Intervention de Gaby Charroux

Séance en hémicycle du 2 juillet 2013 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2012 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux :

M. le président de la commission des finances a fait valoir la semaine dernière que le Gouvernement ne tiendrait pas les objectifs de réduction du déficit public qu'il s'était fixés.

Cependant, le remède préconisé par l'UMP est d'appeler le Gouvernement à engager une politique d'austérité plus rude encore, de passer en quelque sorte – nous venons d'ailleurs de l'entendre – d'une logique de rigueur à une logique d'austérité drastique, qui serait pourtant à nos yeux désastreuse pour notre économie.

Nul ne peut croire en effet que l'aggravation des mesures d'austérité réclamée par l'opposition pourrait permettre un redressement économique.

De fait, la politique conduite ces dix dernières années s'est soldée par une aggravation sans précédent de la situation de nos comptes publics, et cela bien avant la crise de 2008.

D'ailleurs, ce fait a été parfaitement souligné par la Cour des comptes, qui faisait valoir que les deux tiers du déficit structurel constaté à l'issue du quinquennat précédent procédaient non pas de la crise mais de l'accumulation des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux ménages les plus riches.

Le rapport établi par notre collègue Gilles Carrez en 2010 lorsqu'il était rapporteur général du budget était alors sans ambiguïté. Il estimait le coût des cadeaux fiscaux consentis au cours de la décennie précédente à 100 milliards d'euros. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour rappeler ces chiffres que nous ne soutenons pas la politique de réduction actuellement imposée par Bruxelles à marche forcée et qu'il faudrait appliquer avec un zèle redoublé.

Un constat s'impose pourtant : le déficit attendu cette année aurait été probablement identique avec une politique budgétaire moins restrictive et moins destructrice d'activités et donc d'emplois.

L'autre enseignement qu'il faut tirer d'urgence est que l'austérité budgétaire ne permet pas de réduire réellement le déficit public et l'endettement, car elle contribue à affaiblir l'activité économique et à dégrader le pouvoir d'achat des ménages, qui a connu cette année un recul historique.

Jusqu'à l'an dernier, la bonne tenue de la consommation des Français avait soutenu l'activité en zone euro et évité qu'elle ne s'écroule. C'est aujourd'hui la France qui plombe la zone euro.

Ce constat nous invite à vous répéter les motifs de notre désaccord avec la politique économique menée actuellement.

Nous ne nions pas la nécessité de redresser la barre, mais il faut mettre un coup d'arrêt à la stratégie d'assèchement des finances publiques qui a été suivie depuis dix ans au bénéfice des plus aisés et des grandes entreprises.

Vous avez entamé un redressement fiscal utile et proposé l'adoption d'une série de mesures – que nous approuvons totalement – visant à taxer le capital et à supprimer ou plafonner des dispositifs fiscaux adoptés par la précédente majorité, aussi dispendieux qu'inefficaces.

De la même façon, nous avons pleinement approuvé le projet de loi relatif à la fraude fiscale et nous porterons dans les prochains mois des propositions de lutte contre l'évasion fiscale internationale.

C'est un enjeu majeur : la fraude et l'évasion fiscale représentent un manque à gagner de près de 1 000 milliards d'euros en Europe et de 60 à 80 milliards d'euros en France.

Je rappelle que l'égalité devant l'impôt est un pilier de notre pacte républicain. À ce titre, nous soutiendrons toutes les mesures en faveur d'une plus grande justice fiscale.

En revanche, nous ne pouvons souscrire à la prorogation des mesures d'austérité dans le projet de loi de programmation des finances publiques au nom de la convergence des politiques budgétaires européennes et de la réduction des déficits. Le cap qui a été fixé conduit notre pays sur une voie dangereuse. Il repose selon nous sur une erreur de diagnostic sur laquelle nous tentons d'alerter l'opinion depuis des mois en nous appuyant sur les analyses de très nombreux économistes, sinon la majorité d'entre eux.

Pour le dire en une formule ramassée, la crise que nous connaissons est une crise non pas de la dépense publique, mais du capitalisme dérégulé et de l'assèchement des ressources publiques organisé depuis trente ans.

Comme le rappelait Cynthia Fleury dans une tribune il y a quelques mois : « En trente ans, ce sont des sommes considérables qui sont parties vers les marchés financiers, au lieu d'aller aux salariés, donc aussi à l'État via la TVA. L'Europe risque d'éclater […] précisément parce qu'elle s'épuise à trouver quelques centaines de milliards d'euros pour sauver la Grèce, alors que la fortune cumulée des 0,2 % les plus riches de la planète est estimée à 39 000 milliards d'euros. »

« Être gouverné par l'argent organisé est aussi dangereux que par le crime organisé », affirmait Roosevelt.

Comment à gauche, n'entendrions-nous pas ce message ?

M. le Président de la République a jugé à son arrivée à l'Élysée que la défense du crédit de la France ne lui laissait pas d'autres choix que la rigueur. Soit ! Mais si notre pays finance aujourd'hui sa dette à moindre coût, la relance européenne qui devait compenser l'effet récessif de cette politique de rigueur n'est pas au rendez-vous et la politique monétaire menée par la Banque centrale européenne n'a pas eu non plus de résultats tangibles sur le plan de l'activité. Nous assistons, bien au contraire, au gonflement d'une nouvelle bulle financière alimentée par une masse de liquidités qui ne trouve pas à s'investir dans l'économie réelle faute de perspectives, faute aussi de volonté du secteur financier.

On peut, du reste, s'interroger sur le rôle de la Banque centrale européenne qui peut prêter sans limites aux organismes publics de crédit et aux organisations internationales. Elle pourrait aujourd'hui prêter à 0,01 % à la Banque européenne d'investissement, à la Caisse des dépôts ou à telle ou telle banque publique nationale, qui, elles, peuvent prêter à 0,02 % aux États, qui s'endettent pour rembourser leurs vieilles dettes. Des instruments existent pour ne pas être aussi dépendants des marchés que nous le sommes aujourd'hui. La colère et la protestation qui enflent dans tous les peuples de l'Union européenne contre l'austérité et ses conséquences délétères sur l'emploi et le pouvoir d'achat, le rationnement du crédit pour les PME, le sabordage programmé des services publics appellent des réponses fortes si nous ne voulons pas lâcher la bride aux pires illusions.

Nous avons formulé et continuerons de formuler des propositions comme, entre autres, le remplacement du fameux crédit d'impôt compétitivité, qui bénéficie à toutes les entreprises sans distinction, par des mesures de modulation de l'impôt sur les sociétés plus favorables aux PME et à l'emploi ; l'augmentation des salaires et des pensions, qui sont des conditions sine qua non du soutien à l'activité ; la mise en oeuvre d'une taxe sur la réimportation des productions délocalisées ; la création d'un pôle financier public ; la relance de l'investissement public et le financement de la transition écologique, par le jeu de financements de la BCE.

Nous ne retrouverons pas la croissance ni, par conséquent, ne réduirons le déficit public par la multiplication de mesures d'ajustements comptables, sous la surveillance étroite des contrôleurs de Bruxelles. Nous savons tous que l'économie n'est pas soluble dans la comptabilité. Elle a d'autres lois et d'autres enjeux. Nous ne pouvons demeurer dans une situation où le chômage augmente de manière effarante, où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté s'accroît de 80 000 par mois.

Le fait que tous les indicateurs économiques soient dans le rouge et le seront probablement encore a l'issue de l'exercice budgétaire montre qu'il est urgent d'infléchir le cap. La France joue en Europe un rôle charnière et nous ne sommes pas condamnés à nous plier à des exigences absurdes qui plongent notre économie dans la récession et plombent nos finances publiques. Nous ne pouvons continuer dans la course au moins-disant salarial et fiscal dans le seul but de satisfaire la cupidité d'investisseurs privés sans scrupule.

Partant de ce constat, mais confiants, oui confiants, dans la capacité de la gauche à se réunir et se ressaisir, nous nous abstiendrons sur ce projet de loi de règlement du budget 2012.

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