Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il faut toujours prendre soin de ses vieux amis de trente ans, surtout en politique. Le cumul des mandats fait partie de ces vieux amis, de ces faux amis, de ces serpents de mer.
Il existe, pour moi, deux manières d'aborder la question. L'une, négative, en termes de privation de mandats, ce que certains ressentent déjà comme une punition. L'autre, qui a ma faveur, est positive : elle nous engage à nous placer du point de vue du citoyen pour envisager les élus de demain. Il est vrai que le côté gauche de cet hémicycle ressemble beaucoup plus à l'Assemblée nationale de demain que le côté droit !
Un regard objectif sur la typologie de nos Assemblées nous renseigne assez sur la distorsion entre la société et ceux qui sont mandatés pour la représenter. La représentation nationale, aujourd'hui, illustre bien mal la réalité de notre nation. Dans ce triste constat, nous l'avons souligné, les critères sont légion : la parité est un horizon bien lointain, la répartition par âge et par catégorie socioprofessionnelle est une vraie vue de l'esprit et on ose à peine avouer la moyenne d'âge ! Parmi ces critères d'analyse, le cumul des mandats est sans appel : 338 de mes collègues cumulent le mandat de député avec un mandat exécutif local, plutôt chronophage quand on veut l'accomplir honorablement alors que la circonscription est souvent éloignée de Paris.
Mais, plutôt que de stigmatiser les uns, ce qui ne m'intéresse pas, je m'emploierai à valoriser les autres, préfigurant ainsi la fonction telle que nous souhaitons qu'elle s'impose désormais : représentative, responsable, à l'image des citoyens qui nous éliront.
Ce projet de loi est une exigence démocratique. Nos concitoyens veulent des élus à leur écoute, qui leur ressemblent et en qui ils ont confiance. Ainsi, 85 % de nos concitoyens demandent le non-cumul des mandats. Pour y résister, aucun argument sérieux ne peut justifier cette exception à la française qui fait notre légendaire réputation de cumulards boulimiques. Prétendre que le cumul permet de rester en contact avec la réalité est un prétexte fallacieux. Ce que je vis, aujourd'hui, en tant que députée, lors des instants que je passe dans ma circonscription, me permet d'affirmer que le député, qui n'exerce que ce seul mandat, s'occupe au quotidien de son territoire parce qu'il est le personnage politique qui est sollicité en cas de difficulté ou lorsqu'une question se pose. À ceux qui essaient de convaincre quiconque des vertus de l'expérience simultanée, je répondrai que nous sommes tous soumis aux bornes temporelles, universelles, des vingt-quatre heures dans une journée. Comment le législateur peut-il prétendre travailler sérieusement au fond, et bien gérer une ville, une agglomération, un département ou une région distante ne serait-ce que de quelques kilomètres, voire un peu de tout cela en même temps ? Je n'ai, pour ma part, rencontré aucun élu qui aurait le don d'ubiquité lui permettant de se trouver en même temps à Paris, Strasbourg, Bruxelles, Lyon, Bayonne ou Bordeaux ! Soyons sérieux ! On conçoit aisément, par voie de conséquence, que l'un des mandats est toujours nécessairement sacrifié. Nous avons pu vérifier voire même nous amuser, au gré de nos échanges préalables, de ce fameux syndrome de la moule accrochée à son rocher !
Ce texte de loi prend place dans un projet politique cohérent. Après la loi sur la transparence et la loi sur le ticket paritaire, le non-cumul s'inscrit dans la modernisation de l'action publique. À moins d'être né dauphin, ce qui est tout de même relativement rare, un député a une vie avant d'être élu. Son cheminement est personnel, professionnel, politique, et il est pour beaucoup d'ailleurs le fruit d'un engagement associatif très significatif, lequel l'amène souvent à la vie politique. Ce parcours formateur le dote d'une expérience préalable à l'exercice d'un mandat. Ses engagements, ses passions et son histoire forgent l'aptitude à l'exercice du pouvoir. La diversité des origines, des expériences et des personnes dans leur particularisme personnel et politique garantit justement la nécessaire représentativité. À aucun moment et d'aucune façon, l'accumulation simultanée ne peut justifier d'une quelconque valeur ajoutée, bien au contraire. Le cumul ne garantit ni ne prouve aucun ancrage particulier. Au contraire, il crée une génération d'élus qui vivent très loin des réalités et disposent souvent d'effectifs nombreux à leur service, cultivant sans même s'en rendre compte la confusion dans les fonctions de chacun. Ils empruntent rarement les transports en commun. Et parce que leurs fonctions cumulées leur laissent peu le loisir de se promener sur leur territoire sans qu'un événement local le justifie, ils sont souvent hors sol.
Ce projet de loi est, enfin, le souffle neuf d'exemplarité. En le votant, nous redonnerons un souffle à la classe politique. Nous libérerons du temps pour les uns, de la place pour les autres et offrirons à tous la qualité. Nous réconcilierons une partie de l'électorat avec la représentation nationale et la fonction politique. Nous pourrons faire émerger de nouvelles intelligences, de nouveaux élus, de nouvelles pratiques. Plus d'équité, plus de parité, plus de disponibilité, moins de montage, moins de bricolage, moins de clientélisme, moins de conflits, moins de carriérisme, mais un progrès !
C'est avec enthousiasme que le groupe SRC votera ce texte. Ce sont encore une fois les forces de gauche qui contribuent à la modernisation de la vie publique.
Le 05/09/2013 à 16:21, Justine (juriste) a dit :
Les propos de Mme Capdevielle paraissent fondés :
« La représentation nationale, aujourd'hui, illustre bien mal la réalité de notre nation. »
« Le cumul ne garantit ni ne prouve aucun ancrage particulier. Au contraire, il crée une génération d'élus qui vivent très loin des réalités (…) »
« La diversité des origines, des expériences et des personnes (…) garantit justement la nécessaire représentativité. »
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