Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du 2 juillet 2013 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2012 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, une fois encore, nous nous préparons à adopter à la sauvette la loi de règlement de l'année précédente. Je voudrais, mes chers collègues, vous convaincre que c'est là une mauvaise habitude avec laquelle il est grand temps de rompre.

Nous souhaitons tous un État plus efficace. J'ai la conviction qu'un travail approfondi à l'occasion de la loi de règlement est une condition essentielle pour progresser vers cet objectif. Aussi, dans cette motion de procédure, il ne sera question ni de critiquer ni de soutenir le Gouvernement, mais simplement de proposer des pistes pour améliorer collectivement la qualité et l'utilité de nos travaux.

Seule notre soumission à l'agitation permanente et à la routine nous empêche de percevoir une série d'évidences qui devraient nous amener à réfléchir. Chaque année, il nous faut entre trente et quarante jours pour adopter, à quelques détails près, le budget du Gouvernement. En effet, sous la Ve République, le rôle du débat budgétaire n'est pas d'élaborer le budget mais d'éclairer l'opinion sur les choix gouvernementaux.

La majorité soutient et explique. L'opposition s'oppose et critique. En outre, le débat ne porte pas sur la réalité mais sur un projet, c'est-à-dire sur des intentions que la majorité s'empresse de trouver excellentes, tandis que l'opposition en dénonce la naïveté ou la duplicité.

Il serait, bien sûr, inopportun de remettre en cause l'intérêt de ce moment de la vie parlementaire : les affrontements, certes un peu formels, qu'il occasionne permettent néanmoins une réelle pédagogie. Cela ne doit pas nous empêcher de constater que l'exercice comporte de longs tunnels qui ne paraissent pas vraiment indispensables. Je pense en particulier à la lourdeur des commissions élargies qui, de l'avis général, ne produisent pas grand-chose. Je crois même qu'un débat de loi de finances initiale légèrement raccourci ne signifierait pas une baisse de qualité, bien au contraire.

Ainsi, en dépit de ses imperfections, le débat budgétaire reste un acte privilégié de la vie parlementaire qui mobilise, pendant plus d'un mois, Gouvernement et Parlement avec une forte visibilité médiatique. Quel contraste saisissant avec la loi de règlement ! Cette loi, assez éloignée de la loi de finances initiale, est généralement adoptée en à peine deux heures, alors qu'elle reflète pourtant la réalité du budget exécuté. Et la discussion, qui reste limitée à quelques spécialistes de la commission des finances, ne suscite qu'un intérêt très modéré dans la presse. Au même moment, l'attention se porte en effet sur le débat d'orientation des finances publiques, prélude de la loi de finances.

Je vous propose d'examiner rapidement trois questions. Pourquoi est-il important de consacrer plus de temps à la loi de règlement ? Y a-t-il des motifs sérieux qui s'y opposent ? Enfin, de quelle manière devons-nous engager ce travail ?

La loi de finances initiale affiche des objectifs ; elle permet à la majorité d'expliquer et de soutenir son projet, tandis que l'opposition défend un contreprojet. Dans toutes les interventions, il s'agit toujours, au final, d'un acte politique de soutien ou d'opposition plus ou moins nuancé.

La loi de règlement se prête, elle, à un questionnement très différent. Il ne s'agit plus d'être pour ou contre, mais de constater – et, à partir de là, de comprendre – pourquoi, dans tel ou tel domaine, les dépenses ont été supérieures ou inférieures aux prévisions, ou bien d'évaluer la capacité à atteindre les objectifs fixés. Aussi les débats n'ont-ils pas vocation à aboutir à un jugement sur l'action du Gouvernement et des ministres. Ils doivent plutôt conduire à s'interroger sur le fonctionnement même de l'État et sur l'efficacité de la dépense publique.

Telle était, d'ailleurs, l'ambition des promoteurs de la LOLF : permettre aux parlementaires de mieux évaluer la dépense publique afin d'engager la réforme de l'État en s'appuyant sur des analyses étayées. Force est de constater que, dix ans plus tard, nous n'avons nullement progressé dans cette direction. Nous en sommes toujours au débat assez caricatural et stérile entre partisans de la dépense publique et partisans des coupes budgétaires. Nous attendons vainement un débat plus opérationnel, qui n'exclurait nullement les clivages politiques, mais reposerait au moins sur une analyse documentée de l'efficacité de la dépense.

Compte tenu de l'enjeu politique, l'exercice n'est pas réalisable en loi de finances initiale. Il est, au contraire, absolument logique en loi de règlement. Sans ce travail, la réforme de l'État peine à s'affirmer comme une priorité, handicapée par le manque de soutien au sein même de la majorité parlementaire. Ce fut indéniablement un des points faibles de la RGPP, que Christian Eckert et moi-même avions pointé du doigt dans un rapport rédigé dans le cadre du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques – le CEC. Ce diagnostic fut confirmé quelques mois plus tard par les inspecteurs généraux missionnés par le nouveau gouvernement.

Aujourd'hui encore, l'absence d'implication réelle du Parlement explique, au moins partiellement, la difficulté à donner un contenu opérationnel à cette modernisation de l'action publique – la MAP – qui était censée corriger les défauts de la RGPP.

J'ajoute, que chaque année, ce travail nous est expressément demandé, avec de plus en plus d'insistance, par la Cour des Comptes et son premier président, M. Didier Migaud.

Mais il y a plus grave. Devant notre inaction, n'est-il pas humiliant pour notre assemblée de voir désormais régulièrement cette même Cour des comptes se saisir de sujets qui devraient être, d'abord, les nôtres ? Ainsi en est-il du récent rapport sur l'éducation nationale ou d'un autre, plus ancien, sur les prestations familiales.

Avec un peu de recul, n'est-il pas déconcertant de constater qu'en dépit d'un accord unanime, à gauche comme à droite, chez les nouveaux parlementaires comme chez les anciens, il ne se passe rien ?

Il nous faut alors examiner les raisons qui s'opposent à la montée en puissance d'un travail sérieux sur la loi de règlement.

On ne trouve bien évidemment aucune objection de fond : est-ce vraiment une surprise ? Ce sont plutôt des difficultés tenant au calendrier ou à un manque de moyens qui sont toujours invoquées.

Que valent ces raisons ? En fait, pas grand-chose. Le calendrier et les moyens ne sont que des prétextes qui reflètent simplement le choix, non assumé parce qu'inaffichable, de privilégier notre fonction législative au détriment de celle du contrôle, qui demeure extrêmement marginalisée.

Qui ne sent pourtant la nécessité d'un profond rééquilibrage ? Les digues semblent avoir craqué avec l'instauration de la session unique. Rappelons cependant que, dans l'esprit de Philippe Séguin, son objectif n'était nullement de multiplier les lois mais de mieux contrôler tout au long de l'année.

Depuis lors, la prolifération législative est une réalité qui entraîne la saturation du calendrier et la banalisation des sessions extraordinaires. Mais n'est-il pas temps de nous interroger sur l'efficacité de cette surchauffe ? Toujours plus de lois, est-ce nécessairement un mieux pour notre pays et nos concitoyens ? Au contraire, ne doit-on pas se demander si cette profusion n'entraîne pas une bureaucratisation désespérante ? Ne fait-elle pas le jeu des corporatismes et des lobbies ? Enfin, n'est-elle pas à mettre en rapport avec la montée des déficits improductifs ?

Pour ma part, je crois que les Français ont très bien compris ce lien paradoxal entre suractivité législative et impuissance publique. Nos lois deviennent trop souvent de simples « plans com » destinés à alimenter les chaînes d'information en continu. Ne pourrions-nous pas décider de passer à autre chose ?

On objectera aussi que le travail de contrôle est austère et ne suscite qu'un faible impact médiatique. C'est faux : les travaux de la Cour des comptes déjà évoqués sur la gestion des enseignants et des prestations familiales ont bénéficié dans les faits d'un écho beaucoup plus puissant que bien des rapports parlementaires. Et que dire du rapport sur la gestion de Sciences Po !

On objectera enfin que le travail de contrôle constitue une gêne pour l'action du Gouvernement. C'est exactement le contraire : la RGPP a été justement fragilisée par les craintes d'une partie de l'ancienne opposition.

De même, faute d'un engagement du Parlement, la MAP se dilue aujourd'hui dans des dosages et des compromis qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.

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