Intervention de Gérard Araud

Réunion du 12 juin 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies :

C'est un honneur pour moi d'être reçu par votre commission.

Je commencerai mon propos par le Mali. La France a réussi la séquence de l'intervention militaire et de la mise en place, qui sera effective le 1er juillet prochain, d'une force de maintien de la paix qui transférera aux casques bleus l'autorité actuellement exercée par la force africaine.

Cette force de maintien de la paix, comme toutes les forces de maintien de la paix, sera composée de soldats aux profils variés et sera plus ou moins adaptée à sa mission. Mais nous sommes mal placés pour le regretter car si ces forces sont ce qu'elles sont, c'est que les pays occidentaux ne veulent plus engager de soldats sous casques bleus, qui proviennent désormais essentiellement du sous-continent indien ou d'Afrique.

Les capitales occidentales commettent souvent l'erreur de considérer qu'une force de maintien de la paix doit être une force de combat. Or ce n'est pas une force de combat mais une force de stabilisation. En faisant voter la création d'une force de maintien de la paix alors qu'il n'y pas de paix à maintenir – aucun accord de paix n'a été signé au Mali – la France a innové. Pour la première fois dans l'histoire des Nations Unies, une force de maintien de la paix est déployée sans qu'un accord de paix formel ait été signé entre les parties, les forces des Nations Unies étant supposées s'interposer entre ces parties.

Il n'a pas été facile pour la France d'obtenir gain de cause. Le Secrétariat s'est inquiété d'engager les forces de maintien de la paix dans une situation proche de celle de la Somalie ou de l'Afghanistan. Mais le succès incontesté des armées françaises et l'absence d'incidents majeurs sur le terrain l'a rassuré. Ne nous faisons pas d'illusions : si une campagne terroriste majeure avait eu lieu, il n'y aurait pas eu au Mali de forces de maintien de la paix car celles-ci ne sont jamais déployées dans un environnement de combat.

Les effectifs engagés par les Nations Unies sont importants. Si, selon nos militaires, 6 000 hommes auraient suffi, 12 000 soldats devraient se trouver sur place à la fin de l'année, dont 5 à 6 000 dès le 1er juillet. Cette force est composée des contingents africains francophones, qui sont déjà déployés sur zone, auxquels s'ajouteront peu à peu des Rwandais, des Bangladeshis, des Chinois et bien d'autres.

Outre la stabilisation du pays, l'opération engagée au Mali a pour but de soutenir un processus politique en vue de l'organisation d'élections dans les plus brefs délais. Nous parlons beaucoup de la situation sécuritaire au Mali, mais la situation politique est encore plus délicate. Ceux d'entre vous qui vous êtes rendus à Bamako et qui connaissez les Maliens savent qu'ils veulent avant tout « abaisser les Touaregs », pour venger l'humiliation subie lors de l'effondrement du pays et qu'ils attribuent à leur trahison. Le secteur de Kidal est contrôlé par le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), mais les Maliens entendent restaurer leur autorité. Nous devons obtenir que cela se fasse de manière pacifique : c'est l'enjeu des négociations conduites à Ouagadougou en présence d'un certain nombre de facilitateurs dont le Président Blaise Compaoré, le président Pierre Buyoya, ancien président du Burundi, pour l'Union africaine, et le Néerlandais Bert Koenders, représentant spécial nommé par le Secrétaire général des Nations Unies.

L'organisation des élections est l'objet de discussions entre la France et les Nations Unies. Considérant l'imperfection des listes électorales – les jeunes ne sont pas inscrits – et le grand nombre de personnes déplacées, les Nations Unies souhaiteraient retarder les élections de quelques semaines, voire de quelques mois. Nous considérons en revanche que l'un des problèmes centraux du Mali tient à l'absence d'une autorité légitime, ce qui ouvre la voie à des surenchères nationalistes à Bamako et permet au Capitaine Sanogo, responsable du putsch, de continuer d'user de son influence.

Nous nous plaçons donc dans la perspective d'élections présidentielles les 28 juillet et 11 août. Mais ces élections ne sont concevables que si elles couvrent aussi le secteur de Kidal, non par rapport au nombre d'électeurs qu'il représente – les Touaregs ne constituant que 3 % de la population du Mali – mais pour que les élections soient parfaitement légitimes, faute de quoi elles pourraient être le début d'une nouvelle crise entre les Touaregs et le pouvoir central de Bamako – opposition au demeurant quasiment ininterrompue depuis la fin de la colonisation française.

Les problèmes sont naturellement devant nous. Plusieurs personnes « à peau claire » – selon l'expression utilisée à Bamako – ont disparu et les autres n'osent pas revenir à Tombouctou et à Gao. On ressent beaucoup de tension et une réelle volonté de revanche. L'armée malienne est composée d'éléments disparates qui agissent sans aucune chaîne de commandement. Quant au Capitaine Sanogo, les Africains nous promettent depuis plusieurs mois déjà de l'exfiltrer en le nommant ambassadeur quelque part…

Le succès des forces françaises pousse les Africains à nous demander d'intervenir dans d'autres pays d'Afrique. Il importe pour nous de revenir à nos fondamentaux, à savoir donner aux Africains les moyens de régler leurs problèmes par eux-mêmes. La proposition du Président de la République de consacrer un sommet franco-africain, qui aura lieu en décembre, à la question de la paix et de la sécurité en Afrique est une bonne idée car c'est un sujet qui traverse tout le continent, du Soudan au Sahel en passant par la Libye.

Le contrôle du territoire libyen est une question délicate car nos partenaires britanniques et américains ont des préoccupations différentes des nôtres. Ils ne voient dans la Libye que le territoire utile et ne s'intéressent qu'à Benghazi et aux champs pétroliers, tandis que nous, du fait de notre histoire et de nos intérêts, nous intéressons plutôt aux désordres survenus dans le sud libyen et leurs conséquences pour la stabilité de pays amis comme le Niger et le Mali.

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