Intervention de Thierry Braillard

Réunion du 3 juillet 2013 à 11h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard, rapporteur :

Nos travaux nous ont permis de constater que le football européen avait subi des pertes financières colossales au cours des dernières années. Entre 2007 et 2011, le déficit cumulé des clubs de football professionnel européens est passé de 0,7 à 1,7 milliard d'euros. Cette situation a fait réagir l'Union européenne des associations de football (UEFA), qui a décidé d'instaurer une nouvelle règle, le « fair-play financier ». Cette règle est simple : elle prescrit qu'un club de football professionnel ne doit pas dépenser plus que les recettes qu'il dégage.

Depuis l'arrêt Bosman de la Cour de justice des Communautés européennes du 15 décembre 1995, la circulation des joueurs en Europe est totalement libéralisée. Il en a résulté une inflation des transferts, qui a elle-même donné lieu à une inflation des salaires. L'UEFA s'est inquiétée de cette dérive, la masse salariale de certains clubs représentant parfois plus de 70 % de leur chiffre d'affaires. Il est clair que lorsqu'un tel niveau est atteint, la société gestionnaire du club se trouve en péril.

Nous nous sommes fait expliquer ce qu'était le fair-play financier européen, ce qui nous a conduits à nous rendre à Bruxelles pour interroger la Commission européenne sur son appréhension du sujet. Nous avons pu constater qu'elle considérait le fair-play financier d'un bon oeil, mais sans se soucier davantage de la logique sportive qui l'inspirait, ce que nous avons collectivement regretté. Nous avons également entendu les instances chargées de l'application du fair-play financier européen – il y en a deux, l'une chargée de l'instruction des dossiers et l'autre chargée du jugement. J'indique que plus de 650 clubs doivent voir leurs budgets appréciés à l'aune de cette nouvelle règle de l'UEFA ; l'instance de contrôle financier des clubs peut sanctionner les clubs qui ne la respectent pas, l'échelle des sanctions allant jusqu'à l'exclusion des compétitions organisées par l'UEFA. Nous avons rencontré M. Jean-Luc Dehaene, ancien Premier ministre belge, aujourd'hui président de la chambre d'instruction de l'instance de contrôle financier des clubs. Il nous a fait part de la détermination de l'instance européenne du football à mettre en oeuvre le fair-play financier ; aucun cadeau ne sera fait.

Nous avons ensuite voulu savoir dans quelle situation se trouvaient les clubs de football professionnel français au regard de cette nouvelle règle de l'UEFA. Nous nous sommes rendus compte qu'à l'instar de ce qui se passait au niveau européen, le football français avait, lui aussi, connu quelques dérives. Elles ont été moindres que dans d'autres pays, grâce au contrôle rigoureux exercé par la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG). Il n'empêche que certains clubs se sont « laissés aller ». Le football français, confronté à des déficits importants, a du mal à émerger dans les compétitions européennes.

Nous avons rencontré toutes les instances intéressées, notamment au plan fédéral, ainsi que des présidents de clubs pour déceler les problèmes du football français et y apporter des solutions.

Nous avons identifié trois cas qui peuvent intéresser les instances chargées de l'application du fair-play financier européen. Le premier, qu'elles ont évoqué auprès de nous, est celui du Paris Saint-Germain. Se pose la question de la recevabilité, au regard de la règle de l'UEFA, du contrat d'image conclu par le club avec la Qatar Tourism Authority, cette dernière étant susceptible d'être considérée comme une « partie liée » au club. Notre mission, en tant que parlementaires, consiste à étudier les options permettant d'améliorer la compétitivité du football professionnel français. Nous n'avons bien évidemment pas souhaité nous prononcer sur une question qui relève des seules instances de contrôle de l'application du fair-play financier.

De la même manière, se pose la question du respect de la règle de l'UEFA par l'AS Monaco, désormais propriété d'un milliardaire russe. Les rapporteurs soutiennent collectivement la position défendue par la Ligue de football professionnel : à l'heure où notre Assemblée travaille à lutter contre l'évasion fiscale, il n'est pas tolérable qu'un club puisse participer à une compétition française sans s'acquitter du moindre impôt, contrairement aux autres clubs. Nous nous sommes également interrogés sur les investissements de certains mécènes, tel celui consenti pour la reprise du Racing Club de Lens par un milliardaire proche du pouvoir d'Azerbaïdjan et dont on ne connaît pas exactement les motivations. Sans apporter de réponse à ces questions, nous n'avons pas été aveugles et avons souhaité les évoquer dans le rapport.

Le fair-play financier européen ne peut, à lui seul, régler tous les problèmes des clubs, mais nous avons le sentiment que depuis sa mise en place en 2010, les clubs français ont commencé à s'adapter à cette nouvelle règle.

Nous en venons à l'état du football professionnel français. Les clubs sont aujourd'hui en situation de « télédépendance ». Avec l'arrivée de Canal +, il y a plusieurs années, sur le marché des droits de retransmission télévisée auxquels l'opérateur a consacré des montants importants, de l'ordre de 600 millions d'euros, les clubs ont profité d'une manne dont ils ont pensé qu'ils en disposeraient « à vie » ; ils n'ont pas cherché à développer d'autres ressources. Je rappelle que les clubs disposent de quatre catégories de recettes : les droits audiovisuels ; le sponsoring et le merchandising ; les recettes de guichet et tirées du stade ; enfin, le soutien des collectivités territoriales, dont nous estimons qu'il doit être réduit.

La manne des droits télévisés a été l'arbre qui a caché un désert. Les clubs ont dépensé en tablant sur sa pérennité et ont augmenté leurs masses salariales, sans s'intéresser aux autres postes de recettes et notamment aux recettes de guichet.

Les recettes de sponsoring et de merchandising sont généralement en baisse, en raison de la crise économique. Il en est de même des recettes de guichet, alors que, dans d'autres pays, elles progressent. Durant des années, les questions d'infrastructures ont été totalement négligées par les clubs de football. L'Euro 2016 a brutalement fait prendre conscience du retard accumulé. Mais nous estimons que les réponses apportées en vue de l'organisation de cette compétition sont inquiétantes. Le recours à des partenariats public-privé pose question, notamment en termes de sécurité juridique : ces conventions courent sur des durées de plus de trente ans, et rien ne dit que les clubs intéressés parviendront à se maintenir, sur une telle période, en Ligue 1. Il en résulte une réelle incertitude, notamment pour les collectivités territoriales car ce sont elles qui, in fine, risquent d'être sollicitées pour financer les équipements, pour des montants parfois astronomiques.

Les personnes que nous avons entendues ont, dans l'ensemble, estimé qu'il faudrait aller dans le sens d'une propriété des stades par les clubs. En pratique, cela est quasiment impossible, hormis à Lyon et, peut-être plus tard, à Paris. Nous estimons, pour notre part, qu'il convient que les clubs exploitent les stades et qu'un instrument juridique doit être élaboré en ce sens, car on ne peut, par exemple, pas laisser à une collectivité locale le soin de changer la pelouse : cela doit revenir au club. Ce n'est pas possible avec les partenariats public-privé, dans le cadre desquels les constructeurs perçoivent les recettes d'exploitation. Par ailleurs, ces partenariats ont été élaborés sur la base de plans d'affaires dans lesquels les recettes d'exploitation proviennent notamment de concerts ; permettez-moi de dire, en souriant, qu'il est peu probable que Johnny Halliday se produise, dans les trente ans à venir, dans les cinq stades issus de partenariats public-privé. Les plans d'affaires sur lesquels reposent ces derniers semblent donc un peu inquiétants.

Nous avons par ailleurs constaté qu'existaient de vrais problèmes concernant les centres de formation. Certains grands clubs, comme celui du Paris Saint-Germain, souhaitent investir dans un tel centre, mais en pratique, aucun des jeunes qui en sont issus ne joue en équipe 1. Cela nous inquiète, car l'exemple du rugby montre que c'est ensuite l'équipe de France qui en pâtit. Nous avons également estimé que le football féminin méritait d'être mis en avant.

À partir de ces constats, nous avons émis un certain nombre de préconisations. Je m'attarderai sur celles qui portent sur les agents sportifs, car nous souhaitons mettre un terme à certaines pratiques opaques. Nous souhaitons ainsi, dans un souci de transparence, que les indemnités de transfert transitent par un compte dédié de la Ligue de football professionnel, comme cela est le cas, pour le règlement des avocats, avec la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (CARPA). Nous proposons également que ce soit le joueur et non le club qui rémunère son agent ; l'audition du Syndicat national des agents sportifs nous a permis de constater que les relations entre clubs, agents et joueurs étaient malsaines et qu'il fallait y remédier.

Nous avons également entendu des services de télévision et nous sommes collectivement assez inquiets de l'évolution actuelle. L'arrivée du nouvel opérateur BeIn Sport permet de renforcer la concurrence, ce qui est sain, mais compte tenu de son souhait de s'impliquer encore plus dans la diffusion de compétitions de football, nous craignons qu'il ne soit possible, à terme, de voir des matches qu'en payant pour cela. C'est pourquoi nous recommandons que dans les procédures d'appel d'offres pour l'acquisition de droits de retransmission télévisée, un lot soit « sanctuarisé » par la Ligue de football professionnel : il s'agirait d'un magazine dominical comprenant des extraits longs des compétitions, qui serait réservé à une diffusion gratuite, en clair.

Nous avons également abordé la question du contrôle de gestion des clubs de football professionnel. Parmi nos préconisations, figure celle consistant à soumettre aux prescriptions du fair-play financier européen l'ensemble des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, et pas seulement ceux qui aspirent à participer à une compétition de l'UEFA. Nous proposons aussi que la DNCG, qui accomplit un très bon travail, soit dotée du statut d'autorité administrative indépendante et ne dépende plus de la Ligue de football professionnel. Nous nous prononçons en faveur d'un salaire plafond, non pas en valeur absolue mais en limitant la masse salariale des clubs de Ligue 1 à 60 % de leur chiffre d'affaires. Nous préconisons par ailleurs l'instauration, par les clubs, d'un fonds de réserve de 10 % de leur masse salariale, pour éviter qu'ils ne rencontrent des difficultés pour verser les salaires. Il nous semble enfin nécessaire de revenir sur la comptabilisation des contrats de joueurs en actifs incorporels amortissables, car cette pratique donne lieu à de la « cavalerie ».

Nous jugeons par ailleurs nécessaire de promouvoir le football féminin. Pour ce faire, nous proposons de subordonner l'octroi de la licence de club à la constitution, par les clubs, d'une équipe féminine professionnelle. Trop peu de clubs en sont dotés : c'est le cas de ceux de Montpellier, Saint-Étienne, Lyon ou Paris, mais d'autres s'y refusent. Nous pensons que le moment est venu d'accompagner l'essor du football féminin.

Nous proposons aussi de revoir la loi dite « Buffet » du 6 juillet 2000 qui avait permis d'instaurer la transparence dans les relations entre clubs professionnels et collectivités territoriales. Il nous semble nécessaire de maintenir la possibilité, pour les collectivités, de procéder à l'achat de prestations de services, mais nous considérons que les subventions au titre des missions d'intérêt général doivent se cantonner au soutien aux centres de formation, le « fléchage » des crédits étant bien défini dans ce cas de figure.

J'en viens à un point qui ne figure pas dans nos recommandations mais a fait l'objet d'un long débat entre les rapporteurs. Nous nous sommes rendus à Munich et y avons constaté que le FC Bayern, qui dispose d'un stade, l'Allianz Arena, de 76 000 places, percevait en moyenne 5 euros supplémentaires pour chaque billet vendu, au titre de recettes liées à des services de boisson et de restauration. Les recettes de même type sont, en France, inférieures à 1 euro par billet. Cette situation est imputable à nos infrastructures, mais aussi au régime d'interdiction de vente et de distribution de boissons à faible taux d'alcool dans les stades, alors que ces mêmes boissons sont autorisées lors d'un concert du Palais omnisport de Bercy. C'est une première hypocrisie. La deuxième, c'est que lorsqu'on a la chance d'être invité dans une loge pour assister à un match, on peut boire du champagne et du vin à l'envi, alors que la majorité du public ne peut pas se payer un verre de bière. Nous ouvrons donc le débat sur cette question.

Nous estimons enfin qu'il faut lever l'incertitude fiscale. Un débat a été engagé sur l'éventuelle contribution exceptionnelle de 75 % sur les revenus supérieurs à 1 million d'euros. Nous pensons que toute nouvelle mesure fiscale, quelle qu'elle soit, doit s'appliquer aux rémunérations déterminées par les contrats conclus après promulgation de la loi.

Je conclurai en me réjouissant de l'adoption, à l'unanimité des quatre rapporteurs, des vingt-six recommandations figurant dans le rapport, ce qui leur donne d'autant plus de force. Nous les avons présentées à Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, qui nous a dit les considérer avec attention. Elle pourra s'en inspirer pour l'élaboration de ses futurs projets.

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