Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 2 juillet 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN :

Nous nous attachons depuis quelques années à établir un classement des centrales avec trois critères : sûreté, radioprotection et environnement. Le site de Chinon est plutôt en retrait en termes de sûreté et d'environnement, mais sa radioprotection est performante. Quant à Gravelines, c'est un site que nous jugeons dans la moyenne. Je vous invite à consulter les publications du site internet de l'ASN pour une évaluation plus précises de ces deux installations.

Pour donner une idée de nos appréciations, nous avons mis en avant pour leur qualité en matière de sûreté les sites de Penly, du Blayais et de Fessenheim – sur ce dernier, je constate que nous avons en ce moment des réponses toujours très rapides et très positives. Pour ce qui est de la radioprotection, les installations du Blayais, de Saint-Laurent-des-Eaux et de Golfech sont placées en tête. Quant à la protection de l'environnement, Dampierre se classe devant tous les autres réacteurs.

Comme il existe un tableau d'honneur, nous avons aussi dressé la liste des sites moins performants. En sûreté nucléaire, des efforts sont à accomplir à Civaux, Paluel, Chinon et Cruas. En radioprotection, Fessenheim et Cattenom doivent progresser. Enfin, l'activité de Belleville, Chinon et Tricastin a un impact excessif sur l'environnement. J'insiste sur le fait que nous actualisons ce tableau tous les ans, car les réacteurs pointés du doigt par l'ASN travaillent généralement beaucoup pour améliorer rapidement leur situation.

Le contrôle de la sûreté ne fonctionne correctement qu'en présence de seuils extrêmement bas pour la détection d'incidents, ce qui explique le nombre important d'événements déclarés et publiés. Leur recensement exhaustif permet de détecter une éventuelle anomalie générique, en faisant apparaître des signaux annonciateurs. Nous veillons particulièrement à ce que tout ce qui se produit près d'un réacteur fasse l'objet d'une procédure. Les incidents qui concernent le domaine de la sûreté – ce qui n'est pas le cas de tous – sont au nombre de 1 200 chaque année, soit une centaine par mois et, donc, trois par jour. Mais nous n'avons eu que deux incidents de niveau 2 dans l'année qui vient de s'écouler : cette base ne nous permettrait en aucun cas de travailler efficacement. Nous revendiquons de procéder sur les données les plus nombreuses possibles, de façon à les filtrer à la mesure des enjeux. Je comprends les sentiments que provoquent des chiffres apparemment importants, mais nous sommes sans doute le pays qui s'assigne les seuils les plus stricts, précisément pour garantir une meilleure sûreté et un contrôle poussé des installations. C'est justement dans le cas contraire, si nous recensions très peu d'événements, qu'il faudrait redouter une mauvaise surprise.

Qu'un incident provoque un arrêt automatique du réacteur est une bonne chose, c'est une sécurité qui devrait rassurer. Je précise que nous conduirons demain une inspection à Fessenheim pour expertiser les causes des incidents récents.

Monsieur le président, nous souhaitons avoir communication des échéances prévues pour la mise à l'arrêt des centrales actuelles car c'est une donnée essentielle de notre grille d'analyse. Nous attendons donc un positionnement d'EDF sur chaque réacteur, sans doute au cas par cas. Nous pouvons patienter jusqu'à 2015, mais le plus tôt sera le mieux – même si nous sommes conscients que la constitution du dossier demandé réclamera un travail certain.

Peut-on devancer la date de 2015 ? Les dossiers comportent des questions excessivement complexes, que je ne vais pas énumérer ici. La cuve et l'enceinte de confinement sont des éléments essentiels, mais d'autres ne le sont pas moins. Certains générateurs de vapeur ont déjà été changés. Je ne pourrai donc pas dresser la liste des composants que nous contrôlons. Dans une des annexes de la lettre, nous posons la question de l'analyse du retour d'expérience étranger pour avoir une vision prospective des pièces qui seraient – et non pas seulement qui sont – vouées à connaître des défaillances.

Les États-Unis ont déjà octroyé des autorisations d'exploitation pour soixante ans, et l'idée de quatre-vingts ans n'est pas absente du débat public outre-Atlantique. Les Américains ont pris le parti de prononcer des prolongations sur la base des standards de l'époque de la conception des équipements, même si naturellement ils vérifient l'absence d'un vieillissement rédhibitoire pour la durée considérée. Ce n'est pas l'approche française, qui est partagée par l'Union européenne, car les nouvelles générations de réacteur comme Flamanville constituent une alternative.

L'ASN n'a aucune compétence sur la question des coûts. Certaines dépenses sont liées à des modernisations consécutives aux leçons tirées de l'accident de Fukushima. EDF les estime à dix milliards d'euros étalés jusqu'à 2018. Les investissements consécutifs à un prolongement à quarante ans de la durée de vie des installations ne me sont pas connus. Nous n'avons que les chiffres venant d'outre-Atlantique, mais qui correspondent à des exigences différentes, et les déclarations de M. Proglio, qui parlait de 500 millions d'euros par réacteur. Pour ma part, je ne sais pas, d'autant que nul ne peut affirmer que toutes les installations pourront ou non être prolongées au-delà d'une certaine date.

Les dossiers de justification en termes de sûreté ont été établis sur une durée de quarante ans, pour les réacteurs comme pour les cuves. C'est un point sur lequel je me souviens avoir travaillé au début de ma carrière. Des durées de trente ans ont pu susciter des calculs, mais ces derniers tenaient à des considérations d'amortissement et non à une préoccupation de sûreté. Je laisse sur ce point sa responsabilité à EDF, mais je répète que cela ne signifie pas que les quarante ans sont d'ores et déjà actés : conception et réalisation sont deux choses différentes.

Beaucoup de question concernent Cigéo. Nous n'avons pas remis, il y a un mois, un avis de circonstance. L'importance du sujet est identifiée de longue date, et l'ASN y travaille depuis de nombreuses années. Le rendez-vous important est la demande d'autorisation de création, conditionnée à la tenue du débat public et à des conclusions positives tirées par le Gouvernement. Il faudra encore que l'ANDRA constitue le dossier nécessaire. L'horizon d'une position technique de l'ASN se situe donc vers 2015 ou 2016. Vous avez pu noter que notre avis se borne, pour partie, à énumérer un certain nombre de points auxquels nous serons attentifs le moment venu, car ils ne sont pas encore concrétisés aujourd'hui. La question des déchets qui seront stockés, ou non, est essentielle en termes de sûreté ; elle l'est tout autant pour la sincérité du débat public : un changement dans l'inventaire aurait des conséquences évidentes sur notre jugement.

Un projet de directive européenne a été approuvé par le collège des Commissaires, pour une adoption prévue au premier semestre de l'année prochaine. C'est une initiative que nous soutenons, parfois d'ailleurs avec un sentiment de solitude. Même si le droit actuel n'est vieux que de quelques années, il faut prendre en compte les leçons de Fukushima pour franchir un pas dans une approche continentale de la sûreté. Le « contrôle par les pairs » constitue un excellent moyen d'avancer, car les conclusions publiques provoquent une réaction des acteurs.

Deux dispositions me semblent essentielles. D'une part, les résultats des tests de résistance lancés après l'accident japonais sont globalement jugés positifs : cette démarche devrait être réitérée tous les six ans sur les aspects sensibles conjointement déterminés, et tous les dix ans sur la pertinence du fonctionnement de l'autorité de surveillance. D'autre part, chacun attend une avancée sur la transparence.

Nous serons particulièrement vigilants, en revanche, sur l'unicité du gendarme du secteur : lui seul rend compte, devant les élus et devant la justice, et lui seul engage sa responsabilité. Si l'Europe s'orientait vers l'institution d'une seconde autorité de contrôle, nous aurions à craindre une déresponsabilisation et une baisse de la qualité des inspections, chaque organisme se reposant implicitement sur l'autre. Je précise qu'il n'y a pas d'obstacle technique à passer à une autorité européenne : nous exigeons seulement, alors, qu'elle soit seule en charge des questions de sûreté. Pour ces raisons, je regrette les ambiguïtés que recèle le projet de la Commission européenne.

La directive se bornerait, en l'état, aux seuls réacteurs. La France souhaite élargir son champ aux autres installations sensibles comme les usines de retraitement. Nous ne voyons pas ce qui justifierait de les écarter, moyennant évidemment l'adaptation de certaines procédures du fait de la spécificité de ces équipements.

Construction, fonctionnement et démantèlement d'une installation nucléaire s'étendent sur une durée de l'ordre d'une centaine d'années. Ce n'est donc pas un engagement anecdotique. La phase de démantèlement peut s'étaler sur trente ans ; elle nécessite un chantier lourd dont personne ne minore l'importance.

Je ne dirai pas que mon budget est mauvais, comme on me le suggère. Au contraire, j'ai plutôt tendance à me réjouir de la stabilité de la dotation de l'ASN compte tenu de la contrainte budgétaire. Toutefois, la charge va croître rapidement à l'avenir, et il conviendra que les ressources fassent de même. Ceci pose la question de leur pérennisation, donc de leur provenance.

Je ne sais pas si nous avons « mangé notre pain blanc » pour ce qui concerne l'efficacité des réacteurs. En tout cas, il est difficile de déduire des données dont je dispose que les choses se dégradent. Le taux de disponibilité a atteint des niveaux assez bas il y a quelques années, ce qui n'est sans doute pas dénué de lien avec des investissements exagérément limités lors de la précédente décennie, par exemple dans la maintenance préventive. La sûreté des installations n'en a jamais pâti ; leur disponibilité a fortement reculé. Si nous sommes attentifs aux moyens dont disposent les exploitants, chacun comprend ici pourquoi.

Nous consacrons un quart de nos moyens à la surveillance médicale, et nous envisageons d'accroître notre action. La radiothérapie, l'imagerie médicale, constituent des enjeux majeurs qui justifient un regard plus attentif. Les patients doivent être correctement informés, et nous organisons fréquemment des réunions publiques à cette fin avec les associations. En 2014, nous conduirons une campagne sur le thème : « La radiologie, ça se justifie ! ».

En ce qui concerne l'absence de parité au sein de l'Autorité, j'admets que nous ne pouvons faire mieux que une pour quatre, et que deux de nos huit directeurs seulement sont des femmes. Mais le fait est que les grandes écoles d'ingénieurs ne forment guère que 10 % à 20 % d'ingénieures, et que nous sommes tributaires de leurs promotions pour notre recrutement.

Par principe, nous prenons en compte les études tierces qui sont conduites sur notre activité. Nous avons donc bien pris réception des analyses prononcées sur Fessenheim par l'Öko-Institut de Fribourg-en-Brisgau. Le rapport allemand a été présenté à la CLI de Fessenheim ; nous avons formulé nos commentaires auprès de cette même CLI. Sa conclusion n'est d'ailleurs pas qu'une telle centrale serait fermée en Allemagne, même s'il pointe certaines différences intéressantes. Nous avons examiné, de même, le rapport de Greenpeace. Je ne veux pas entrer dans le fond du sujet : l'essentiel pour moi est de confirmer à l'Assemblée nationale que nous n'écartons aucune opinion extérieure. Je me bornerai à indiquer que, suite à Fukushima, nous réévaluons à la hausse les marges de sûreté pour dimensionner le noyau dur, à Fessenheim comme pour tous les réacteurs français.

Le suivi des recommandations formulées à la suite de Fukushima, qui avaient donné lieu à un épais rapport de l'ASN, est en cours. Nous allons probablement publier un tableau pour une meilleure compréhension par le grand public des enjeux liés à ces mille prescriptions. Chaque inspection permet de vérifier le respect des échéances assignées : la semaine dernière, nous avons, par exemple, constaté à Fessenheim le renforcement du radier – le sol en béton situé sous le réacteur. La lettre de suite de cette inspection est publiée sur le site internet de l'ASN, conformément à nos bonnes pratiques.

Les études post-Tchernobyl font l'objet d'un point annuel accessible sur le site de l'IRSN. La surveillance ne se relâche pas, même après pratiquement trente ans.

La relation des risques naturels et nucléaires a été illustrée à Fukushima. Le renforcement des installations face à d'éventuels événements naturels est au coeur de notre démarche depuis deux ans. Tout le monde pense aux raz-de-marée et aux séismes, mais ne négligeons l'impact éventuel d'une vague de grand froid, d'une canicule prolongée, d'un avis de tempête. Tous les pays sont concernés, mais nous bénéficions aussi des travaux des pays étrangers – ainsi les États-Unis soumis au phénomène des tornades.

Pour revenir à la prolongation éventuelle de la durée de vie des réacteurs, celle-ci ne rencontrerait aucun obstacle de nature légale. L'interrogation est essentiellement technique.

Rhône-Alpes connaît beaucoup d'incidents, simplement parce que c'est notre plus grosse division, recelant le plus grand nombre d'installations, et donc en proportion le lieu de fréquents événements recensés.

En ce qui concerne les CLI, elles ont pour mission d'ouvrir le débat sur le territoire des installations, sur le fondement d'une circulaire remontant aux années 1980 et intégrée depuis dans la législation. Leur travail donne satisfaction, d'autant que leurs moyens ont été récemment renforcés pour leur permettre de diligenter des contre-expertises.

La conséquence du passage à 50 % de la part nucléaire dans la production électrique en 2025 est une excellente question de politique énergétique ; vous comprendrez que je me garde de formuler une opinion à son propos. L'alternative existe entre une prolongation du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs : le meilleur choix est évident en termes de sûreté, il appartient aux industriels et aux autorités politiques d'analyser les autres éléments du débat. Il faut s'interroger sur la durée acceptable des hiatus entre les normes nouvelles et les constructions anciennes, puisque tout ne peut être fait tout de suite.

Les exercices de crise ne sont pas toujours concluants, ai-je entendu. C'est vrai : c'est justement la raison pour laquelle ils sont organisés. L'ASN compte parmi ceux qui demandent que les simulations soient les plus réalistes et les ambitieuses possibles, de façon à identifier et à corriger ce qui ne fonctionne pas.

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