On ne peut donc pas séparer la réflexion sur le cumul de celle sur notre système de gouvernance. Et c'est bien là une invitation à franchir une étape et à aller beaucoup plus loin dans le sens de la décentralisation. Nous sommes décentralisateurs et nous savons que nous ne résoudrons pas correctement la question du cumul sans poser en même temps celle de la gouvernance en général, et celle du rapport entre les collectivités locales et l'État.
Oui, faute de vous demander pourquoi le cumul est si répandu dans notre pays, vous ne traitez pas la cause mais seulement l'effet car le cumul est, au fond, l'enfant naturel de la centralisation.
Je ne crois donc pas que ce soit au détour d'un projet de loi réducteur que l'on puisse régler une question en réalité beaucoup plus vaste et profonde.
Pire, on peut – on doit ! – craindre que ce projet de loi, dans un système de gouvernance inchangé, conduise demain à étendre toujours plus le champ législatif, au nom bien entendu des meilleures intentions, voire de l'intérêt général, et à multiplier les normes dont l'applicabilité sur les territoires est déjà souvent douteuse et contestée ; c'est le premier risque qui guette des élus nationaux certes sans entrave, mais aussi sans lest et sans contrepoids territorial.
Un second risque a été évoqué : il tient à la nature même de notre régime politique, car l'interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats exécutifs locaux accroîtra encore les pouvoirs du président de la République. Ces pouvoirs, déjà exceptionnels en France, je le rappelais tout à l'heure, ont encore été renforcés par la réforme de 2000, parachevée par l'inversion du calendrier électoral.
Les députés de la majorité, dorénavant élus dans la foulée du Président de la République et pour la durée de son mandat, sont rééligibles avec lui et donc, plus fortement qu'hier, dans sa dépendance.
Parmi ces députés cependant, certains sont maires, présidents de conseil général ou régional. Leur statut d'élu ne dépend pas alors de leur seul mandat parlementaire.
Face au pouvoir exécutif, ne disposent-ils pas d'une plus grande indépendance que ceux qui sont « seulement » parlementaires ?
Aussi bien, si vous tenez, malgré tout, monsieur le ministre, mes chers collègues, à légiférer sur le seul cumul, je vous invite à bien en mesurer toutes les conséquences dans un pays fragilisé et, comme nous le savons tous, difficile à gouverner. Acceptez donc au moins que l'on tempère ce projet en autorisant certains cumuls entre mandats territoriaux et nationaux.
Ce ne serait qu'un pis-aller, sans doute, mais au moins n'aggravons pas la situation dans laquelle nous sommes – avec une réforme territoriale enlisée – et qu'à la crise économique et sociale, voire sociétale, profonde qui affecte notre pays comme d'autres en Europe, n'ajoutons pas, chez nous, les prémisses d'une crise de gouvernance majeure à venir.
C'est rien moins que cela qui nous semble ici en question. Vous ne serez donc pas surpris que le groupe UDI se prononce majoritairement contre ces deux projets de loi même si, compte tenu de l'esprit qui a animé ce texte, certains de mes collègues s'abstiendront.