Intervention de Philippe Duron

Réunion du 2 juillet 2013 à 10h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, AFITF :

La commission Mobilité 21 avait deux missions : proposer les fondements d'une politique de mobilité ; faire des propositions de planification pour les soixante-quinze projets du SNIT dans la mesure où il n'était pas raisonnable d'imaginer pouvoir mobiliser les 245 milliards d'euros nécessaires pour réaliser ces projets dans le délai de vingt-cinq ans fixé par le SNIT. Pour vous donner un ordre d'idée, réunir une telle somme dans un tel délai aurait supposé que le budget de l'AFITF augmente de 3,5 milliards d'euros par an, alors qu'il est aujourd'hui de 2,2 milliards environ, soit un quasi-doublement des dotations non seulement de l'État, mais aussi de Réseau ferré de France (RFF), de Voies navigables de France (VNF) et des collectivités territoriales.

Cette commission était composée de parlementaires de tous bords et de hauts fonctionnaires à la compétence reconnue. Tous ont signé ce rapport, ce qui signifie qu'ils en approuvent les grandes lignes. Cela ne veut pas dire que nous partageons tous les mêmes convictions sur tous les sujets : il y a eu entre nous des débats, souvent longs, parfois difficiles, et vous trouverez dans le rapport l'expression de ces différences. En outre M. Chassaigne et Mme Sas ont souhaité y ajouter une contribution personnelle sans que ces points de vue individuels remettent en cause les conclusions du rapport.

Nous avons travaillé pendant plus de huit mois, soit plus longtemps que prévu, mais c'était le temps nécessaire pour rendre nos conclusions. Le rapport a été élaboré à partir de plus de 50 auditions et de 120 rencontres, notamment avec des présidents d'exécutifs locaux ou de chambres de commerce.

Je m'inscris en faux contre certaines affirmations lues dans la presse, selon lesquelles ce rapport consacrerait une politique de recul et d'abandon et une réduction de l'effort d'investissement dans les infrastructures de transport. Aucun des soixante-quinze projets n'est abandonné : chacun d'entre eux a simplement été inscrit dans l'une des trois temporalités retenues par la commission, même s'il est probable que les projets reportés après 2050 devront faire l'objet d'un réexamen. Quant au niveau d'investissement, nous proposons, soit de le maintenir, soit de l'accroître de 28 à 30 milliards d'ici à 2030, ce dernier scénario de financement ayant la préférence de l'ensemble des membres de la commission. Il n'y a donc ni recul, ni abandon ; nous sommes dans le cadre d'une programmation des projets soutenue par un surcroît d'effort financier dans le deuxième scénario.

Le classement des projets est la partie du rapport qui a bien évidemment suscité les controverses les plus vives. Il faut cependant aller au-delà de ce classement, qui n'est pas aussi important que nos analyses et nos propositions pour développer une politique des transports durable et responsable.

Je mettrai l'accent sur quatre constats majeurs, parmi les onze qui ont été formulés par la commission.

Premièrement, la conservation et l'amélioration de l'existant doivent devenir une priorité en matière d'investissement. Le rapport Rivier et l'audit de l'École polytechnique fédérale de Lausanne ont donné la mesure de l'ampleur de la dégradation du réseau ferroviaire depuis trente ans. Ce constat vaut également pour le réseau routier de l'État. Certes, régénérer coûte plus cher qu'entretenir, mais cet état de dégradation remet en cause l'efficacité et la sécurité du système de transport. Les comparaisons internationales montrent que le choix de consacrer l'effort financier par priorité à la préservation de la qualité du réseau existant est le fait de pays développés tels que la Suisse, l'Allemagne et la Norvège, qui veulent un système de transport de qualité sur l'ensemble de leur territoire.

Deuxièmement, une réforme du modèle français de développement ferroviaire s'impose, notamment en raison de l'impasse financière où se trouve celui-ci qui présente, en outre, le défaut d'avoir privilégié la grande vitesse au détriment de toute autre considération. Non qu'il faille renoncer à celle-ci, mais il ne faut faire le choix de ce type de transport que là où il est adapté, sur de longues distances et pour desservir des bassins de population suffisamment vastes. La performance de ce type de transport ne doit pas être recherchée au détriment de tous les autres. Le choix de la grande vitesse perd également de sa pertinence lorsque la performance est dégradée par la saturation des noeuds ferroviaires et l'insuffisance des gares.

Troisièmement, la commission souligne l'urgence de soutenir le développement des ports français de dimension européenne, notamment Le Havre-Rouen, Fos-Marseille et Dunkerque. Si la loi portuaire de 2008 commence à porter ses fruits – la situation du port de Marseille s'améliore et le trafic du port du Havre s'intensifie –, le handicap du manque de liaison de nos plateformes portuaires à leur hinterland n'est toujours pas surmonté, notamment pour les modes alternatifs à la route.

Quatrièmement, il faut clarifier la gouvernance et le financement du système de transports. Actuellement, on ne parvient pas à chiffrer précisément le coût des aménagements de transport, alors qu'ils bénéficient souvent de dotations publiques. En outre, moins les choix d'investissement sont pertinents, plus les subventions publiques sont importantes.

Ces constats nous ont conduits à faire une vingtaine de recommandations qui s'articulent autour de quatre axes principaux.

Il faut tout d'abord garantir la qualité d'usage des infrastructures de transport – j'ai déjà développé ce point.

Il faut aussi rehausser la qualité de service du système de transport pour l'ensemble des Français sur l'ensemble du territoire. Il faut non pas se limiter aux grandes métropoles, mais penser également aux zones moins denses, aux territoires de périphérie, de montagne ainsi qu'aux territoires ruraux.

Par ailleurs, il faut améliorer la performance d'ensemble du système ferroviaire, notamment en s'attaquant à la question de la saturation des lignes. Plusieurs des projets examinés par la commission ont cet objectif – les projets d'interconnexion Sud en Île-de-France, le grand projet Bordeaux-Hendaye ou le projet de ligne nouvelle Perpignan-Montpellier. La question est de savoir non pas si ces projets sont nécessaires, mais à quel moment il faudra les engager : il faudra les engager lorsque le taux de saturation des lignes existantes détériorera la performance de l'ensemble du système.

S'agissant par exemple du projet de ligne nouvelle Paris-Orléans-Clermont-Lyon, le projet POCL, on peut choisir soit de rénover la ligne actuelle, soit de construire une nouvelle ligne à grande vitesse permettant de désengorger la ligne Paris-Lyon. La question est donc de savoir quand celle-ci sera saturée, et sur ce point il y a autant d'avis que de spécialistes. Les plus impatients parlent de 2025 ; d'autres, notamment à RFF, évoquent plus prudemment 2030 ou 2035. Certains spécialistes des transports pensent que cela sera beaucoup plus tard, d'autant que l'European Rail Traffic Management System (ERTMS) et le changement de matériel peuvent nous permettre de gagner une dizaine d'années.

S'agissant de ce projet comme des trois autres précédemment évoqués, nous sommes donc incapables de dire s'ils doivent être engagés en 2025, en 2030 ou en 2035. C'est la raison pour laquelle la commission recommande la mise en place d'un observatoire contradictoire de la saturation, associant toutes les parties prenantes, élus, acteurs économiques, associations d'usagers. En outre, nous proposons, au titre des premières priorités, l'institution d'une soulte de deux milliards d'euros pour parer au cas où une ligne concernée par l'un des quatre projets serait saturée avant 2030.

Par ailleurs, ces perspectives de saturation des lignes ferroviaires mettent en évidence les marges d'amélioration de la performance de notre réseau via la modernisation de son exploitation. Les Japonais, par exemple, font passer infiniment plus de trains par les mêmes lignes.

Nous insistons également sur la nécessité de soutenir le développement des mobilités « propres », en favorisant notamment les modes de transport collectifs via la poursuite des appels à projets, ou les modes de transport alternatifs, notamment sur les courtes distances. Nous estimons par ailleurs qu'une réflexion sur le lissage de la demande de transport collectif en heure de pointe doit être engagée.

Nous proposons également la création d'un contrat régional de mobilité durable, soit autonome, soit dans le cadre du contrat de projets, afin de permettre à l'État et à ses partenaires territoriaux d'évaluer la pertinence des investissements en matière de transports pour un territoire donné.

Il convient aussi de vérifier la pertinence des lignes ferroviaires les moins fréquentées, afin d'examiner si une liaison par autocar, par exemple, ne pourrait pas s'y substituer avantageusement. La pertinence de ce mode de transport ne se vérifie pas seulement dans les zones peu denses, comme le montre le précédent du rabattement par autocar du trafic de la grande couronne madrilène.

La commission recommande par ailleurs la tenue d'assises nationales sur le financement des infrastructures et des services de transport, qui permettraient de débattre de sujets tels que les investissements ou la tarification du service. On pourrait rechercher dans ce cadre des moyens d'assouplir les modes de financement des transports, sans perdre de vue que tout système de transport n'aura jamais que deux financeurs : l'usager et le contribuable.

Enfin, il nous semblerait légitime que le Parlement d'un pays moderne comme le nôtre soit régulièrement consulté sur les grands objectifs de la politique de transport, qui pourraient faire l'objet d'une loi-cadre, et sur les grands choix de cette politique, dans le cadre d'un projet de loi de programmation tous les cinq ans.

Venons-en à la hiérarchisation des projets. Je rappelle que chacun d'eux a été évalué d'après trois batteries de critères, en plus des critères habituels que sont le taux de rentabilité interne (TRI) et la valeur actualisée nette (VAN), qui nous ont paru privilégier trop fortement la vitesse. Reste que, même modulés par des critères environnementaux, sociétaux ou d'aménagement du territoire, les critères socio-économiques restent prépondérants. Ce sont eux qui assurent notamment le classement de nombreux projets routiers et de nombreux projets franciliens dans les premières priorités. Si nous nous en étions tenus aux seuls critères socio-économiques monétarisés, seuls les projets d'autoroutes en Île-de-France seraient considérés comme des investissements prioritaires. Cela serait difficilement acceptable, tant du point de vue du développement durable que de l'aménagement du territoire !

Cette évaluation a permis de classer les projets selon deux temporalités : avant 2030 et de 2030 à 2050. Certains nous ont reproché d'avoir retenu un horizon temporel trop éloigné, mais il faut une dizaine d'années pour mener à bien l'ensemble des procédures nécessaires à l'engagement d'un projet, voire vingt ans si on tient compte du temps du débat public. Les échéances de 2030 et 2050 sont calquées sur le calendrier des programmes opérationnels européens du Core Network et du Global Network. Les deuxièmes priorités sont les projets dont l'engagement doit être envisagé entre 2030 et 2050, et donc préparés dès maintenant. Un troisième groupe de projets sont renvoyés au-delà de 2050.

Nous sommes conscients qu'un tel classement peut paraître brutal, frustrant, voire désespérant pour certains élus.

Plusieurs députés. Ça, c'est certain !

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