Intervention de Cynthia Fleury

Réunion du 19 juin 2013 à 17h00
Commission des affaires européennes

Cynthia Fleury, professeur de philosophie politique, vice-présidente d'EuropaNova :

La paix a constitué l'enjeu politique de la construction européenne, et le territoire européen a fait du grand geste de la réconciliation une nouvelle dynamique historique. Avec du sens, l'élargissement aurait permis à cette logique d'aller à son terme mais il ne s'est joué que comme un simulacre de réconciliation, passant à côté de l'approfondissement.

Aujourd'hui, les citoyens européens se retrouvent au milieu du gué avec le sentiment que leur souveraineté est liquidée au niveau national – dont il constate l'insuffisance – sans que rien leur soit offert à l'échelon fédéral, qui n'est pas encore construit. Cette souveraineté est toutefois toujours perçue par les citoyens dans un cadre national. L'Europe serait peut-être mieux incarnée si le Parlement européen était élu différemment, et si le suffrage universel aux élections de l'Union était encore plus direct. L'introduction d'une plus forte dose de parlementarisme permettrait aussi à la majorité élue de désigner un gouvernement européen qui exposerait son projet pour cinq ans.

Au-delà de la question de la souveraineté, l'Europe souffre également d'une crise de la qualité de sa représentativité. Considérant que les partis présentent des troisièmes couteaux aux élections européennes, les citoyens ont le sentiment que Bruxelles n'est qu'une arrière-cour – alors que la situation est précisément inverse.

L'efficace pose aussi un problème majeur à l'Europe qui ne peut prouver sa légitimité qu'en étant au rendez-vous d'une intégration sociale opérationnelle et de la régulation de la finance dans un « pacte de réciprocité fiscale ». L'épreuve de souveraineté passe logiquement par la restitution au peuple des milliards d'euros évaporés. Peu à peu, les citoyens comprennent que les banques et les États ne se prêtent pas mutuellement dans les mêmes conditions, et ils constatent que les milliards de bénéfices des multinationales – Google ou Amazon – échappent à l'impôt. Or, si la France tient un discours fort sur le sujet, sa pratique reste faible. Sur l'évasion fiscale, sur la transparence des patrimoines, elle a renoncé à être ambitieuse. Quant à la législation relative à la séparation bancaire, elle ne concerne que 2 % des activités concernées – les directeurs de banque sont venus dans cette enceinte même expliquer qu'ils n'étaient pas concernés par la réforme. EuropaNova et le collectif Roosevelt défendent, au contraire, l'idée d'une crise clarificatrice entre les États européens afin de mettre en cohérence l'éthique proclamée et la réalité des pratiques.

Pendant que nous laissons en friche la question de l'Europe sociale, ce territoire de la socialisation et de l'intégration est occupé par d'autres, notamment par les extrêmes politiques. Bien évidemment, ceux-ci ne feront rien, mais ils cherchent ainsi à conquérir une assise démocratique. Leur mobilisation, conjuguée à l'abstentionnisme des « non extrêmes », risque de faire des prochaines élections des moments très difficiles. Aujourd'hui, tous les partis « nationalistes » français discutent quasi quotidiennement avec leurs homologues extrémistes et populistes de Hongrie, de Grèce ou d'autres États européens. Ils ont parfaitement compris la nécessité d'une action transnationale, européenne. Il nous appartient de ne pas leur abandonner ce terrain décisif.

L'Europe de l'injonction et l'Europe institutionnelle ne sont plus à l'ordre du jour. Le temps d'une Europe de ce que Pierre Rosanvallon appelle la « démocratie continue » est venu. L'Europe doit faire l'objet d'une co-création avec les citoyens grâce aux outils de la régulation citoyenne que constituent les think tanks – collectif Roosevelt, Économistes atterrés, etc. Aujourd'hui, le diagnostic est établi, et il est partagé. Il manque seulement le courage et l'ambition pour « assumer » une crise forte au profit de la défense de normes élevées en matière sociale et environnementale. Éthiquement, ce chemin est particulièrement défendable ; géopolitiquement, c'est le seul possible !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion