Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 2 juillet 2013 à 21h30
Débat d'orientation des finances publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Le débat d'orientation des finances publiques revêt cette année une importance particulière. Comme je l'indiquais déjà lors de l'examen du projet de loi de règlement, le paradigme économique qui dominait il y a moins d'un an s'est assoupli.

Les effets récessifs de la crise, dus en grande partie à une réduction brutale des déficits, ont montré combien il était important de consolider les budgets nationaux à un rythme soutenu certes, mais pas à marche forcée. Dans le cas contraire, nous risquons d'aggraver le déficit tout en augmentant les prélèvements obligatoires. Il est à ce titre heureux, et je tiens à vous en féliciter, messieurs les ministres, que la France ait obtenu un délai supplémentaire de deux ans pour assainir ses comptes publics.

Nous sommes arrivés aujourd'hui à la limite de ce qui peut être réalisé en termes d'impôts. D'une part, le rendement de l'impôt étant directement corrélé à la conjoncture, nous courons après un impôt dont nous tarissons l'assiette, ce qui revient à assécher une source et s'étonner que la rivière ne coule plus. D'autre part, nous ne pouvons continuellement demander à nos concitoyens de se serrer la ceinture, car nombreux sont ceux, particuliers ou entreprises, qui en sont déjà au dernier cran.

Dans ces conditions, que faire ? Poursuivre dans la philosophie du dernier projet de loi de finances pour 2013 ? Ce serait une erreur, mais notre marge de manoeuvre est étroite. Selon la Cour des comptes, il serait possible d'atteindre l'objectif de stabilisation de la dépense en 2013. Nous en félicitons le Gouvernement mais il semble désormais quasiment impossible, pour 2013, de diminuer encore davantage les dépenses, sauf à créer des économies artificielles ou à procéder à des coupes franches sans aucune rationalité économique. Quant aux recettes, nous venons de le dire, il faut éviter de recourir à l'impôt. Il ne reste alors plus que le déficit.

C'est la voix qu'emprunte le Gouvernement. Elle est compréhensible mais dangereuse. Il ne faudrait pas se réveiller le 1er janvier 2014 avec des étourdissements : plus le déficit sera élevé, plus l'effet base pèsera en 2014, et plus il nous sera difficile de contenir le déficit l'année prochaine.

Cette stratégie s'explique par l'atonie de la conjoncture. Nous pouvons l'accepter en 2013 mais cette approche ne saurait être admise en 2014. Ce serait une fuite en avant dangereuse pour notre pays. Le délai supplémentaire accordé par l'Union européenne ne doit pas nous servir d'excuse pour relâcher nos efforts de consolidation budgétaire. Fort heureusement, telle n'est pas l'intention du Gouvernement.

S'agissant tout d'abord de l'effort en recettes, rappelons que celui-ci n'est pas encore entièrement documenté. Des doutes subsistent quant à l'engagement de ne pas augmenter les impôts en 2014 pour financer le budget de l'État mais quelques premières pistes se dégagent, comme la lutte contre la fraude fiscale ou le rabot sur certaines niches fiscales.

Permettez-moi d'insister ici sur la défiscalisation outremer. Lors de sa visite en Martinique, le Premier ministre a annoncé le maintien de la défiscalisation pour les petites et moyennes entreprises. Nous nous en félicitons. Il démontre ainsi le refus de la gauche de sacrifier les outremers en se pliant aux injonctions de ceux qui, depuis des années, tentent de jeter le discrédit sur ce dispositif en faveur de ces territoires. Mais le Gouvernement, il le fallait, répond à la légitime exigence de transparence et d'encadrement.

Nous restons néanmoins vigilants quant à la définition qui sera retenue des moyennes entreprises. On ne sait pas non plus si le crédit d'impôt de substitution sera obligatoire ou optionnel en matière de logement social. Surtout, on ignore l'adaptation du crédit d'impôt dans les collectivités à autonomie fiscale comme la mienne. En l'état, nous comprenons donc, messieurs les ministres, que la défiscalisation dans les pays et territoires d'outre mer sera maintenue aux conditions actuelles. Peut-être pourriez-vous nous le confirmer tout à l'heure ?

Enfin, il est indispensable que le plafond des avantages fiscaux spécifiques à l'outremer soit détaché du plafond global. Ainsi, nombre de questions devront être réglées sur ce sujet avant le projet de loi de finances pour 2014. Toute nouvelle mesure devra avoir pour principal objectif de ne pas déstabiliser les économies ultramarines.

Voici donc pour les recettes.

Du côté des dépenses, le Gouvernement semble engager pour 2014 un effort sans précédent de réduction de la dépense publique. Une baisse de 1,5 milliard d'euros des dépenses de l'État, hors charge de la dette et pensions, impliquera, au vu de l'augmentation tendancielle, une diminution des dépenses de 14 milliards d'euros.

L'ensemble des acteurs seront mis à contribution, en particulier ceux qui ont le moins participé à l'effort de redressement ces dernières années. C'est le cas des collectivités territoriales, dont les dépenses ont fortement augmenté dans le passé. Certaines collectivités n'ont pas eu d'autres choix en raison des conséquences sociales de la crise. Je pense bien sûr aux départements ultramarins.

Il est en revanche indispensable que d'autres collectivités participent aux efforts d'assainissement des dépenses publiques. Dans le cas contraire, les efforts appliqués par l'État pour réduire le déficit de l'ensemble des administrations risqueraient d'être vains. Les réductions de dotations aux collectivités ne doivent pas être uniformes mais adaptées aux contraintes de chaque échelon de compétence.

Remarquons par ailleurs que les principales mesures d'économies sur les crédits des missions du budget général ne sont pas issues de la modernisation de l'action publique. Or, on ne peut pas attendre que celle-ci produise ses effets en 2015 : c'est dès 2014 qu'elle doit se traduire par de premières économies. Les radicaux de gauche et l'ensemble du groupe RRDP nourrissent quelques inquiétudes quant au rythme pris par la mise en oeuvre de la MAP.

On en parle beaucoup, on en espère énormément mais concrètement, on en voit assez peu les effets. Les rapports d'évaluation sont publiés au compte-gouttes alors que l'on se doute bien qu'elles ont lieu en parallèle – tout du moins l'espère-t-on. Quant aux programmes ministériels de modernisation et de simplification, il ne semble pas que les administrations centrales mettent beaucoup d'ardeur à engager de véritables réformes organisationnelles.

Or, cette réorganisation est indispensable à plusieurs égards. Elle doit permettre de compenser les créations de poste dans les domaines prioritaires. Elle doit contribuer à réduire la dépense de l'État et anticiper l'évolution de sa masse salariale. Plutôt que de réformer de façon abrupte lorsque la situation devient insoutenable, autant réformer graduellement la gestion des ressources humaines. Enfin et surtout, cette réorganisation des structures de l'État est cruciale pour offrir de meilleurs services à nos concitoyens. On nous promet que la MAP sera mise en oeuvre avec les besoins des utilisateurs comme boussole. Nous l'espérons, mais encore faut-il que cette annonce soit suivie d'effets. Au moment où d'importants efforts financiers sont demandés aux Français, assurons-nous que l'administration publique fonctionne au mieux, qu'elle soit tournée vers leurs besoins et leurs préoccupations.

Certes, la réorganisation des services de l'État n'est pas aisée dans un tel contexte de contraintes budgétaires. Toutes les réformes d'envergure se réalisent d'autant mieux qu'elles s'accompagnent de nouvelles marges de manoeuvre financières. C'est pourquoi elles doivent se faire aussi, et peut-être surtout, là où l'on injecte de nouveaux moyens financiers, c'est-à-dire dans les domaines où les effectifs et les budgets sont en hausse. Je pense notamment à l'éducation, où l'augmentation du nombre des enseignants doit être accompagnée d'une réforme structurelle. Sinon, ces augmentations, que nous soutenons, seront suivies de bien peu d'effets.

Il en est de même pour Pôle emploi. Les effectifs seront augmentés de 2 000 personnes. Il est certes crucial qu'au moment où le chômage augmente, les personnes en recherche d'emploi puissent être accompagnées efficacement, mais en l'état actuel des choses, l'organisation de Pôle emploi laisse peu entrevoir d'effets positifs sur l'accompagnement des chômeurs quelles que soient les augmentations de personnel. Bref, vous l'aurez compris, nous appelons le Gouvernement à accélérer les réformes organisationnelles au sein de l'administration.

Alors que les priorités de la majorité étaient, en 2012 et 2013, principalement orientées vers l'éducation, la sécurité et la justice, le Gouvernement prévoit de les élargir aux missions liées à l'emploi, à la solidarité et au logement. Il le fallait !

S'agissant de l'emploi, j'en ai déjà dit quelques mots à propos de Pôle Emploi. Un meilleur accompagnement au sein de l'organisme est indispensable, et il faut intensifier la promotion des emplois d'avenir et des contrats de génération. La politique gouvernementale peine à être déployée, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec la question organisationnelle que je viens de soulever.

Le logement doit évidemment être traité en toute priorité, car l'enjeu dépasse bien largement celui de la seule qualité de vie. Il est prouvé que l'augmentation du coût du logement, dû à une pénurie du côté de l'offre, fut un réel facteur d'augmentation du coût du travail en France. Plus le coût du logement est élevé, plus les salariés poussent à une hausse de leurs salaires. Investir dans le logement, c'est agir pour la compétitivité de notre pays.

Il est toutefois étonnant que parmi ces six priorités ne soit pas posée la question du développement économique. Je ne parle pas des aides aux entreprises, que nous souhaitons d'ailleurs réformer, mais plutôt des grands chantiers qui auraient des effets sur l'ensemble de l'économie française. Nous avons besoin d'un grand défi français. La France, qu'on le regrette ou non, s'est bâtie ainsi. Elle doit être portée par un projet commun, une ambition partagée. Et ce n'est pas la réduction du déficit, aussi impressionnante soit-elle, qui pourra porter cette aspiration.

Nous sommes actuellement beaucoup trop tournés vers les moyens et trop peu vers les objectifs. Notre regard est fixé sur des chiffres qui sont révisés tous les mois. Nous baignons dans les détails technocratiques qui ne sont pas sans incidence sur la vie démocratique de notre pays. Nous devons relever le nez.

Une politique d'investissement sur l'avenir devrait y contribuer. À ce propos, si l'argent du programme des investissements d'avenir doit être réalloué, ce n'est certainement pas pour alimenter le budget général de l'État. Cet argent doit servir à réaliser des investissements exceptionnels, en particulier à l'échelle nationale. Pas moins de 70 % des investissements publics en France sont réalisés par les collectivités territoriales. Ces investissements, qui ne peuvent avoir qu'une vision régionale, doivent compléter des projets structurants portés par une ambition nationale, des projets dont l'utilité économique est pleinement prouvée. Si le traitement social de la crise est indispensable, il ne saurait être exclusif. L'investissement doit être une priorité, une priorité au service de l'emploi.

Les domaines susceptibles d'être concernés ne manquent pas, par exemple le domaine maritime. Si peu est fait, alors que notre pays bénéficie d'atouts incroyables ! Le potentiel maritime est immense, que ce soit en termes d'agroalimentaire, de production d'énergie, de transport ou de biotechnologies mais il n'est pas suffisamment exploité. Voilà un des grands chantiers, un des grands défis auquel la France pourrait s'atteler.

Le manque d'espoir alimente dramatiquement le populisme. Nous devons y répondre mais un projet de loi de finances ne le peut que s'il dresse des priorités et s'attache à bâtir l'avenir. Ce sera bien là l'objectif principal du prochain budget. Il est heureux que le Gouvernement semble partager cet objectif. Les députés du groupe RRDP y seront attentifs.

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