Intervention de Gérard Araud

Réunion du 12 juin 2013 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations Unies :

Les critiques à l'encontre des forces de maintien de la paix présentes en République démocratique du Congo sont à la fois justes et injustes. Tout d'abord, ces forces n'ont pas pour mandat de prendre la place des FARDC (forces armées de la République démocratie du Congo), mais de les soutenir. Sauf que celles-ci sont faibles et mal encadrées, qu'elles commettent des exactions au lieu de défendre la population : lorsque le M23 a attaqué, les FARDC ont fui en s'en prenant aux civils, notamment aux femmes,. Quoi qu'il en soit, il n'appartient pas aux forces du maintien de la paix de défendre le territoire congolais. D'ailleurs, que peuvent faire 20 000 hommes sur un territoire, les Kivus, dont la superficie avoisine les 600 000 km2, dépourvu de routes et de couverture téléphonique cellulaire ? J'ajoute que les pays n'envoient pas leurs soldats dans les forces de maintien de la paix pour qu'ils se fassent tuer, mais pour mettre en oeuvre un accord de paix.

Enfin, je le répète, les occidentaux n'ont pas le droit de critiquer les pays qui envoient des forces de maintien de la paix car eux-mêmes n'en envoient pas. La France est le deuxième contributeur aux opérations de maintien de la paix parmi les cinq membres permanents et le 25ème de tous les pays contributeurs, mais sans notre soutien au Liban nous serions à la cinquantième place. On ne trouve chez les casques bleus quasiment aucun soldat allemand, britannique ou américain, et très peu de français et d'italiens, les cinq premiers contributeurs étant le Nigeria, l'Ethiopie, le Bengladesh, le Pakistan et l'Inde.

Les forces des Nations Unies ne sont pourvues ni de chaîne de commandement ni d'état-major. Elles ne disposent que d'une centaine d'officiers pour 120 000 hommes, ce qui représente un rapport de un à mille – il est de un à quatre pour les troupes de l'OTAN – et n'ont pas d'équipements lourds.

J'en reviens au Mali. Dès le mois de février 2012, avant même le début de la crise, la France avait demandé aux Nations Unies d'élaborer un plan Sahel en vue de coordonner les interventions des agences, des fonds et des programmes pour le développement du Mali. M. Romano Prodi, qui a été nommé envoyé spécial pour le Sahel, devrait présenter ce plan au Conseil de sécurité dans les jours qui viennent.

Dans le nord du pays – je parle sous le contrôle de M. Lellouche et de M. Loncle – le MNLA, se sentant en position de faiblesse, est entré dans la négociation. Il a accepté le principe du retour de l'autorité de l'État malien et concède à déposer les armes, sous la protection des Nations Unies. Cette décision va dans la bonne direction. Mais les Maliens, qui entendent montrer qu'il s'agit de leur victoire, se sont avancés, contre notre volonté, jusqu'à Anefif, à 200 km de Kidal. Nous espérons qu'ils n'iront pas plus loin, car cela entraînerait une rupture de la négociation.

La raison pour laquelle il est nécessaire de laisser les Nations Unies en première ligne, c'est que nos amis africains sont très divisés. D'un côté, les Sénégalais, les Ivoiriens, les Nigériens, veulent briser le mouvement Touareg et mener contre eux une politique dure ; de l'autre, pour des raisons que l'on devine aisément, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Niger ont une approche très différente. S'ajoute à ces divisions la rivalité entre l'Algérie et le Maroc. Les Algériens, qui considèrent que le MNLA est lié aux services marocains, ne cessent de créer de nouveaux mouvements pour lui faire pièce. Ils ont créé le groupe Ansar Eddine qui, à la manière du monstre de Frankenstein, leur a échappé, et viennent de créer le Mouvement arabe de l'Azawad (MAA). C'est un jeu géopolitique extrêmement délicat dans lequel la France, j'en suis convaincu, n'a pas intérêt à s'engager plus avant.

En ce qui concerne la présence française au Mali, je m'en tiens à l'engagement pris par le Président de la République. Nous n'avons pas besoin de conserver un très grand nombre de soldats au Mali, car nous n'avons pas promis aux Nations Unies de nous y engager comme nous l'avons fait dans le cadre la force Licorne en Côte d'Ivoire. Nous négocions actuellement un accord aux termes duquel nous n'interviendrions qu'en dernier recours. Nous avons prouvé que nous pouvions intervenir très rapidement, et ce dans toute la région et pas seulement à Bamako. Pour l'instant, le retrait français se déroule conformément au calendrier. L'objectif de la Présidence de la République reste le même : ne conserver à la fin de l'année qu'un millier de soldats français sur le territoire malien.

Le Secrétariat des Nations Unies a pour doctrine d'assurer le maintien de la paix dans un environnement pacifié, et non d'imposer la paix aux pays engagés dans des conflits. Cette doctrine est également celle des pays du tiers monde qui n'acceptent pas qu'on leur impose la paix de l'extérieur, ce qu'ils considèrent comme une ingérence. Tous les membres du G-77 – soit 132 pays sur 193 – auxquels s'ajoutent la Russie et la Chine, sont opposés à un maintien de la paix « robuste ». Sans parler des contributeurs de troupes, qui n'ont pas envie d'envoyer leurs soldats se faire tuer. L'opinion du Secrétariat représentait d'une certaine manière celle de l'homme de la rue des pays membres, opinion à laquelle nous avons, nous Français, tordu le bras. Mais il ne serait pas juste de soupçonner M. Ban Ki-moon et le Secrétariat d'avoir fait preuve de mauvaise volonté.

Cela dit, cette vision traditionnelle du maintien de la paix est en train de s'évanouir car les Nations Unies envoient des forces dans des environnements de plus en plus dangereux et doivent s'adapter à cette nouvelle réalité.

J'en viens au programme nucléaire iranien. La Chine et la Russie ont voté toutes les résolutions prévoyant des sanctions et participent aux négociations. Elles reconnaissent que l'Iran dispose d'un programme nucléaire militaire et qu'il serait extrêmement dangereux de le laisser progresser dans cette voie. D'ailleurs le président Poutine et le Premier ministre chinois se sont l'un et l'autre rendus à Téhéran pour négocier un accord, mais ils se sont heurtés à un refus de la part des Iraniens.

En France, le discours peut varier en fonction des orientations politiques mais notre ligne de conduite ne change pas : il faut essayer d'ouvrir une négociation avec les Iraniens pour obtenir des garanties sur la nature de leur programme nucléaire. Cela fait dix ans que nous le demandons, mais la négociation n'a pas encore commencé et les Iraniens avancent imperturbablement. Nous savons que l'enrichissement d'uranium est la première phase de tout programme nucléaire. La seule justification du programme iranien est donc militaire et la question est de savoir quand les Israéliens considéreront que cette situation est devenue inacceptable. Face à cette situation, la voie diplomatique doit être privilégiée.

En ce qui concerne le Japon, la France est depuis très longtemps favorable à la candidature du G-4 – Brésil, Inde, Japon et Allemagne – au statut de membres permanents au Conseil de sécurité, et le Président de la République l'a rappelé clairement.

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