Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, débattre du non-cumul des mandats revient à traiter de la crise de la représentation politique qui mine la République depuis plusieurs années. Interdire ou limiter strictement le cumul, c'est apporter une réponse nécessaire, mais bien sûr insuffisante, pour retisser le lien de confiance entre les citoyens et leurs élus, pour réconcilier les Français avec leur démocratie et leurs représentants.
Aujourd'hui, le cumul d'un mandat parlementaire avec des responsabilités locales est une pratique courante : le non-cumul est l'exception et le cumul, la règle.
Malgré les améliorations apportées en 1985 et en 2000, la législation actuelle reste très permissive. Elle ne prévoit aucune incompatibilité entre un mandat parlementaire et l'exercice de responsabilités exécutives locales, elle n'inclut pas l'intercommunalité dans son champ d'application, elle autorise même le cumul avec deux mandats locaux si l'un concerne une commune de moins de 3 500 habitants.
Convenons-en : ce phénomène de grande ampleur, qui concerne tous les partis politiques suscite les critiques et la méfiance de nos concitoyens. C'est ainsi que, selon un récent sondage à propos du regard des Français sur leur représentation politique, sept personnes sur dix ne font pas confiance aux responsables politiques et six sur dix sont favorables à l'interdiction du cumul des mandats.
Oui, l'enjeu est bien ici de mettre fin à une exception française.
Comme l'ont souligné de nombreuses études, quelles que soient les différences entre les systèmes politiques des grandes démocraties comparables, aucune ne pratique le cumul des mandats à l'échelle qui est observée en France.
En France, près de 90 % des députés et sénateurs exercent un mandat local en même temps qu'un mandat parlementaire, tandis que dans la quasi-totalité des autres pays occidentaux la proportion ne dépasse jamais les 20 %.
Pour leur part, les députés du Front de gauche sont favorables à une stricte limitation des mandats en nombre et dans le temps, qui s'inscrit dans un ensemble de mesures fortes qu'ils préconisent pour une profonde rénovation de la vie politique dans la perspective d'une VIe République parlementaire, sociale et participative qu'ils appellent de leurs voeux.
Au-delà du débat sur l'absentéisme ou la disponibilité des parlementaires, la pratique du cumul pose aussi la question des situations de conflits d'intérêts dont le professeur Yves Mény dénonçait, il y a quinze ans déjà, les risques d'institutionnalisation.
Quoi qu'on en dise, diriger un exécutif local incite souvent à privilégier l'intérêt local par rapport à l'intérêt national. La limitation stricte des mandats doit permettre de rompre avec cette culture démocratique que le même Yves Mény qualifiait de « conception hyper-élitiste de la société, de la crainte de la compétition et de l'affrontement concurrentiel et donc d'une stratégie tendanciellement monopoliste qui fait le vide autour du cumulant ».
Le cumul des mandats fige le personnel politique en nombre et dans le temps. Les femmes, les jeunes, les ouvriers et employés, les Français issus de l'immigration sont sous-représentés au Parlement. L'interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de parlementaires est de nature à briser le cercle vicieux de l'appropriation du pouvoir. Elle encouragera le renouvellement du personnel politique et permettra aux citoyens de se sentir mieux représentés.
Mais la pratique du cumul est aussi un handicap pour l'efficacité de l'action publique et la limitation drastique des mandats des parlementaires correspond aux exigences d'une démocratie moderne.
C'est d'abord une question de principes.
L'exercice de la fonction parlementaire – représenter la nation, voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement, évaluer les politiques publiques – ne saurait se satisfaire d'un temps partiel. L'argument toujours rabâché de la nécessité d'un ancrage local pour être à l'écoute de ses concitoyens ne saurait être sérieusement retenu. Plusieurs d'entre nous dans cet hémicycle qui ne se sentent absolument pas « hors sol » pourraient en témoigner. On n'a évidemment pas besoin de cumuler pour être un député de terrain.