Intervention de Philippe Duron

Réunion du 2 juillet 2013 à 10h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, AFITF :

Nous savions que notre tâche serait difficile. Nous l'avons acceptée en connaissance de cause.

Nous savions aussi que le SNIT n'était pas un mauvais document, mais qu'il était incomplet car il lui manque la programmation et la planification. Je comprends d'ailleurs pourquoi : l'exercice est extrêmement difficile, les réactions à notre rapport en sont l'illustration. Chaque territoire, chaque élu défend légitimement une infrastructure parce qu'il considère, et sa population avec lui, le projet utile, parfois même indispensable.

Je veux rappeler que l'adoption à l'unanimité de la loi Grenelle I nous lie. Par ce vote, nous avons manifesté notre volonté de favoriser des déplacements moins consommateurs d'énergie et moins producteurs de gaz à effet de serre. Nous avons ainsi implicitement accepté de privilégier des modes de déplacement alternatifs à la route. Cela signifie que nous ne pouvons construire autant de routes et d'autoroutes que les élus l'espèrent pour leurs territoires. Il faut être cohérent !

Vous avez été nombreux à souligner la dimension financière. Nous sommes confrontés à des réalités budgétaires et financières résilientes, que nous ne pouvons pas esquiver. Faire de la politique, c'est faire des choix. Ces choix sont souvent difficiles, parfois inexacts ou injustes – nous ne sommes pas infaillibles –, mais ils sont nécessaires.

S'agissant de la dette de RFF, j'avais étonné le ministre Thierry Mariani en affirmant que les 4 LGV auraient pour effet de faire passer cette dette de 31 à 60 milliards d'euros. Or, ce chiffre traduit bien la réalité de l'engagement de RFF. L'aggravation de sa dette pourrait à l'avenir lui interdire d'investir davantage dans des LGV. Si tel était le cas, un effort supplémentaire de l'État et des collectivités territoriales et d'autres formes de financement, faisant appel au secteur privé notamment, seraient nécessaires. La charge financière retomberait inévitablement sur les usagers et les contribuables car ce sont eux les payeurs finaux. Il faut regarder cette question avec un certain réalisme, parfois même un certain courage.

Notre commission ne condamne pas et ne décide pas. Elle émet des avis et formule des propositions. Dans la République, la décision appartient encore au Gouvernement et au Parlement… Il faut donc relativiser la portée de notre rapport.

L'exercice fut long et difficile. Je souhaite saluer les parlementaires qui ont consacré de nombreux mercredis aux travaux de la commission ainsi que les fonctionnaires et les rapporteurs qui ont fait un travail formidable.

M. Rémi Pauvros nous a reproché de ne pas parler suffisamment de recherche et de transfert de technologie. Ces sujets sont évidemment importants, mais nous ne pouvions pas aborder toutes les questions. S'agissant de la recherche dans le domaine ferroviaire, des progrès restent à faire sur le fret et la gestion des réseaux. Mais l'accent doit être mis sur la recherche concernant les routes. Le report du trafic routier sur des modes de transport alternatifs demandera en effet du temps. Dans l'intervalle, il convient donc de moderniser les moyens de transport routiers pour atteindre les objectifs environnementaux. À cette fin, il serait bon de soutenir la recherche dans le cadre des investissements d'avenir.

Sur la question du financement – qui aurait nécessité de multiples auditions tant le sujet est riche et complexe –, nous avons débattu, mais faute de temps nous avons jugé plus raisonnable de nous abstenir de propositions hasardeuses et de recommander l'organisation à brève échéance d'assises du financement.

La commission propose l'augmentation immédiate des crédits des PDMI qui ont, ces dernières années, servi de variables d'ajustement pour financer l'entretien des routes nationales altérées par les intempéries. Elle propose de les porter à 450 millions d'euros par an, soit une hausse de 30 % des dotations sur les cinq prochaines années. Il faut aussi imaginer pour l'avenir de nouveaux programmes prenant la suite des PDMI actuels, car beaucoup reste à faire.

Monsieur Florent Boudié, les project bonds européens ne représentent qu'une petite enveloppe et sont dans une phase d'expérimentation. Ce ne sont pas des subventions attribuées à une infrastructure ou à un État ; ils visent à encourager les investissements de fonds privés dans les infrastructures. Les project bonds ont donc vocation à faciliter les montages financiers pour les concessions. C'est de la dette « senior ». Les collectivités doivent assurément tirer profit de ces financements européens, mais ces derniers ne peuvent nullement satisfaire tous les besoins.

Je n'interviendrai pas dans le débat sur la participation des collectivités territoriales au financement des infrastructures et sur le rôle des régions en la matière. Néanmoins, les contrats régionaux de mobilité durable que nous proposons sont un moyen de réunir tous les financeurs.

Le contrat régional de mobilité peut être distinct ou constituer un volet des futurs contrats de plan ou contrats de projets selon la dénomination qui sera retenue. Il fera l'objet d'une négociation entre l'État, les régions, qui sont chef de file en matière de transports, et les départements, qui gèrent le plus grand patrimoine routier de France après les communes.

Je ferai des propositions sur la gouvernance de l'AFITF lors du prochain conseil d'administration afin que les régions et les départements, voire les agglomérations, y soient représentés ès qualités.

Si certains projets n'ont pas été examinés par la commission c'est parce qu'ils ne figuraient pas dans le SNIT.

Je m'inscris en faux contre les affirmations péremptoires de M. Martial Saddier. Nous ne stoppons pas les grands projets puisque cela n'aurait aucun sens ; nous les mettons en perspective. Jusqu'à présent, les LGV étaient réalisées les unes après les autres. Avec le SNIT, il a été décidé de mener quatre projets concomitamment. Cela explique l'embolie du financement des infrastructures que nous connaissons

La commission ne remet pas en cause la pertinence de la grande vitesse. Au contraire, le rapport classe parmi les premières priorités un projet de LGV, celui de la ligne Bordeaux-Toulouse, pour deux raisons. Ce projet est d'abord cohérent avec le RTE-T qui doit permettre de relier l'ensemble des grandes métropoles de l'Union européenne à grande vitesse avant 2030 – seules Toulouse et Nice restent à l'écart du réseau pour la France. Ensuite, l'aéroport de Toulouse est proche de la saturation du fait de l'absence d'une offre ferroviaire compétitive pour se rendre à Paris. Or, l'existence d'une LGV permet un basculement massif depuis l'avion vers le rail comme le montrent les exemples de Strasbourg et de Marseille.

Nous n'arrêtons pas les projets puisque nous privilégions la régénération des routes et du rail qui permet une multiplication des projets et des chantiers. La Fédération nationale des travaux publics et tous les industriels du secteur que nous avons consultés nous ont dit préférer l'entretien et la régénération aux grands projets, car ce sont ces activités qui les font vivre – l'Union des syndicats de l'industrie routière française a ainsi fait de ces activités un axe stratégique de son développement. La multiplication des chantiers a un effet rapide et solide sur l'économie du secteur. Elle permet de soutenir des entreprises moyennes aujourd'hui en difficulté, alors que les grands projets profitent d'abord aux majors et, dans une faible proportion, aux autres entreprises par le biais de la sous-traitance.

Madame Laurence Abeille, je vous remercie d'avoir exprimé vos accords avec le rapport. Vous avez repris les réserves émises par Mme Eva Sas au sein de la commission sur des autoroutes ou des contournements sensibles.

L'A45 a donné lieu à un débat interminable. Nous avons considéré qu'il était de notre responsabilité de désenclaver une ville aussi touchée par la désindustrialisation que Saint-Étienne. En outre, de nombreux Stéphanois, parce qu'ils travaillent dans l'agglomération lyonnaise, sont captifs du transport automobile. Puisqu'il est malheureusement impossible, selon les experts, d'augmenter la capacité ferroviaire, frappée de saturation, nous proposons de requalifier l'autoroute actuelle en boulevard industriel – il serait irresponsable de recommander la construction d'une seconde autoroute.

Le contournement d'Arles pose la question de la protection des zones sensibles sur le plan environnemental. Mais il faut aussi soulager la population locale du trafic intense et protéger une ville de grande qualité patrimoniale. La solution que nous proposons n'est pas parfaite, mais le contournement d'Arles est une nécessité.

En matière de gouvernance, le SNIT a été étudié par un rapporteur au Sénat, mais il n'a jamais été soumis à la discussion ni en commission ni en séance. Sa révision, si elle était décidée, devrait être débattue par le Parlement, éventuellement au travers d'une loi de programmation.

Monsieur Olivier Falorni, la desserte du grand port maritime de La Rochelle soulève une question qui est néanmoins moins stratégique que pour les ports du Havre – premier port de containers français, mais nain européen – et de Marseille-Fos – essentiel pour le sud du territoire. Nous aurions pu parler d'autres grands ports maritimes qui méritent également l'attention comme Nantes Saint-Nazaire ou Bordeaux.

L'A831 a suscité des discussions au sein de la commission. Si le bilan socio-économique agrégé est excellent, il n'en va pas de même des bilans environnementaux et sociétaux, d'après l'évaluation du Conseil général de l'environnement et du développement durable. En outre, la commission ne pouvait pas prendre en compte tous les projets autoroutiers puisque les critères du Grenelle obligent à prévoir, pour 20 % de transports routiers, 80 % de transports alternatifs.

La ligne Bordeaux-Hendaye a donné lieu à un long débat. L'argument de l'impossible dissociation de ce projet des lignes Tours-Bordeaux et Bordeaux-Toulouse qu'avancent les élus de ces territoires n'est pas recevable.

La réalisation des deux lignes depuis Bordeaux empêcherait de financer tout autre projet. La liaison Bordeaux-Hendaye est une voie importante pour le fret, mais le fret ferroviaire en Espagne n'est pas mature car la structure et la culture du transport routier y sont différentes. En outre, l'hostilité au Pays basque à ce projet nous a été rapportée. Enfin, le financement de la ligne pose question. Le tour de table financier pour la ligne Tours-Bordeaux n'a pas été simple. Les conseils généraux qui ont déjà lourdement contribué sont-ils en mesure de recommencer immédiatement pour Bordeaux-Hendaye ? Des inquiétudes ou des interrogations se sont exprimées sur ce point.

Nous suggérons que la ligne soit construite lorsqu'elle sera absolument nécessaire, ce qu'un observatoire de la saturation permettra d'apprécier.

S'agissant de POCL, vous m'avez mal compris. Je pense qu'il faut faire cette ligne, car désaturer en faisant de l'aménagement du territoire est une bonne idée. Mais il faut choisir le moment opportun pour éviter trois conséquences négatives : la mise en danger de RFF – les péages ne seront pas à la hauteur des attentes –, une exploitation insuffisamment rentable pour la SNCF – à cause d'un trop faible nombre de passagers tant que le report de Lyon-Paris ne sera pas effectif – et les effets d'éviction puissants pour les autres projets – POCL est l'un des projets ferroviaires les plus coûteux.

Le coût de POCL, estimé à 14 milliards d'euros, est impossible à financer dans le premier scénario. Ce projet n'a de sens que s'il peut être financé en une seule fois afin de rejoindre Lyon – si la ligne ne va pas jusqu'à cette ville, les ratios socio-économiques monétarisés ne seront pas atteints – et si la saturation est constatée par un observatoire contradictoire. Dès que la saturation sera constatée, le projet pourra être lancé. La réalisation de quatre autres lignes, notamment Montpellier-Perpignan, devrait être soumise aux mêmes conditions parce qu'elles ne sont pas indispensables pour l'instant.

Mme Chantal Berthelot, s'agissant des routes de Guyane, les problèmes relèvent plutôt des PDMI. Le SNIT comporte une fiche « ROU6 » intitulée « Renforcer l'accessibilité des populations des territoires situés à l'écart des réseaux de services publics, d'équipements collectifs ou de pôles d'emplois », consacrée à tous les problèmes routiers qu'on ne sait pas traiter. Cette méthode ne nous semble pas satisfaisante. Nous recommandons plutôt d'augmenter le montant des PDMI pour débloquer ces situations. Ces routes – c'est vrai pour la RN21 – participent à l'aménagement du territoire. Nous avons étudié la mise à deux fois deux voies de la RN21 à laquelle j'étais favorable, mais cela n'est pas possible.

Les PDMI sont les outils appropriés pour traiter les problèmes urgents de saturation, de contournement et de sécurité. À cet égard, la RN12 comme la RN134 ont besoin d'être mises à niveau. On ne peut pas laisser les territoires dans l'attente, suspendus à des promesses. Nous avons voulu traiter les problèmes les plus urgents, ce qui n'interdit pas de revenir de manière plus complète sur le sujet ultérieurement.

La ligne Limoges-Poitiers est reportée, madame Catherine Beaubatie, car l'évaluation socio-économique n'est pas convaincante – cette ligne est une bretelle là où nous cherchons à construire un réseau. Nous avons aussi entendu les élus entre Limoges et Toulouse qui craignent d'être condamnés à l'oubli. Il est plus raisonnable de restaurer la ligne Paris-Limoges.

Monsieur Jean-Louis Bricout, pour la RN2, vous devez vous en remettre au PDMI et inciter le Gouvernement à augmenter les dotations. Le chiffre de 450 millions d'euros que nous proposons n'est pas une limite infranchissable. Les PDMI peuvent être une piste intéressante pour relancer l'économie.

Monsieur Alain Chrétien, en Haute-Saône, les problèmes portent sur la desserte de Vesoul et des installations de Peugeot. L'entreprise dispose là-bas de son plus grand entrepôt logistique de France qui est mal desservi depuis l'Ouest et l'Île-de-France. Nous avons donc insisté sur le contournement de Port-sur-Saône et de Langres qui est déjà engagé. Pour le reste, le trafic routier ne justifie pas de créer une autoroute ou une deux fois deux voies sur l'ensemble du trajet.

Monsieur Philippe Bies, nous aurions aimé favoriser davantage les infrastructures de dimension européenne, car la connexion avec le reste de l'Europe est essentielle – de nombreux projets que j'ai cités y contribuent néanmoins déjà. Mais la réalisation de projets aussi importants, en raison de leur poids financier, risque de se faire au détriment de projets internes. Il convient de trouver un équilibre entre l'effort d'intégration européenne et l'amélioration du réseau national. Par ailleurs, deux autres sujets européens méritent l'attention : l'interopérabilité des réseaux et la modernisation de l'ERTMS.

Je ne suis pas hostile aux PPP, mais ce n'est pas la panacée. Ils ne peuvent pas intervenir dans tous les cas, car ils sont très coûteux – dès lors que l'emprunteur doit assumer le risque d'exploitation, le coût financier de la réalisation est plus élevé que dans le cas d'un investissement direct par l'État. En revanche, l'urgence peut justifier le recours au PPP – cela a été le cas récemment pour la deuxième rocade périphérique de Marseille, la L2.

Prévoir la réalisation de la ligne Bordeaux-Toulouse dans la période 2014-2030 ne signifie pas qu'il faille attendre 2030. Il peut être opportun de réaliser rapidement un projet de cette nature puisque le retour sur investissement est fort.

Monsieur Charles-Ange Ginesy, la commission a été très favorablement impressionnée par l'évolution du dossier de Nice. En renonçant à la LGV Méditerranée au profit de la ligne nouvelle Provence Côte-d'Azur, vous faites preuve de réalisme dans votre démarche et dans l'analyse des difficultés qui tiennent à des problèmes de capacité pour le trafic quotidien et de robustesse de la ligne – la multiplication des incidents perturbe l'économie et la vie des habitants.

La commission a apprécié le pragmatisme qui vous a conduit à déclarer que le projet pouvait être réalisé en plusieurs séquences. Même si M. Christian Estrosi ne veut pas que Nice passe une nouvelle fois après Marseille (Sourires), la recherche d'une solution exige une réponse coordonnée aux problèmes de Marseille et de Nice. Dans le cas de la première, la gare Saint-Charles est un noeud de congestion qui pose problème à l'ensemble du réseau et à sa fiabilité. Parce qu'elle est en cul-de-sac et ne dispose que de quelques quais, il faut, pour augmenter le trafic, améliorer la capacité pour les trains à sortir de la gare. À Nice, le problème est tout autre : il est lié à une arrivée dans un milieu urbain très dense et très contraint. Augmenter la capacité suppose d'enterrer une partie de la ligne, ce qui coûterait 3 milliards d'euros.

Dans le scénario n° 1, un seul problème pourra être résolu. Or, la hiérarchie des besoins du réseau impose de traiter d'abord le cas de Marseille, même si nous comprenons l'impatience des Niçois. Le scénario n° 2, dont je souhaite qu'il soit retenu, permettrait d'améliorer la situation à Marseille et à Nice.

Armés d'une feuille de route très riche et approuvée par l'ensemble des élus, les Bretons présentent leurs demandes avec une force, une conviction et une sérénité impressionnantes. Mais il en va de la Bretagne comme de l'Aquitaine, de l'Est ou du Languedoc-Roussillon. Ces régions ont déjà bénéficié du développement des infrastructures.

Grâce à la LGV jusqu'à Rennes en 2017, le temps de parcours vers toute la Bretagne diminuera de quarante minutes. L'Est va profiter de la phase 2 de la LGV Est alors même que la réalisation de celle-ci n'augmentera pas le nombre de passagers. Fallait-il en même temps privilégier la liaison Rhin-Rhône dont l'évaluation est moins convaincante ? Enfin, pour la région Languedoc-Roussillon, qui a déjà bénéficié d'investissements considérables, le contournement de Nîmes-Montpellier est en cours.

Si l'on veut répartir équitablement les efforts entre les régions, ceux-ci doivent porter sur des territoires qui n'ont pas été servis jusqu'à présent. Ainsi la région Midi-Pyrénées, qui est la plus grande de France, est un angle mort sur le plan des infrastructures de communication, ce qui est préjudiciable à l'ensemble de l'économie française, notamment en raison de la présence de l'industrie aéronautique.

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