Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les projets de loi dont nous débattons ont pour objectif de limiter le cumul des mandats des parlementaires français.
Mon propos sera bref. Je souhaite m'arrêter sur les éléments essentiels du dispositif en le replaçant dans son contexte historique et politique et en voyant comment il devra être, à un moment ou à un autre, élargi ou complété.
Ce dispositif intervient donc à un moment donné. L'article 1er de la loi pose le principe d'une interdiction de cumuler les mandats de député et de sénateur avec des fonctions exécutives locales, en visant les trois grands types de collectivités territoriales que sont les communes, les départements et les régions. Il étend cette interdiction aux catégories particulières de collectivités de notre République. Il fallait une loi pour que les choses soient égales pour tous.
Le projet modifié permet aussi d'éviter des tours de passe-passe où un élu local aurait pu démissionner d'une fonction et conserver des responsabilités équivalentes avec une indemnité.
Par ailleurs le projet évite un double écueil : juridique, car il s'en tient à la règle du mandat échu, au nom du principe de non rétroactivité et de non remise en cause du mandat acquis ; politique, car il assure la stabilité de l'Assemblée nationale et donne de la visibilité aux élus et surtout aux électeurs.
Au-delà de cette réponse à un engagement qui correspond à un état de l'opinion, je crois utile de revenir sur les raisons historiques qui peuvent expliquer le cumul, et ce, au-delà de tout procès fait aux députés ou élus locaux.
De nombreuses études ont montré que le cumul des mandats a été la voie de l'intégration verticale du système politique français. Pour défendre et imposer définitivement les collectivités locales, leurs territoires et leurs besoins, leurs élus ont dû entretenir des relations étroites, voire se confondre en partie avec la structure des décideurs nationaux, qu'ils soient des politiques ou appartiennent aux décideurs administratifs et économiques. Je constate qu'aujourd'hui encore le bon niveau d'exercice des compétences par des collectivités, dont les assemblées et les exécutifs sont élus, et la question de leurs justes ressources nécessaires sont en discussion.
Ce cumul, qui a été hier perçu comme normal, est critiqué aujourd'hui pour ses effets négatifs. Au plan local, c'est la nature des responsabilités qui est en cause. Dans notre pays, les exécutifs locaux des collectivités d'une certaine importance sont aussi généralement les chefs de la majorité. La concentration et la personnalisation qui en résultent ne permettent pas forcément une disponibilité adaptée aux changements de fond de notre époque : citoyens mieux éduqués, administrés mieux informés, et nécessité, compte tenu de la complexité des questions et des solutions, d'une meilleure délibération collective.
Au plan national, l'État français reste largement centralisé où l'exécutif pèse plus que dans la plupart des autres démocraties parlementaires. Cette centralisation se double donc d'une concentration du pouvoir résultant d'un cumul de l'élection présidentielle au suffrage universel avec un fait majoritaire et des prérogatives fortes sur le Parlement.
Si la loi décide du non-cumul, celui-ci ne sera bien vécu et surtout fera l'objet d'une appropriation par tous et dans la durée qu'à deux conditions : qu'au plan national les parlementaires aient le sentiment de pouvoir réellement co-décider ; qu'au plan local la décentralisation et surtout l'autonomie des collectivités locales soient stables et garanties.
Au-delà de ce qui explique le passé, je voulais aussi vous faire part en quelques mots des enjeux à venir. Ces projets de loi viennent après un texte sur la transparence de la vie politique. L'enjeu dans notre pays, où existe une forte dispersion des collectivités et qui compte un très grand nombre d'élus, est que l'interdiction du cumul soit étendue de façon pertinente aux fonctions exécutives des communes, départements, régions, intercommunalités et diverses structures de coopération. Je me fais ici l'écho des propos tenus par M. Lagarde hier soir et d'une idée qui est partagée par d'autres sur ces bancs.
Il conviendra aussi, à un moment ou à un autre, que la publicité des indemnités représentatives de frais de mandat de tous les élus soit possible et qu'au-delà d'un certain montant elles soient certifiées.
Le non-cumul des mandats dont nous discutons est probablement un élément de l'efficacité du travail des élus, mais à lui seul il ne peut la présumer et encore moins la résumer. Nous espérons que le débat sur les articles et amendements conduise à une acceptation par tous de ce non-cumul des mandats nécessaire à notre République.