande émanant de la présidence de votre Commission.
S'agissant du triclosan, la Commission européenne a lancé une consultation publique afin de réglementer l'usage de ce conservateur utilisé dans les produits cosmétiques. Je sais que l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé – ANSM – , qui est compétente en la matière, y participe activement.
L'ANSES plaide pour une meilleure documentation scientifique sur les effets à long terme du maïs NK603 et des OGM en général. La Commission européenne a décidé de financer une étude sur ce sujet et le ministère de l'environnement s'apprête également à lancer un appel d'offres.
L'ANSES n'a jamais été saisie de la question des gaz de schiste.
En réponse aux interrogations sur les cinq ministères de tutelle, je suis, après trois années de pratique, plutôt satisfait du fonctionnement de l'agence, en dépit de mes inquiétudes initiales. La multiplicité des tutelles et les positions souvent divergentes des ministères favorisent son indépendance. Chaque ministère assure la coordination des différentes tutelles pendant six mois. Ce cadre est très respectueux du rôle de chacun, celui d'évaluation pour l'ANSES et celui de gestion des risques pour les ministères.
Il est certain que le public ne connaît pas l'ANSES en tant qu'institution. Nos efforts en matière de communication portent sur la pédagogie et la transparence en direction des médias. Nous informons sur les thèmes et l'agenda des travaux que nous réalisons tout en sensibilisant au temps nécessaire pour les mener à bien. Nous nous appuyons également sur les ONG, les associations de consommateurs et les partenaires sociaux qui sont aussi des relais d'opinion. Mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour nous adresser directement au grand public. Nos travaux rencontrent néanmoins un écho croissant. Il faut bien admettre que les scandales, que nous cherchons pourtant à prévenir, contribuent grandement à notre notoriété. Certains sujets, comme les risques liés aux régimes alimentaires, ont également été largement diffusés. Dans tous les cas, notre rôle est de porter des messages de santé publique en s'appuyant sur un travail scientifique.
Notre doctrine consiste non seulement à dire ce que l'on sait sur le plan scientifique, mais aussi à mettre en évidence les sources d'incertitude. Il revient au gestionnaire du risque d'appliquer le principe de précaution. L'ANSES participe à une application intelligente du principe de précaution qui doit permettre au gestionnaire, sur la base du travail scientifique, de prendre des mesures proportionnées et éventuellement temporaires. Dans le cas du bisphénol A, les risques étaient avérés sur les animaux et suspectés sur l'homme, mais nous avons considéré que les éléments scientifiques à notre disposition étaient suffisants pour recommander la réduction de l'exposition à cette substance. Il appartient au gestionnaire du risque de prendre en compte tous les éléments que nous lui fournissons – les connaissances et les incertitudes – pour fonder la décision politique. Quant à la réglementation REACH, je suis curieux de savoir comment les incertitudes sur d'éventuels effets sanitaires seront prises en compte par les autorités européennes pour décider de mesures de restriction ou d'autorisation des substances chimiques.
Nous sommes pleinement conscients des contraintes budgétaires. Nous n'entendons pas remettre en cause le financement par les industriels des études sur les produits phytosanitaires et les biocides. En revanche, il serait pertinent de mobiliser des financements publics, à l'échelle européenne, sur quelques sujets qui font l'objet de questionnements réguliers et sur lesquels la diversité des sources et la documentation sont insuffisantes.
Dans la perspective de l'accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne, j'ai rencontré récemment mes homologues américains en me rendant sur place afin de leur exposer les dispositifs national et européen de sécurité sanitaire. Face aux accusations d'inconsistance scientifique des règles européennes, je leur ai fait valoir la solidité des travaux et des processus scientifiques sur lesquels reposent les décisions des pouvoirs publics, y compris sur des sujets de désaccord potentiel comme les OGM.
À titre d'exemple, le traitement au chlore des poulets américains pose un problème dans la mesure où il risque de masquer un manque d'hygiène dans la chaîne alimentaire. Les Européens sont en effet très attachés à la maîtrise de l'hygiène dans l'ensemble de cette chaîne alimentaire.
Malgré les controverses sur les fondements scientifiques des décisions politiques, l'Europe n'a pas à rougir de la qualité de son expertise scientifique face aux États-Unis.
Le budget de l'ANSES s'élève à 130 millions d'euros, dont un peu moins de 100 millions proviennent de subventions. Les taxes perçues au titre des dossiers déposés pour les produits phytosanitaires et vétérinaires ou les médicaments biocides complètent le financement, ainsi que les sommes allouées à certains projets de recherche.
Enfin, nous poursuivons les travaux engagés sur l'impact des lignes à haute tension en faisant des études sur les animaux, après les avoir réalisées sur l'homme.