Monsieur le président, mesdames, messieurs, Guy Carcassonne répétait sans cesse : cumulatio delenda est, ce qui pourrait être interprété comme un cri de guerre. Comme cela risque d'effaroucher la droite, aujourd'hui réticente, je le considérerai comme un cri de ralliement. C'était, en tout cas, l'expression d'une volonté affichée et affirmée. Pour lui, je le rappelle, le cumul des mandats gangrenait le fonctionnement des institutions et la fonction de parlementaire devait être un travail à plein temps. Je ne peux donc que me féliciter que soit enfin venu le temps de l'examen de ce texte dont la gestation aura duré, je le rappelle, plus de trois décennies. Je citerai, à ce titre, les lois du 30 décembre 1985 et du 5 avril 2000 ; le rapport Balladur de 2007 ; le vote des militants et l'engagement socialistes en 2009 ; la proposition de loi de notre groupe en 2010 ; les promesses de campagne de 2012 et, enfin, l'an dernier, le rapport Jospin : que d'étapes, de débats, de tergiversations avant de proposer l'interdiction du cumul d'un mandat parlementaire avec un exécutif local !
Concrétisation importante, ce texte, comme vous l'avez précisé hier, monsieur le ministre, va révolutionner, terme employé par les constitutionnalistes, la vie parlementaire en mettant fin à une spécificité française bien connue et maintes fois dénoncée. Jusqu'ici juridiquement possible, le cumul des mandats était presque politiquement souhaitable. En effet, il facilitait l'élection et la réélection. Il permettait d'asseoir sa notoriété sur un territoire en bénéficiant de réseaux locaux et nationaux. Cette mauvaise habitude politique appelait une réaction de notre part. Réagir en la matière, c'est accepter de remettre en cause nos fonctionnements individuels quelque peu égoïstes, avouons-le ; c'est accepter de faire passer l'institution, son fonctionnement et son avenir avant nos préoccupations particulières. Nous savons aussi que cette pratique inégale nourrit la désaffection du citoyen pour la chose publique. Après la loi sur la transparence, ce texte est donc une nouvelle étape dans la quête d'une confiance renouvelée des citoyens envers leurs élus.
J'étais le rapporteur de la proposition de loi en 2010 que nous avons été nombreux – 150 députés sur 200 – à avoir votée ici. Nous étions alors minoritaires et les 313 députés de la majorité se sont prononcés contre comme un seul homme ou comme une seule femme ! J'avais précisé dans ce texte que le non-cumul était la première des réponses à la crise de la représentation politique et rappelé que c'était une proposition de bon sens, une avancée démocratique majeure. Rejetée par la majorité de l'époque, c'est aujourd'hui en responsabilité que nous pouvons, enfin, réaliser ce pas en avant.
J'aurais pu, je devrais me satisfaire pleinement du tracé de ce texte et le voter sans hésitation aucune. Mais, engagé contre le cumul des mandats depuis longtemps, je ne pourrai faire autrement, monsieur le ministre, que de déposer un amendement suggérant que cette loi s'applique dès 2014. Je sais l'équilibre atteint dans le projet du Gouvernement, équilibre que vous avez rappelé et défendu à maintes reprises, équilibre parce que le périmètre défini est strict, avec une date d'application beaucoup plus souple, pour ménager toutes les sensibilités, nous avez-vous indiqué. Je comprends votre position.
Je veux croire aussi en l'argument qui est le vôtre, selon lequel cette loi aura des effets, sinon juridiques, au moins politiques dès les élections de 2014 et 2015. J'entends aussi les risques d'inconstitutionnalité que nous prendrions, mais je ne suis pas sûr qu'ils soient avérés. Je maintiens donc, avec obstination et erreur, direz-vous peut-être, mais vous me le pardonnerez, que le risque constitutionnel évoqué ne me semble pas plus périlleux que le risque politique d'une application tardive.
Je redis donc en un mot que la fidélité à mes engagements passés m'obligera à soutenir cet amendement sur lequel notre Assemblée se prononcera soit en l'acceptant, soit en le rejetant.
Pour le reste, ce texte était attendu et je veux en tout état de cause vous dire ma satisfaction.
Ce projet de loi a le mérite d'être clair et simple. Pas d'introduction d'un seuil minimal d'habitants pour qualifier les exécutifs locaux, pas de différence entre députés et sénateurs.
C'est aussi un texte cohérent.
Il est cohérent d'abord avec la volonté de renouveler le personnel politique, d'ouvrir nos assemblées à davantage de jeunes, de femmes, à différentes catégories socioprofessionnelles, enfin à plus de Français issus de la diversité. Pour améliorer la représentation politique, il faut accepter de partager le pouvoir.
Il est cohérent avec la décentralisation qui a changé la nature des exécutifs locaux. Cette loi limitera l'absentéisme et les délégations de prise de décision. Elle renforcera donc le pouvoir politique face aux tentations hégémoniques des structures administratives.
Il est cohérent également avec notre volonté de transparence de la vie publique.
Il est cohérent parce que ce texte nous permet de rappeler une fois encore que la loi doit être prise au nom de l'intérêt général et non pas de la somme d'intérêts particuliers.
Cette réforme est un premier pas, qui devra être complété par un véritable statut de l'élu, par des évolutions dans l'organisation du travail parlementaire. Elle implique du courage, vous en avez eu, monsieur le ministre, et un sens de la modernité incontestable. C'est une respiration différente, une volonté, une attitude et un comportement nouveaux.
C'est enfin, et je termine sur ce point, un changement de perspective, d'horizon, de mentalité, pour dynamiser nos assemblées et, à travers elles, notre démocratie.